LA LIBERTE DE RELIGION

 

Une culture de violence, de discrimination et de haine est en train de réapparaître

 

Source: Nations unies, Genève, 7 avril 2003.

http://www.droitshumains.org/ONU_GE/Commission/59/dcp_relig.htm

 

ABDELFATTAH AMOR, rapporteur de la commission

 

 

La Commission a entendu, le 7 avril 2003, l'intervention de Abdelfattah Amor, Rapporteur spécial sur la liberté de religion et de conviction, qui a présenté son rapport dans le cadre de l'examen de la question des droits civils et politiques.  

 

Une culture de violence, de discrimination et de haine est en train de réapparaître, s'est inquiété M. Amor, qui a constaté une tendance générale à la montée de l'intolérance et de la discrimination fondée sur la religion et la conviction, comme en témoignent les allégations reçues. A cet égard, il a précisé que les minorités religieuses et notamment musulmanes étaient particulièrement affectées. M. Amor a également rendu compte de sa visite en Algérie. Le représentant de l'Algérie a aussi fait une déclaration en qualité de partie concernée .

 

Présentant son rapport, ABDELFATTAH AMOR, Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, a précisé que son rapport principal traite successivement de la gestion de l'intolérance et de la discrimination fondées sur la religion ou la conviction d'une part, et de la prévention de ces phénomènes d'autre part. Il a indiqué que la Géorgie a répondu favorablement à une demande de visite; que l'Irak a sollicité une visite; que la Russie et l'Indonésie réservent pour cette année leurs réponses à des demandes de visite; que la République populaire démocratique de Corée, le Nigeria et la Roumanie n'ont donné, jusque là, aucune suite aux demandes qui leur ont été adressées; qu'Israël ne semble envisager aucune coopération avec le mandat au titre des visites (Israël a refusé explicitement une demande de visite formulée sur la base de la résolution de la Commission du 19 octobre 2000 et ne coopère pas non plus en vue d'une visite s'inscrivant dans le cadre général du mandat et qui a fait l'objet d'une demande en 1996, plusieurs fois réitérée depuis). M. Amor a par ailleurs indiqué que les activités de prévention relevant de son mandat s'orientent vers la condition de la femme au regard de la religion, de la conviction et des traditions; vers la mise en œuvre du document final de la Conférence de Madrid relatif à l'école en tant qu'instrument de lutte contre l'intolérance et la discrimination fondées sur la religion ou la conviction; ainsi que vers le dialogue interreligieux.  

 

Le Rapporteur spécial a souligné qu'il est essentiel qu'au moment où se développent les appels implicites et explicites à la confrontation des cultures et des religions et où les simplismes cherchent à entretenir les tensions religieuses et à donner aux conflits politiques un souffle qu'ils veulent imputer aux religions, que le dialogue entre les religions se déclenche réellement et se renforce. Une culture de violence, de discrimination et de haine est en train de réapparaître en violation des normes du droit international. La représentation de l'autre, de l'étranger, de celui qui sort d'une normalité particulière, se fait de plus en plus conflictuelle, a insisté M. Amor. Il a ajouté que la justification et la légitimation idéologique, politique et juridique de cette nouvelle situation est en train de réduire notre humanité à une humanité au rabais, faite de haine, d'ostracisme, de diabolisation, de non-respect de la diversité, notamment religieuse et culturelle. "Il est urgent de contenir cette évolution et de lui faire obstacle", a déclaré le Rapporteur spécial. "Il est urgent que les religions rejettent fermement cette évolution", a-t-il ajouté.  

 

La période qui s'est écoulée entre la fin de la cinquante-huitième session de la Commission et le début de la présente session révèle une tendance générale à la montée de l'intolérance et de la discrimination fondées sur la religion ou la conviction, a constaté M. Amor. Les communications adressées, les allégations reçues, en témoignent amplement. Les minorités religieuses et notamment les minorités musulmanes aux Etats-Unis et en Europe sont particulièrement affectées à cet égard. L'extrémisme religieux trouve dans le contexte international actuel un terreau encore plus fertile pour son développement. La lutte contre l'extrémisme et le terrorisme ne semble pas se préoccuper, toujours et partout, des implications des droits de l'homme et tout semble se passer aujourd'hui comme si les droits de l'homme étaient orientés sur une voie de garage.  

 

En ce qui concerne l'additif à son rapport portant sur sa visite en Algérie, M. Amor a indiqué qu'il rend compte des difficultés rencontrées par ce pays depuis plus d'une décennie et des progrès qui y sont réalisés. "Il doit être clairement et définitivement entendu qu'il n'y a pas de problème de liberté de religion ou de conviction en Algérie mais bien plutôt un problème d'instrumentalisation politique partisane et violente de la liberté de religion ou de conviction, instrumentalisation qui a conduit à toutes les dérives et dont ont été victimes des musulmans et des non-musulmans", a insisté le Rapporteur spécial. L'autorité de l'Etat, bafouée pendant plus d'une décennie, est en train d'être progressivement restaurée, a par ailleurs constaté M. Amor.  

 

Dans son rapport sur la question de l'intolérance religieuse (E/CN.4/2003/66), le Rapporteur spécial indique que l'analyse des communications au regard de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction révèle une fois encore une tendance générale à la montée de l'intolérance et de la discrimination contre les minorités religieuses et les femmes placées dans une situation d'extrême vulnérabilité, ainsi qu'une expansion de l'extrémisme religieux affectant toutes les religions. Les minorités religieuses sont affectées principalement par la remise en cause de leur existence même en tant que communautés ayant leurs spécificités, comme le montrent les déportations d'adventistes et de protestants en Azerbaïdjan, les campagnes de répression des membres du Falun Gong et l'arrestation, l'incarcération et l'expulsion des monastères des religieux tibétains ainsi que les condamnations à la peine de mort de chrétiens en Chine; le harcèlement des chrétiens au Myanmar; les condamnations à mort de membres de la communauté ismaélite en Arabie saoudite et les arrestations de protestants et d'adventistes au Turkménistan.  

 

Ces minorités subissent également des restrictions directes ou indirectes aux manifestations de leur identité religieuse ou de conviction comme l'attestent la destruction des lieux de culte des bouddhistes tibétains et l'expulsion des nonnes et moines des monastères en Chine, l'occupation et la destruction partielle d'une propriété du Patriarche arménien en Israël, la fermeture des lieux de culte des minorités religieuses en Erythrée, les menaces de fermeture des lieux de culte des baptistes en République de Moldova et des communautés protestantes en Turquie, ainsi que les obstacles à l'objection de conscience, ou encore la non-reconnaissance de celle-ci, qui entraînent l'emprisonnement des Témoins de Jéhovah en République de Corée.  

 

Le Rapporteur spécial précise que l'intolérance vis-à-vis des minorités religieuses est souvent le fait d'entités non étatiques, principalement des communautés religieuses et des organisations politico-religieuses extrémistes. C'est le cas des multiples attaques violentes d'extrémistes orthodoxes contre des Témoins de Jéhovah, des pentecôtistes et des catholiques en Géorgie, des attaques de musulmans par des extrémistes hindous en Inde et des attaques d'extrémistes musulmans contre les minorités religieuses au Bangladesh, en Indonésie et au Pakistan. C'est le cas également des violences contre des chrétiens coptes et leurs lieux de culte en Egypte, des attaques contre des églises catholiques, adventistes, méthodistes et nazaréennes en Yougoslavie. L'analyse des communications révèle également la condition très préoccupante, voire tragique, des femmes. Les communications du présent rapport couvrent des situations et des cas extrêmes où, en vertu de considérations imputées à la religion, des femmes sont condamnées à la lapidation, au Nigeria notamment.  

 

Plus généralement, le Rapporteur spécial estime qu'il ressort de ces communications que la distinction ne semble pas évidente entre les catégories raciales et celles de type religieux. L'identité de nombreuses minorités, ou même de groupes humains importants, se définissant souvent par sa dimension à la fois raciale et religieuse, dans nombre de cas de discrimination les frontières sont loin d'être étanches entre le racial et le religieux. De nombreuses discriminations sont, de ce fait, aggravées par les incidences des identités multiples. Le Rapporteur spécial met en évidence une croissance vertigineuse de l'extrémisme se réclamant de manière réelle ou fictive de la religion. A cet égard, il souhaite rappeler que l'extrémisme intra ou interreligieux n'est le travers d'aucune société ni d'aucune religion en particulier mais affecte, à des degrés variables, toutes les religions.  

 

Le Rapporteur spécial fait valoir que l'extrémisme imputé à la religion a atteint son paroxysme avec les actes terroristes du 11 septembre 2001, dont l'onde de choc a provoqué des déstabilisations régionales sans précédent. Il estime dès lors urgent de s'interroger sur le défi que posent la dépendance et le fléau de l'extrémisme religieux mais surtout de répondre aux fléaux que sont la pauvreté, l'injustice et le sous-développement, qui constituent le terreau fertile de tous les extrémismes, notamment religieux. Le Rapporteur spécial rappelle qu'il est nécessaire que les valeurs et les principes qui fondent les droits de l'homme et en assurent l'universalité, l'indivisibilité et l'interdépendance soient respectés et que cesse la stigmatisation inacceptable des musulmans qui se poursuit dans maints pays. Il nous faut impérativement sortir du cercle vicieux qui condamne au sacrifice de l'autre sur l'autel de la défense de la civilisation, met-il en garde. A cet égard, l'éducation et le dialogue interreligieux constituent des axes essentiels de la stratégie destinée à prévenir, à moyen et à long terme, les violations actuelles constatées résultant de l'extrémisme religieux, les politiques, législations et pratiques portant atteinte aux minorités religieuses ainsi que les discriminations imputées à la religion affectant les femmes.  

 

En dernier lieu, M. Amor réitère ses recommandations visant à la tenue d'assises internationales à un haut niveau gouvernemental sur la question dite "des sectes" afin de déterminer une approche commune respectueuse des droits de l'homme, en particulier de la liberté de religion, pour ce qui est à la fois de l'extrémisme religieux, en vue d'adopter un minimum de règles et de principes communs de conduite et de comportement, et des discriminations affectant les femmes imputées à la religion ou aux traditions afin que soit adopté un véritable plan d'action.  

 

Dans l'additif à son rapport (E/CN./2003/66/Add.1), le Rapporteur spécial rend compte de sa visite en Algérie du 16 au 26 septembre 2002. Il présente une analyse des cadres juridique et politique de la liberté de religion ou de conviction ainsi que la situation en matière de croyance et de manifestation de la croyance. L'instrumentalisation politique partisane de l'islam et la violence générée par l'extrémisme religieux, autant que la condition de la femme, le dialogue intra et interreligieux et le rôle de l'école en tant que vecteur de tolérance et de non-discrimination y sont soulignés. Les conclusions et recommandations que comporte le rapport concernent aussi bien la gestion que la prévention de l'intolérance et de la discrimination fondées sur la religion ou la conviction.

 

 

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