Extraits de l’audition d'octobre 2006 de Didier LeschiChef du bureau central des cultes au Ministère de l’Intérieur, par la commission parlementaire Sectes et Enfance.
M. Fenech et M. Gest sont députés UMP, M. Vuilque est député socialiste ainsi que Mme David. Les liens hypertextes ont été ajoutés par le CICNS.
Leschi:
(…) En mettant fin au système des cultes reconnus, (la
loi de 1905) a aussi précisé que les fidèles ont le droit de
pratiquer leur culte de manière publique et non dans la seule sphère privée,
comme le précisent notamment les titres
3 et 5 de la loi de 1905 (…) Cette liberté de croyances s'articule
avec le droit des parents de choisir ce qu'ils souhaitent transmettre à leurs
enfants, car notre cadre juridique comprend aussi le droit des parents d'éduquer
leurs enfants dans les valeurs de leurs choix dès lors qu'elles ne portent pas
atteinte à l'intégrité physique et morale des enfants — c'est ce que
rappelle l'article 371-1 du Code Civil : « l'autorité parentale
appartient aux pères et mères jusqu'à la majorité ou l'émancipation de
l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour
assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa
personne ».
(…) L'activité du bureau central des cultes vient de rappeler aux administrations, aux collectivités locales, aux différents pouvoirs publics, par le biais de circulaires, de réponses à des questions parlementaires ou de courriers émanant d'autorités publiques que notre régime juridique est d'abord celui de la liberté de conscience et du libre exercice du culte.
(…) Le Ministère de l'Intérieur est parfois accusé de sous-estimer le trouble à l'ordre public que génèreraient par nature, certains mouvements focalisant l'attention de la MIVILUDES. Je veux parler de mouvements qui pour certains, ont des décennies, voire des siècles d'existence et sont issus de grands courants spirituels ou s'y attachent comme « les Frères de Plymouth », une des branches du protestantisme, les Témoins de Jéhovah et depuis quelques mois les Loubavitch [1] qui sont l'expression d'une vieille tradition du Hassidisme Juif. Au bureau central des cultes nous pensons qu'il faut aborder les problématiques d'ordre public avec la plus grande rigueur et privilégier les faits plutôt que la rumeur ou la parole douloureuse d'anciens fidèles en rupture, dès lors que sont mises en cause des personnes et leur dignité. Tous les courants cultuels sont susceptibles de connaître des dérives sectaires. Seul l'examen des faits légitime la notion de vigilance, sans quoi on risque fort de s'écarter de l'impartialité laïque au profit d'un clivage entre religion reconnue/religion stigmatisée. Le juge administratif ne cesse de rappeler cela en sanctionnant des collectivités qui licencient des Témoins de Jéhovah, dont la seule faute professionnelle est l'appartenance à ce mouvement. De même il rappelle que l'on ne peut refuser la location d'une salle à ce mouvement uniquement parce qu'il ne serait pas agréé (…) Le prosélytisme, c'est-à-dire de militer pour faire connaître et défendre ses opinions dans la rue ou en faisant du porte à porte, n'est pas en soi condamnable ; si bien sûr il ne s'agit pas de harcèlement. Par analogie, on n'imagine pas retirer à un vendeur bénévole de « L'humanité Dimanche », la garde de son enfant, pas plus qu'à un syndicaliste qui défile le premier mai, sa fille (…) C'est donc bien le refus de la transfusion sanguine qui pourrait constituer un trouble à l'ordre public, s'il s'avérait que l'affirmation de cette croyance impérieuse entravait le fonctionnement du service public hospitalier. Il n'appartient pas à l'administration de porter un jugement sur les croyances ou sur la conscience des personnes, à moins de renvoyer en d'autres temps ou à d'autres régimes politiques. L'église catholique peut condamner l'IVG, prévu par la loi, mais elle ne troublerait l'ordre public que, si, par ses manifestations, elle empêchait l'accès des femmes au service hospitalier. Je rappelle que le Conseil d'État, dans une décision du 16 août 2002, a estimé que le refus de recevoir une transfusion sanguine constitue l'exercice d'une liberté fondamentale et que la loi Kouchner de mars 2002 a renforcé le droit du patient majeur à discuter de son traitement, droit déjà consacré par la jurisprudence du Conseil d'État. (…) En vue de cette audition, il m'a semblé nécessaire de demander aux préfectures de département, de faire le recensement, sur les trois dernières années, des incidents liés à la transfusion. Au vu des résultats obtenus, ce qui remonte, c'est un petit nombre d'incidents, souvent réglés par la discussion : jamais d'incident qui mette en cause des enfants, ou le pronostic vital, ou le fonctionnement du service public hospitalier ne m'a été signalé sur ces trois dernières années.
(…) Là encore, il s’agit d’un problème de méthode et de crédibilité de l’action publique. Au fond, lorsqu’on est imprécis dans les faits évoqués et que l’on se remet aux seuls témoignages de personnes qui ont quitté les groupes, on ne peut pas élaborer une appréciation juste des faits en cause et réaliser une administration rigoureuse de la preuve, particulièrement nécessaire dans une enquête qui, dépourvue des garanties propres à la procédure judiciaire, peut néanmoins mettre en cause l'honneur des personnes.
(…) Des religiosités nouvelles, du moins dans notre pays, et des pratiques sociales non conventionnelles voient le jour. Confrontés à une telle diversification de notre paysage spirituel et philosophique, il est essentiel pour nous de ne pas confondre « non conformisme » et « dangerosité », et par conséquent de distinguer les pratiques sociales originales des pratiques à risques.
(…) En conclusion, j'aimerais souligner un paradoxe essentiel du point de vue de l'action des pouvoirs publics. Je crains fort que la stigmatisation de mouvements comme les Loubavitch ou Les Frères de Plymouth risque de faciliter le passage à l'acte de personnes qui auront bon jeu de se couvrir d'une bonne conscience antisecte pour justifier leurs actes de malveillance ou antisémites. A ce titre, nous voyons augmenter les agressions contre les Témoins de Jéhovah, autrement dit, je crains fort que cette stigmatisation, ce type de dénonciation ne constitue à terme des troubles à l'ordre public ou pour le moins, des manifestations d'intolérance à l'égard de l'une des libertés les plus fondamentales de tout homme et de tout citoyen, la liberté de conscience.
Fenech :
(…) Je crois
qu'aujourd'hui, après vous avoir entendu, nous pouvons dire ici que vous allez
nous confirmer que les Témoins de Jéhovah sont la cinquième religion de
France. (…) Et je vous demande, mais alors très clairement car je crois que
le moment est très important, si effectivement vous êtes en train de nous dire
qu'aujourd'hui l'administration n'a aucun grief à faire aux Témoins de Jéhovah,
pour leur refuser le statut d'association cultuelle, au même titre que
n'importe quelle religion. Leschi :
(…) Lesdites associations
aujourd'hui sont tout à fait en conformité avec le droit fiscal,
puisqu'elles ont le bénéfice du droit des associations cultuelles. Certes il y
a un contentieux fiscal passé entre l'État et les Témoins de Jéhovah, il n'y
a pas de contentieux présent sur ces dons manuels. Fenech :
(...) Donc, Monsieur Leschi, je ne me suis pas trompé dans l’interprétation
de votre exposé de votre texte fondateur aujourd’hui ? Leschi :
(…) Monsieur le Président, je suis prêt à tout examiner, mais je ne vois
pas aujourd’hui de dossier montrant un trouble à l’ordre public (…)
J’ai demandé à la Miviludes
d’essayer de constituer ces éléments de preuves de troubles à l’ordre
public, par exemple en interrogeant les ARH
[5],
les directeurs d’hôpitaux pour savoir si, par exemple dans le cas d’un
refus de transfusion sanguine, il y aurait une entrave au fonctionnement du
service public hospitalier. Je n’en ai pas, donc je ne vais pas inventer un
trouble à l’ordre public, qui plus est qui serait durement sanctionné par le
juge, je sais que vous y serez sensible, alors que l’on n’a pas apporté un
dossier étayé. Fenech :
Nous avons ici entendu des jeunes Témoins de Jéhovah, des jeunes majeurs qui
nous ont raconté leur parcours d’enfermement psychologique. Vous
savez comme nous quel est le traitement social du mineur au sein des Témoins de
Jéhovah qui ne peut pas participer à un certain nombre de manifestations laïques,
qui vit entre la Salle du Royaume et sa famille et qui d’un certain
point de vue qui nous a été exposé ici, ne correspond pas aux normes
internationales notamment celle de la convention de New York sur le droit de
l’enfant, qui exige que l’enfant soit élevé et éduqué pour atteindre un
esprit critique pour en faire un citoyen libre. Est-ce que cela fait partie
de la problématique qui puisse constituer un trouble à l’ordre public aux
yeux de votre administration ? Leschi : (…)
Vous savez bien que ce sont des questions extrêmement difficiles et délicates (…)
En ce qui concerne la liberté de conscience et le droit d’éduquer ses
enfants selon les valeurs que l’on souhaite transmettre,
vous savez bien qu’il y a toujours une appréciation qui peut être très différente
en fonction des personnes. Il fût un temps où l’on pouvait expliquer que
quelqu’un qui adhérait à un mouvement communiste était dépouillé de sa
personnalité et que, quand il en sortait, il avait le sentiment d’une extrême
douleur puisque ces anciens camarades refusaient de lui parler. Quand j’étais
étudiant en sciences politiques, il y avait un ouvrage (...) qui s’appelait
« la secte » à propos du parti communiste et qui était écrit par
un sociologue (…) qui s’appelle Marc Lazar. Voilà, tout ça est une
question d’appréciation. Vuilque :
(…) Je suis, je pèse mes mots, scandalisé
par ce que vous avez dit, parce que vous parlez du trouble à l’ordre public
et vous avez évoqué le fait qu’un
certain nombre d’associations et d’autres personnes luttant contre les
organisations sectaires seraient elles-mêmes à même de participer aux
troubles à l’ordre public en stigmatisant un certain nombre
d’organisations. Martine
David : (…) Je comprends mal que vous donniez le sentiment d’être
totalement imperméable aux témoignages qui ont pu être livrés
à la MIVILUDES à plusieurs reprises par des adeptes sortis des différents
mouvements Témoins de Jéhovah ou d’autres. (…) Alors
que nous disposons déjà depuis de
nombreuses années de témoignages
avérés, que bien entendu, il faut prendre avec précaution comme tout témoignage.(…)
Est-ce qu’on peut considérer que vous n’avez pas eu connaissance de ces témoignages,
jamais, c’est la première question que je vous pose (…) Je ne vous mets pas
en cause vous personnellement (…) mais ça veut dire que depuis longtemps le
bureau des cultes dysfonctionne ou bien alors il y a d’autres maillons
faibles, si j’ose dire, mais on ne peut quand même pas laisser dire que ces
anciens adeptes ont tout inventé, que ça sort de leur imaginaire, et qu’il
n’y a rien de possible (…) je
voudrais bien Monsieur
Leschi qu’avec nous de temps en temps, vous acceptiez de douter sur le véritable
respect du droit des enfants qui sont dans des sectes comme les Témoins de
Jéhovah ou comme la Scientologie et que vous acceptiez de regarder en face
cette réalité (…) il y a quand même un certain nombre de milliers
d’enfants en France pour lesquels le droit à la vie en société, le droit à
l’accès à l’éducation dans toute sa plénitude et son épanouissement
n’est pas respecté, alors est-ce que là-dessus on peut discuter ou pas ? Leschi :
(…) Si votre commission
étaye un dossier à charge avec des éléments précis systématiques, des
preuves qui en plus pourront être transmises aux juges pour éventuellement des
poursuites (…) pour l’instant on
n’a jamais avancé de choses précises ces dernières années. Vous parlez des
commissions locales, évidemment les rapports remontent, à chaque fois tout ça
remonte, je constate l’imprécision. Martine
David : (…) Est-ce
que vous accepterez de considérer que nous n’inventons pas tout ça, que
c’est la réalité ? (…) est-ce que ça aussi vous voulez le regarder en
face et que peut-être ça explique que certains éléments d’informations ont
un petit peu de mal à remonter, parce qu'il y a des témoignages des anciens
adeptes qui ont des difficultés à engager des procédures juridiques, c’est
évident, ça veut pas pour autant dire qu’il ne s’est rien passé. Leschi :
(…) Je crois qu’il
est difficile pour le Ministère de l’Intérieur en tant que ministère de se
substituer aux personnes pour faire des dossiers qui incriminent d’autres
personnes, ce n’est pas sa fonction je vous le rappelle. Par ailleurs, il y a
des institutions qui sont faites pour ça. Si le défenseur des enfants qui
existe, qui a été mis en place, par exemple, m’envoie un dossier (…) et
que le dossier est étayé, eh bien on en tiendra compte. Alain
Gest : (…) Vous êtes
arrivé ici dans un état d’esprit extrêmement défensif, c’est le moins
qu’on puisse dire (…) et je vous
laisse mesurer le formidable appel d’air que ce genre d’annonce va susciter
en ce qui concerne d’autres mouvements, quand la presse présente ici aura
porté à la connaissance générale ce que vous venez d’indiquer. Leschi :
(…) Je suis peut-être un peu vif, c’est dans ma nature, mais aussi parce
que bien souvent je sais entendre et écouter, et j’ai bien vu que sur les Témoins
de Jéhovah il y avait une mise en cause
quasi-systématique et parfois dans des termes extrêmement violents de la part
de certains de vos collègues, de l’action de mon bureau et de la mienne en
particulier. Donc, permettez-moi, pour une fois … je suis là devant vous et
donc … j’y réponds. Fenech :
(…) Jamais le Conseil d'État n'a dit que les Témoins de Jéhovah ne
troublaient pas l’ordre public et devaient être considérés comme un culte
à part entière ! Jamais ! Leschi :
(…) Un des critères pour accorder les bénéfices de la loi de 1905, c’est
justement qu’il n’y ait pas de trouble à l’ordre public (…) Pendant 10
ans nous avons motivé le refus du bénéfice des articles 200 et 238 pour les
associations Témoins de Jéhovah en expliquant qu’elles constituaient un
trouble à l’ordre public Plusieurs fois, le Conseil d'État nous a dit :
« Non, appréciation erronée de l’autorité préfectorale. » Ça
s’appelle une jurisprudence (…) moi, en tant qu’administration laïque, je
ne porte pas de jugement sur les croyances. Gest :
(…) On sait très bien qu’il y a un écran de fumée organisé autour de la
croyance religieuse, parce que c’est évidemment le moyen, justement, de
rejeter les éventuelles accusations (…) Vous rentrez dans le discours de ceux
qui nous disent : « Il n’y a pas de problème de culte, de secte en
France, il n’y a pas de problème. » (…) Tous les gens sont des
affabulateurs, il ne s’est jamais rien passé, le Temple Solaire est une
aimable plaisanterie Leschi :
(…) Tous les cultes, toutes les activités de ce type, sont susceptibles de dérives
sectaires. Je pense que l’appréciation
simplement par liste est une appréciation qui réduit la focale et qui évite
de s’interroger sur ce qu’est vraiment une dérive sectaire et sur le fait
que ce n’est pas cantonné à tel ou tel mouvement. Je ne dis pas qu’il
ne peut pas y en avoir chez les Témoins de Jéhovah, ce n’est pas ce que je
vous dis. Je vous dis que la
stigmatisation sur la base d’un critère qui est la simple appartenance ne
permet pas de faire avancer la question et par ailleurs c’est pour ça qu’on
avait fait évoluer la MIVILUDES vers la notion de dérive sectaire et pas de se
cantonner simplement sur un problème de liste. Leschi :
(…) Pour l’instant je
constate qu’il y a systématiquement imprécision des faits. Impossibilité
d’avancer des décisions de justice et que je ne suis pas en droit de me
substituer à cette absence de preuves.
[1]
Chabad-Lubavitch (ou Chabad Lubavitch) également connu sous les noms de
Chabad, Habad ou Lubavitch, est une des plus importantes branches du Judaïsme
Hassidique et un des plus grands mouvements juif dans le monde, particulièrement
aux USA et en Israël. [2] Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales [3]
Centre National de [4] AVIFE Association "Aide aux Victimes des Frères exclusifs". http://avife.site.voila.fr/ego.htm [5] Agences Régionales d’Hospitalisation
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