Diffamer "les sectes" en toute bonne foi

Un article d'Éric Bouzou  (août 2008)

En mars 2000, le tribunal de grande instance de Paris condamnait le président de la commission parlementaire “ Sectes et Argent ”, M. Guyard, pour diffamation à l'encontre de trois mouvements anthroposophes, suite à son intervention télévisée sur France 2 en Juin 1999. Le motif de cette condamnation précisait que le rapport de cette commission, support des propos du député "n’est pas en mesure de justifier d’une enquête sérieuse” à l’appui de ses accusations, les documents produits n’étant "pas pertinents” et “sans valeur probante” ("Le Monde" du 23 mars 2000). En septembre 2001 la Cour d'Appel a reconnu le caractère diffamatoire des propos tout en considérant M. Guyard de bonne foi et donc non coupable du délit de diffamation publique.

Le 20 juillet 2006 sur TF1, Jean-Pierre Brard déclarait au journal télévisé : "Les Témoins de Jéhovah, je vais vous donner trois exemples où ce sont de parfaits délinquants : se soustraire à un impôt, condamner des personnes à mort en leur refusant la transfusion sanguine ou couvrir des délits très graves comme la pédophilie, vous voyez bien qu'on ne peut pas seulement s'en remettre à l'opinion publique, mais qu'il y a des lois qui doivent être appliquées". Le 11 juillet 2008, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a jugé que ces propos étaient bien diffamatoires, mais a accordé le bénéfice de la bonne foi au parlementaire. Le tribunal a jugé que les déclarations du prévenu devaient "être considérées comme ayant un fondement suffisamment sérieux" (AFP).

Examinons quelques définitions juridiques de la "bonne foi" : "Principe général ou au moins directive d’application du droit qui consacre au plan juridique et, notamment mais pas exclusivement, dans les relations contractuelles une exigence de loyauté, de sincérité, de franchise." (Lawperationnel). "La "bonne foi" est la croyance qu'a une personne de se trouver dans une situation conforme au droit, et la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui" (Dictionnaire juridique).

Dans les deux affaires citées, la diffamation est donc reconnue. Or les auteurs sont des spécialistes de la lutte antisecte. M. Guyard a été rapporteur de la première commission d'enquête parlementaire en 1995 qui a établi sans preuve à l'appui et sans respect du contradictoire une liste de sectes dites dangereuses, M. Brard en était le vice-président. En 1998, au sein de la deuxième commission d'enquête parlementaire sur le thème "sectes et argent", M. Guyard était aidé de M. Brard rapporteur du rapport qui n’est pas en mesure de justifier d’une enquête sérieuse. Peut-on parler de loyauté, de sincérité, de franchise ? Ces parlementaires ont-ils la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui ? Peut-on les croire assez ingénus pour ignorer que la diffamation alimente la rumeur et qu'il faudra des années pour l'effacer dans le meilleur des cas ?

En décembre 2002, M. Brard a été condamné en Appel pour diffamation à l'encontre ... des Témoins de Jéhovah (notons qu'en première instance de ce jugement le bénéfice de la bonne foi lui avait été accordée, pour être donc démenti en Appel ; ajoutons également qu'il a fait l'objet d'autres condamnations pour diffamation). Ce jugement ainsi que la violence du combat antisecte de M. Brard ont sans doute échappé à la sagacité du juge. Ce dernier évoque le "fondement suffisamment sérieux" des déclarations. S'agissant du contentieux fiscal entre les Témoins de Jéhovah et l'Etat, l'affaire est en Cour Européenne avec un risque non négligeable de condamnation pour l'Etat français ; il semble téméraire de se prononcer dès à présent sur un fondement sérieux. Concernant les transfusions sanguines, "le Conseil d'État, dans une décision du 16 août 2002, a estimé que le refus de recevoir une transfusion sanguine constitue l'exercice d'une liberté fondamentale et la loi Kouchner de mars 2002 a renforcé le droit du patient majeur à discuter de son traitement" (Audition de Didier Leschi, chef du bureau des cultes à la commission d'enquête parlementaire "l'enfance volée") ; s'agissant des enfants, "le Conseil d’Etat dans une ordonnance de référé de 2002 a fait prévaloir la décision médicale sur le refus de transfusion sanguine par les parents" (Georges Fenech, lors des auditions de la même commission) ; cette ordonnance empêche toute dérive. Quant à la couverture d'actes de pédophilie, c'est une attitude condamnable, qui concerne seulement un certain nombre de personnes.  Le fait d'établir un amalgame sur l'ensemble de la communauté au lieu de s'en tenir à des affaires précises ne semble pas émouvoir le juge. Sa décision aurait-elle été la même si l'accusation de délinquance avait été adressée à l'ensemble des catholiques parce que des actes de pédophilie ont été couverts Ou bien si elle avait concerné l'ensemble des adhérents d'un parti politique dont le secrétaire général a commis un délit ?

La licence que s'accordent certains pour diffamer les mouvements dits sectaires en toute impunité est en passe d'être étendue, suite à la commission d'enquête parlementaire sur le thème "l'enfance volée". Une nouvelle loi a été votée sur proposition de M. Accoyer (Président de l'Assemblée Nationale), accordant aux témoins de ces commissions la même protection juridique que celle reconnue aux personnes appelées à témoigner devant les tribunaux. Ces témoins pourront donc s'exprimer sans retenue, leurs propos seront médiatisés dans des enceintes où les principaux accusés (ie les "sectes") ne sont pas admis.

Les parlementaires ont le privilège de bénéficier de l'immunité parlementaire. Elle est nécessaire au fonctionnement normal de la démocratie mais se mérite et lorsqu'il s'agit de publier des rapports au contenu non pertinent, sans valeur probante et diffamatoire, un seuil de dysfonctionnement est franchi. Le vase déborde lorsque certains députés confondent, qui plus est hors de l'enceinte de l'Assemblée Nationale, "respecter le droit" avec "avoir tous les droits". Il est plus que temps pour les animateurs du groupe d'étude sur les sectes et leurs supporters à l'Assemblée de reprendre leurs esprits ... une bonne fois pour toutes.

note : le CICNS n'est lié avec aucun des mouvements cités.

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