Transcription intégrale de l'interview de Jean-Luc Martin-Lagardette

Jean-Luc Martin-Lagardette est journaliste depuis 1975. Ancien élève de l’École supérieure de journalisme de Lille, il a été notamment rédacteur en chef du mensuel Décision Environnement. Il est par ailleurs à l’origine, avec l’Alliance internationale de journalistes et son confrère Yves Agnès, de l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse (APCP), qui œuvre pour la création en France d’une instance d’éthique et de médiation de la presse. Auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme, l’environnement, essayiste, il est également professeur de journalisme. Sur son site (jlml.fr), il explique la nécessité pour chaque citoyen, et plus encore pour la presse, de ne jamais abandonner le souci de la vérité ni celui de l’intérêt général (la démarche véritale). Il est actuellement rédacteur en chef du magazine en ligne Ouvertures.

Dans cette interview, il nous donne son point de vue éclairé sur la lutte antisectes et le rôle des médias.

Interview du CICNS, octobre 2009.

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Jean-Luc Martin-Lagardette : « Je suis journaliste depuis 1975, ancien de l'Ecole Supérieure de Journalisme de Lille. J'ai travaillé ensuite dans la presse locale, dans un grand quotidien régional, avant de venir à Paris travailler dans la presse professionnelle, dans un premier temps pour un magazine pour les professionnels des collectivités locales, puis ensuite j'ai rejoint, à l'époque de sa création, le magazine Décision-Environnement. Ensuite, pendant dix ans, j'ai été pigiste. En même temps, j'avais toujours des activités de formateur en journalisme. Puis, j'ai écrit quelques livres, des guides pratiques ou des livres de réflexion plus philosophiques, et depuis deux ans je suis rédacteur en chef du magazine en ligne Ouvertures, qui est accompagné d'une lettre trimestrielle que nous envoyons à nos abonnés, gratuitement, et qui est le portail de l'honnête homme du XXIe siècle. La lutte contre les dérives sectaires me paraît indispensable. Pour moi, c'est légitime que le gouvernement, que certaines institutions, veillent à ce que des charlatans, pour la question des thérapies naturelles ou différentes, ne sévissent pas et n'abusent pas de la crédulité des populations. De même, il est important que dans les groupes qui peuvent se constituer, quels qu'ils soient, il n'y ait pas de démarche qui fasse que les populations les plus faibles soient empêchées de s'épanouir librement et soient mises dans des orientations pour être exploitées. L'idée me paraît formidable et que la France ait une politique dans ce domaine, j'approuve. Je trouve ça très bien. Le problème, c'est la façon dont elle est appliquée, parce qu'il ne s'agit absolument pas en fait, selon ce qui est dit, de lutte contre les dérives sectaires, mais de lutte contre les sectes.

Nous luttons, en fait, contre des minorités spirituelles. Ce que nous appelons « sectes » existe très peu en France. En fait, il y a différents groupements qui ont des démarches différentes les unes des autres mais qui, pour la plupart, la très grande majorité, tel que j'ai pu l’observer parce que je suis allé voir à droite et à gauche, la plupart ont des objectifs spirituels, ont des objectifs de recherche, ont des objectifs de défricher des voies nouvelles par lesquelles leurs membres ou ceux qui peuvent sympathiser avec ces démarches vont découvrir d'autres façons de se comporter, de penser, d'agir, de se nourrir et de se soigner.

La lutte est faite avec un amalgame, pour englober sous le terme de sectes toutes ces démarches-là. S'il était question de lutter contre les dérives sectaires, eh bien on lutterait contre les dérives sectaires, partout, non en lutte contre les dérives sectaires uniquement quand il s'agit de mouvements spirituels. C'est donc bien la preuve manifeste qu’il y a une haine des sectes, une peur des sectes, une phobie des sectes, en France, qui fait que le dossier est complètement pourri.

Je ne dirais pas, comme Emmanuelle Mignon, la fameuse phrase qu’a prononcée la conseillère de M. Sarkozy, en disant que le problème des sectes était un « non problème ». Je dirais que le problème des sectes est un problème très  mal posé et qu’il serait beaucoup plus simple de résoudre, si on voulait regarder les choses de sang-froid et être beaucoup plus objectif sur la situation.

Cette histoire de sectes, c'est un montage qui n'a plus lieu d'être. Ce sont des clichés qui empêchent de penser. Donc, il faut raisonner, maintenant, en comprenant que chacun, si nous continuons ce système, peut être traité de sectes et que ce schéma-là, nous l’avons tous dans la tête. Même si vous n’êtes pas dans une secte, et même si vous êtes  dans une secte, vous allez penser que l'autre est dans une secte et que l'autre est dangereux, et qu'effectivement c’est vrai qu’il y a des risques mais ce n'est pas chez moi, c'est toujours chez l'autre. Et cela, il est impossible actuellement, telle que la politique est  menée, de s'en sortir.

La MIVILUDES est anticonstitutionnelle dans sa démarche, je le dis très clairement. La Constitution dit que nous ne pouvons pas condamner quelqu'un sans l’avoir entendu, sans lui avoir offert un procès équitable et sans avoir commencé par lui offrir la présomption d'innocence. C'est pourquoi la France est pointée du doigt par de nombreux pays à l'étranger et ce qu'elle ne comprend pas, elle dit qu'elle est toujours à la pointe d’une mission extraordinairement positive de lutte contre les sectes et qu’elle est la seule au monde à avoir tout compris mais, en fait, ce qu’on lui reproche, ce n'est pas de lutter contre les sectes, c'est la façon dont elle le fait, c'est qu’elle ne respecte pas les règles constitutionnelles, les règles sacrées de notre démocratie. Les experts véritables, c'est-à-dire des gens qui sont capables de faire la balance entre les parties, d'étudier les choses impartialement, professionnellement, cela existe très peu en France.

Nous avons quelques sociologues qui enquêtent, qui essayent de voir sur le terrain, ceux-là sont immédiatement diabolisés, puisqu'ils ont commercé avec la secte, puisqu'ils sont entrés dans la secte, ils l'ont analysée et donc, forcément, ils sont manipulés.

Il faut arriver à sortir de cela, par l'information, par l'écoute des thèses contradictoires en présence. La MIVILUDES n'a jamais accepté le contradictoire, jamais, l’ADFI pareil, l’ADFI : « Nous ne parlons pas avec ces gens-là parce qu'ils sont tellement forts qu'ils vont vous embrouiller ». Le grand dada, maintenant, de la MIVILUDES, c’est de dire que les sectes qui veulent faire de l'argent ont vu que, dans le domaine de la formation, il y avait un paquet de fric à se faire et donc, elles se sont engouffrés là-dedans. C'est amusant de voir, parmi les critères que définit la MIVILUDES pour alerter sur le risque sectaire, il y a par exemple, la connaissance de soi, la réflexion sur le sens de la vie, tout ce qui est développement personnel, tout ce qui est étude de son propre comportement. Donc, devient sectaire celui qui s'interroge sur lui-même et qui ne marche pas, qui ne suit pas les directives de la société dans son ensemble et de la société en particulier dans laquelle il travaille. Depuis mon entrée à l'Ecole de Journalisme de Lille, je me suis intéressé à la déontologie du métier, autrement dit aux conditions d'exercice du métier. Nous étions quelques étudiants à critiquer très fortement que cette école nous formait à rentrer dans le moule des médias tels qu'ils étaient, sans produire une réflexion de fond sur le rôle de l'information dans une démocratie.

La plupart des grands médias sont détenus par des capitaines d'industrie, qui sont donc très proches du pouvoir, dont les intérêts sont convergents, avec ceux du pouvoir et donc qui, non pas censurent les journalistes, c'est plus une autocensure du journaliste qui ne peut plus dire réellement ce qu'il voit, ce qu'il a envie de dire, parce qu'il sait très bien que telle ou telle idée, tel ou tel constat ne pourrait pas passer dans les colonnes de sa presse. La Convention Collective Nationale des Journalistes, c'est-à-dire le document qui régit les relations de travail entre les journalistes et leurs employeurs, stipule bien que le journaliste a une liberté totale d'expression, dans la mesure où cette liberté d'expression ne va pas à l'encontre des intérêts du propriétaire du média.

De plus en plus de médias sont très dépendants de la publicité, puisqu'ils vivent plus de la publicité que des lecteurs, du soutien de leur lectorat par les abonnements, par les achats qui diminuent d'année en année. Donc, c'est un vrai problème puisque la presse perd de plus en plus sa crédibilité, c'est un serpent qui se mord la queue, parce que plus elle perd sa crédibilité auprès des lecteurs, plus elle est obligée de recourir à la publicité et plus la publicité oriente plus ou moins directement le contenu des articles. J'ai parlé de l'autocensure, c'est quelque chose qui marche beaucoup.

Le journaliste français sait depuis longtemps, que la vérité n'est pas atteignable, donc il ne cherche plus la vérité. Mais il ne l’a remplacée par rien, il dit simplement : « Je m'engage à être honnête ». Cela met tout en l'air, parce que si on ne cherche pas la vérité, on a son honnêteté par rapport à ses croyances, par rapport à ses convictions et non plus par rapport à ce qui est.

En tant que journaliste, je sais que je suis un professionnel de la manipulation, donnez-moi n'importe quel fait, je vous en tire quelque chose de positif ou je vous en tire quelque chose de négatif. Il suffit que je le décide, je trouverai autant d'éléments pour prouver l'un que l'autre. Tous mes confrères savent très bien que, quand ils enquêtent sur quelque chose, ils peuvent aussi bien détruire que construire. Cela dépend de leur point de vue. Actuellement, le point de vue des journalistes, c'est détruire les sectes.

Je m'adresse là à mes confrères, à la presse : prenez déjà vos informations aux différentes sources, ne vous contentez pas de ce que vous dit l’ADFI, la MIVILUDES, quand il est question de sectes, ni le Conseil de l'Ordre des Médecins. Il suffirait déjà qu'il y ait une information neutre et objective à partir des éléments existants, nous verrions  les journalistes enquêter, par exemple, sur l’ADFI, savoir qui sont les membres de l’ADFI, quel est son budget, le nombre exact des victimes. Donnez-moi des statistiques précises, pour savoir qui sont les victimes des sectes. Est-ce que les méthodes pour déterminer qui est une secte et qui ne l'est pas sont scientifiques ? Si on cherche à connaître, et en plus à ne pas diaboliser ceux qui ne le méritent pas, parce que dans la liste des sectes, tous les responsables politiques qui ont suivi de près, à part un petit quarteron de députés qui sont vraiment fanatisés contre les sectes mais, à part ceux-là, la plupart reconnaissent que dans ce guide il y a plein de mouvements qui ne mériteraient pas d'y être.

Quand nous pensons secte, mouvement terroriste, quasi terroriste qui ne vit que pour exploiter les gens, ce n'est pas vrai. Il y a plein de gens qui pourraient parler autrement, qui pourraient dire que les choses en France sont arrivées à un point complètement aberrant dans cette politique antisectes. Mais non, la facilité et la paresse, qui sont les deux principaux défauts que Kant avait mis en avant dans son fameux écrit, Qu'est-ce que les lumières ?, quels sont les principaux défauts des hommes par rapport à la lumière : c'est la lâcheté et la paresse. L'aspect proprement spirituel de l'homme, ce que j'appelle l'âme, doit être défendu, c'est pour cela que je viens d'écrire un livre qui s'appelle Les droits de l'âme, pour une reconnaissance politique de la transcendance. On est là à vouloir faire peur aux gens, en disant : « Attention, n’allez pas dans toutes ces nouveautés, faites attention à tous ces groupements », que nous nommons sectes pour bien jeter la peur et effrayer les populations, et dire que ce sont des manipulateurs qui vont prendre votre argent et votre vie, sans voir que derrière il y a des individus, des hommes, des femmes, des enfants, des familles, des amis, des gens, des personnes humaines qui ont des convictions, oui, fortes, parfois.

Alors, qui a raison ? Celui qui cherche honnêtement ne trouve pas un environnement apaisé où il va pouvoir faire son choix en toute connaissance de cause, où il peut y avoir une sorte de marché des spiritualités, où chacun est à égalité et défend sa vision avec ses moyens. Là, nous sommes en France, il y a des bons, des mauvais, c'est très manichéen. Il y a les bons, les grandes religions reconnues, puis il y a les mauvais, ce sont tous les petits nouveaux. Dans le Figaro du 11 septembre 2009, « Quand nous perdons notre capacité à engager une conversation civile les uns avec les autres, sur les sujets d'importance réelle, nous ne perdons pas seulement notre capacité à relever de grands défis, nous perdons quelque chose d'essentiel à propos de nous-mêmes ». Je trouve que c'est une très belle phrase, elle a été prononcée par M. Barak Obama à propos du débat sur son système de santé.

Mais je trouve que la France, si elle n'est pas capable de discuter avec ses enfants qui sont dans des contextes un peu différents, qui ont des pensées étranges, si elle n'est pas capable de les écouter et si elle ne veut que les exclure, les diaboliser, non seulement elle n'arrivera pas à relever le défi de la cohabitation des différents pensées  mais, en plus, elle perd de son âme, l'âme de la démocratie, l’âme de lumière, l'âme des droits de l'homme qui dit que chaque homme a le droit d'être entendu, de défendre son dossier dans des conditions équitables.

Jean-Luc Martin-Lagardette a publié plusieurs ouvrages : Vrai comme l'info, en 2001, l'Information Responsable, en 2006, Comment va Youri, en 2007, Vademecum de l’Eau et Les Droits de l'Ame, en 2008, et enfin, Le Guide de l'écriture journalistique et Evolution et finalité, Darwin, Monod, Dieu, en 2009.     

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