Transcription intégrale de l'interview de Jean-Luc Martin-Lagardette
Jean-Luc Martin-Lagardette est journaliste
depuis 1975. Ancien élève de l’École supérieure de journalisme de
Lille, il a été notamment rédacteur en chef du mensuel Décision
Environnement. Il est par ailleurs à l’origine, avec l’Alliance
internationale de journalistes et son confrère Yves Agnès, de
l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse (APCP),
qui œuvre pour la création en France d’une instance d’éthique et de médiation
de la presse. Auteur de plusieurs ouvrages sur
le journalisme, l’environnement, essayiste, il
est également professeur de journalisme. Sur son site (jlml.fr),
il explique la nécessité pour chaque citoyen, et plus encore pour la
presse, de ne jamais abandonner le souci de la vérité ni celui de
l’intérêt général (la démarche véritale). Il est actuellement
rédacteur en chef du magazine en ligne
Ouvertures.
Dans cette interview, il nous donne son point de vue éclairé sur la
lutte antisectes et le rôle des médias.
Jean-Luc
Martin-Lagardette : « Je suis journaliste depuis 1975,
ancien de l'Ecole Supérieure de Journalisme de Lille.
J'ai travaillé ensuite dans la presse locale, dans un
grand quotidien régional, avant de venir à Paris
travailler dans la presse professionnelle, dans un
premier temps pour un magazine pour les professionnels
des collectivités locales, puis ensuite j'ai rejoint, à
l'époque de sa création, le magazine
Décision-Environnement. Ensuite, pendant dix ans, j'ai
été pigiste. En même temps, j'avais toujours des
activités de formateur en journalisme. Puis, j'ai écrit
quelques livres, des guides pratiques ou des livres de
réflexion plus philosophiques, et depuis deux ans je suis
rédacteur en chef du magazine en ligne Ouvertures, qui
est accompagné d'une lettre trimestrielle que nous
envoyons à nos abonnés, gratuitement, et qui est le
portail de l'honnête homme du XXIe siècle. La lutte
contre les dérives sectaires me paraît indispensable.
Pour moi, c'est légitime que le gouvernement, que
certaines institutions, veillent à ce que des charlatans,
pour la question des thérapies naturelles ou différentes,
ne sévissent pas et n'abusent pas de la crédulité des
populations. De même, il est important que dans les
groupes qui peuvent se constituer, quels qu'ils soient,
il n'y ait pas de démarche qui fasse que les populations
les plus faibles soient empêchées de s'épanouir librement
et soient mises dans des orientations pour être
exploitées. L'idée me paraît formidable et que la France
ait une politique dans ce domaine, j'approuve. Je trouve
ça très bien. Le problème, c'est la façon dont elle est
appliquée, parce qu'il ne s'agit absolument pas en fait,
selon ce qui est dit, de lutte contre les dérives
sectaires, mais de lutte contre les sectes.
Je ne dirais pas, comme Emmanuelle Mignon, la fameuse phrase qu’a
prononcée la conseillère de M. Sarkozy, en disant que le problème des
sectes était un « non problème ». Je dirais que le problème des
sectes est un problème très
mal posé et qu’il serait beaucoup plus simple de résoudre, si
on voulait regarder les choses de sang-froid et être beaucoup plus
objectif sur la situation.
Cette histoire de sectes, c'est un montage qui n'a plus lieu d'être.
Ce sont des clichés qui empêchent de penser. Donc, il faut raisonner,
maintenant, en comprenant que chacun, si nous continuons ce système,
peut être traité de sectes et que ce schéma-là, nous l’avons tous
dans la tête. Même si vous n’êtes pas dans une secte, et même si vous
êtes dans une secte, vous
allez penser que l'autre est dans une secte et que l'autre est
dangereux, et qu'effectivement c’est vrai qu’il y a des risques mais
ce n'est pas chez moi, c'est toujours chez l'autre. Et cela, il est
impossible actuellement, telle que la politique est
menée, de s'en sortir.
La MIVILUDES
est anticonstitutionnelle dans sa démarche, je le dis très
clairement. La Constitution dit que nous ne pouvons pas condamner
quelqu'un sans l’avoir entendu, sans lui avoir offert un procès
équitable et sans avoir commencé par lui offrir la présomption
d'innocence. C'est pourquoi la France est pointée du doigt par de
nombreux pays à l'étranger et ce qu'elle ne comprend pas, elle dit
qu'elle est toujours à la pointe d’une mission extraordinairement
positive de lutte contre les sectes et qu’elle est la seule au monde
à avoir tout compris mais, en fait, ce qu’on lui reproche, ce n'est
pas de lutter contre les sectes, c'est la façon dont elle le fait,
c'est qu’elle ne respecte pas les règles constitutionnelles, les
règles sacrées de notre démocratie. Les experts véritables,
c'est-à-dire des gens qui sont capables de faire la balance entre les
parties, d'étudier les choses impartialement, professionnellement,
cela existe très peu en France.
Je m'adresse là à mes confrères, à la presse : prenez déjà vos
informations aux différentes sources, ne vous contentez pas de ce que
vous dit l’ADFI, la MIVILUDES, quand il est question de sectes, ni le
Conseil de l'Ordre des Médecins. Il suffirait déjà qu'il y ait une
information neutre et objective à partir des éléments existants, nous
verrions les journalistes
enquêter, par exemple, sur l’ADFI, savoir qui sont les membres de
l’ADFI, quel est son budget, le nombre exact des victimes. Donnez-moi
des statistiques précises, pour savoir qui sont les victimes des
sectes. Est-ce que les méthodes pour déterminer qui est une secte et
qui ne l'est pas sont scientifiques ? Si on cherche à connaître, et
en plus à ne pas diaboliser ceux qui ne le méritent pas, parce que
dans la liste des sectes, tous les responsables politiques qui ont
suivi de près, à part un petit quarteron de députés qui sont vraiment
fanatisés contre les sectes mais, à part ceux-là, la plupart
reconnaissent que dans ce guide il y a plein de mouvements qui ne
mériteraient pas d'y être.
Quand nous pensons secte, mouvement terroriste, quasi terroriste qui
ne vit que pour exploiter les gens, ce n'est pas vrai. Il y a plein
de gens qui pourraient parler autrement, qui pourraient dire que les
choses en France sont arrivées à un point complètement aberrant dans
cette politique antisectes. Mais non, la facilité et la paresse, qui
sont les deux principaux défauts que Kant avait mis en avant dans son
fameux écrit, Qu'est-ce que les
lumières ?, quels sont les principaux défauts des hommes par
rapport à la lumière : c'est la lâcheté et la paresse. L'aspect
proprement spirituel de l'homme, ce que j'appelle l'âme, doit être
défendu, c'est pour cela que je viens d'écrire un livre qui s'appelle
Les droits de l'âme, pour une
reconnaissance politique de la transcendance. On est là à vouloir
faire peur aux gens, en disant : « Attention, n’allez pas dans toutes
ces nouveautés, faites attention à tous ces groupements », que nous
nommons sectes pour bien jeter la peur et effrayer les populations,
et dire que ce sont des manipulateurs qui vont prendre votre argent
et votre vie, sans voir que derrière il y a des individus, des
hommes, des femmes, des enfants, des familles, des amis, des gens,
des personnes humaines qui ont des convictions, oui, fortes, parfois.
Alors, qui a raison ? Celui qui cherche honnêtement ne trouve pas un
environnement apaisé où il va pouvoir faire son choix en toute
connaissance de cause, où il peut y avoir une sorte de marché des
spiritualités, où chacun est à égalité et défend sa vision avec ses
moyens. Là, nous sommes en France, il y a des bons, des mauvais,
c'est très manichéen. Il y a les bons, les grandes religions
reconnues, puis il y a les mauvais, ce sont tous les petits nouveaux.
Dans le Figaro du 11 septembre 2009, « Quand
nous perdons notre capacité à engager une conversation civile les uns
avec les autres, sur les sujets d'importance réelle, nous ne perdons
pas seulement notre capacité à relever de grands défis, nous perdons
quelque chose d'essentiel à propos de nous-mêmes ». Je trouve que
c'est une très belle phrase, elle a été prononcée par M. Barak Obama
à propos du débat sur son système de santé.
Mais je trouve que la France, si elle n'est pas capable de discuter
avec ses enfants qui sont dans des contextes un peu différents, qui
ont des pensées étranges, si elle n'est pas capable de les écouter et
si elle ne veut que les exclure, les diaboliser, non seulement elle
n'arrivera pas à relever le défi de la cohabitation des différents
pensées mais, en plus,
elle perd de son âme, l'âme de la démocratie, l’âme de lumière, l'âme
des droits de l'homme qui dit que chaque homme a le droit d'être
entendu, de défendre son dossier dans des conditions équitables.
Jean-Luc Martin-Lagardette a publié plusieurs ouvrages : Vrai comme
l'info, en 2001, l'Information Responsable, en 2006, Comment va
Youri, en 2007, Vademecum de l’Eau et Les Droits de l'Ame, en 2008,
et enfin, Le Guide de l'écriture journalistique et Evolution et
finalité, Darwin, Monod, Dieu, en 2009.
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