Politique et spiritualité

L'anti-sectarisme est-il né à gauche ?

par André Tarassi  (février 2007)


L’anti-sectarisme est-il né à gauche ?

Les minorités spirituelles en France ont pris conscience d’une nouvelle répression à leur encontre à l’arrivée du pouvoir socialiste, en 1981. On a bien évoqué, comme cause officielle, la nécessité de « sévir » parce qu’il y avait eu la grande affaire du « suicide collectif » de Jonestown en 1978, mais si les gouvernements suivants, toutes tendances confondues, se sont réapproprié la « mission », il reste que les plus virulents adversaires des minorités spirituelles sont bien engagés « à gauche » (Jean-Pierre Brard, Catherine Picard, Alain Vivien, Philippe Vuilque, Anne Hidalgo, Roger Ikor et également Lionel Jospin, qui a créé la MILS, ancêtre de la Miviludes, puis la création du "délit de manipulation mentale" par les députés socialistes).

La gauche incarne-t-elle la volonté de ne pas tolérer la démarche spirituelle (surtout quand elle sort des sentiers battus) au sein de la République ? Ou s’agit-il de simples opportunismes indépendants des partis ? A l’approche des élections présidentielles, le CICNS souhaite se pencher sur cette question.

En 1982, soit un an après la venue au pouvoir des socialistes, le député Alain Vivien est chargé par le Premier Ministre Pierre Mauroy, d’une mission parlementaire sur la question : Les sectes en France : expressions de la liberté morale ou facteurs de manipulations ? à la suite de laquelle il fera neuf propositions contre les sectes, dont la sixième sera jugée contraire aux libertés individuelles (une famille aurait pu saisir un juge pour qu’il écarte leur enfant majeur d’un groupe spirituel par exemple). Une fois investi de cette mission, M. Vivien ne l’a jamais abandonnée. Il a longtemps été perçu comme le « monsieur antisectes ».

Lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet de la spiritualité, les propos sont souvent épidermiques. Michel Portal, dans un article sur la gauche.org, reconnaît que lorsqu'il est question de spiritualité « nous arrêtons de réfléchir, sans doute à cause de souffrances héritées des siècles de domination confessionnelle dans notre pays ». Mais Sylvain Ethiré, sur la même page de ce site de gauche, ajoute : « Nous ne demandons pas à chacun(e) un brevet de mécréance, mais nous demandons par contre à chacun(e) de ne pas nous les briser menu avec ses éventuels ébats divins ».

Tout est dit. Du côté gauche de la vie, on ne veut pas en entendre parler et l’idée de réduire l’expression spirituelle à la « sphère privée », comme on dit en langage protocolaire, est la façon édulcorée de signifier la « réduire à néant ». Les actions de ces dernières années indiquent sans ambiguïté comment la « lutte contre les dérives sectaires » a pour véritable objet de décimer sans discernement les groupes spirituels qui n'ont pas encore acquis assez de notoriété pour être intouchables (comme le sont les grandes religions). Il n’y a qu’à voir comment certains, dans les cercles de l’anti-sectarisme, se félicitent ouvertement de la disparition de tel ou tel mouvement en France.

Michel Bussi, de l’université de Rouen, dit : « (…) Le modèle français de laïcité est assez trompeur : la lutte entre Etat et Eglise, dans sa durée et son intensité, est une spécificité française qui n'a guère d'équivalent dans d'autres pays. De ce fait, la voie française de « laïcité » comme voie de la modernité démocratique ne peut guère être érigée en modèle universel. Au contraire, nombre de démocraties précoces conservent des liens affirmés avec la religion. »

D’où est issu le public des minorités spirituelles ?

Dans Le Monde Diplomatique, lors d’un sondage de fin de siècle, Dominique Vidal nous révélait que « la moitié des citoyens déclarent ne plus appartenir à une Eglise, pas plus qu’à un temple, une synagogue ou une pagode. Qui sont ces « sans-religion », bientôt majoritaires ? Pourquoi ne se reconnaissent-ils pas - ou plus - dans les institutions religieuses ? (…)  En 1966, 89 % des Français déclaraient appartenir à une religion et 10 % s’affirmaient « sans religion » (1). Trente-deux ans plus tard, les pourcentages respectifs se montent à 55 % et 45 % » « les spécialistes (...) affirment que les « sans-religion » préfèrent le « bricolage », la « randonnée » et le « hors piste », qu’ils croient « à la carte » plutôt qu’« au menu », que ce sont des « héritiers sans testament », voire des « SDF de la croyance (…) Car « sans-religion » n’est pas, tant s’en faut, synonyme d’« athée ». Selon l’enquête de 1999, 29 % des « sans-religion » se déclarent « athées convaincus » mais 23 % croient en Dieu, 26 % à « une sorte d’esprit ou de force vitale », 26 % à la vie après la mort, 12 % au paradis, 7 % à l’enfer, 15 % au péché, 23 % à la réincarnation (7). Des cérémonies religieuses leur semblent importantes pour la naissance (33 %), le mariage (39 %) et le décès (46 %).»

Pour Yves Lambert, du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité, deux composantes l’emportent aujourd’hui : « les "indifférents", enfants de la sécularisation qui n’ont pas grandi dans un univers religieux et ignorent celui-ci et les "intéressés", dont la recherche d’une spiritualité individuelle et libre, hors de toute institution, exclut le prêt-à-penser ».

Les nouvelles formes de la spiritualité, plus ou moins dérivées des grandes traditions, ont rassemblé ces millions de personnes qui se sont éloignées des dogmes anciens et du cadre de la religion. C’est un phénomène qui se joue en marge des considérations politiques dans un pays comme la France qui, ayant fièrement créé une séparation entre l’Eglise et l’Etat, se voit toujours pris par surprise par l’évolution de la spiritualité. De plus, les partis politiques subissent un rejet de plus en plus marqué de la population, un discrédit qui survient en parallèle d’affaires de corruption et d’un manque réel d’inspiration des leaders politiques.

Politique et sens de la vie

Les minorités spirituelles, au juste milieu entre les intégrismes religieux de l’extrême droite et le «ni dieu ni maître » de l’extrême gauche, ont la faveur d’une grande partie de la population qui y trouve la fraîcheur et le sens qui manque de plus en plus aux programmes politiciens.

Dans la présentation de son livre « la voie humaine », Jacques Attali interroge : « La gauche a-t-elle encore quelque chose à dire ou n'est-elle plus, comme la droite, qu'une machine à gagner des élections ? Y a-t-il de la place pour un projet politique ? Les partis semblent ne pas avoir le courage de répondre à ces questions. Ils se contentent d'attendre qu'une sanction frappe l'autre camp. En particulier, les partis de gauche n'ont plus ni vision du monde, ni doctrine, ni programme ; ils n'ont plus que des postures. »

Pour Yvon Quiniou, les interprétations du phénomène religieux proposées par Marx, Nietzsche et Freud, ont conduit à la réduction anthropologique de la religion, c’est-à-dire au fait que la science tente de comprendre et d’expliquer l’expérience religieuse sans la foi, ce qui est une contradiction essentielle.

Les expressions à droite

Au contraire des affirmations anti-religieuses de gauche, de très rares personnalités politiques dites « de droite », comme Nicolas Sarkozy, se sont exprimées à contrecourant de la pensée unique ou de la discrétion de mise sur ce sujet sensible. Le 20 juin 2005, lors d’une réunion inter religieuse au Théâtre de Neuilly, il a déclaré : « les religions sont un plus pour la République ! elles permettent d’espérer (…) Nos quartiers sont devenus des déserts spirituels, je ne pense pas que nous ayons quoi que ce soit à y gagner (…) si personne n’explique que la vie n’est pas un produit de consommation, il ne faut pas s’étonner que le sens de la vie ne soit pas le même à La Courneuve qu’à Neuilly (…) Ne cédez pas au terrorisme de la pensée unique. Ne vous laissez pas moquer, diffamer, insulter. (...) Vous n’avez pas à vous excuser de ce que vous croyez. Il est normal de prendre part au débat public. Si vous croyez, vous devez parler, prendre parti, partager » et il a ajouté, sur la question de la nécessité de préserver la sphère privée et la sphère publique : «il n’y a pas deux vies. Comme si la part de soi la plus intime et la plus intéressante, il fallait l’abandonner jusqu’au samedi matin et au dimanche soir inclus. Le domaine de la vie privée n’a pas de sens. C’est le domaine de la vie tout court ». M. Sarkozy ne fait pas que prêcher la tolérance, tout à fait absente des discours de ses collègues politiciens, mais il incite à l’affirmation de la foi et au débordement du cadre laïque habituel en France. C’est une position courageuse, ou peut-être calculée, bien que nous ne voyons pas, devant la levée de boucliers que provoquent ses propos, et le risque que les Français ne suivent pas vraiment, comment ce calcul pourrait jouer en faveur de ses ambitions. Il reste que sa position est diamétralement opposée à celle de M. Jean-Pierre Brard, communiste, qui s’est apparemment saisi de cette croisade contre les sectes pour se faire connaître d’une autre manière. Deux méthodes similaires dans la forme qui peuvent trahir des ambitions mais qui reflètent assez fidèlement, cependant, le grand écart des partis politiques en regard de la spiritualité.

Le règne de la pensée unique en politique

En 1999, les rapporteurs de la commission d’enquête sur les sectes et l’argent demandaient : "Est-il normal qu'aux dernières élections européennes et législatives, le Parti de la loi naturelle (Méditation transcendantale) ait disposé du même temps de parole que, par exemple, les partis issus du mouvement écologique?" Selon ces rapporteurs, le temps de parole devrait donc être calculé selon la crédibilité des candidats ? Et qui jugera de cette crédibilité ?  Deux partis étaient visés dans le Rapport : le Parti de la loi naturelle et le Parti humaniste. Les rapporteurs reprochaient à des « sectes » d'avoir créé des mouvements politiques avec l’objectif caché de récolter des subventions publiques et de se faire connaître à la télévision. Officiellement, il s'agit donc de défendre la démocratie contre des mouvements sectaires qui s’immisceraient dans le jeu politique. Mais la véritable logique du rapport apparaît plus clairement dans les solutions proposées : « Ne convient-il pas, en premier lieu, de soumettre le bénéfice de la première fraction de l'aide budgétaire annuelle à l'obtention d'un seuil de voix aux dernières élections législatives ? Cette première recommandation serait de nature à empêcher que l'Etat ne finance, chaque année, la propagande de mouvements sectaires. » Un tel raisonnement est en opposition flagrante avec l’esprit de la démocratie.  Un internaute s'interroge sur le "Webzine du cercle social" : Les citoyens seraient-il jugés incapables de se prononcer sur la crédibilité politique des idées proposées par telle ou telle organisation ? Les propositions de ce type montrent la volonté d'empêcher les organisations minoritaires de s'exprimer en public. La lutte contre les sectes n'est finalement qu'un alibi pour faire passer des mesures antidémocratiques, comme la lutte anti-terroriste l’a été pour le gouvernement des États-Unis (voir le Patriot Act)

Nous sommes témoins d’une époque qui voit, une nouvelle fois dans l’histoire, la régression des principes de liberté individuelle si difficilement gagnés sur le despotisme naturel des dirigeants.

Les minorités spirituelles, empêchées de s’exprimer, devraient-elles voter à droite ?

Les minorités spirituelles sont contraintes à un silence coupable. Elles ont entendu qu’elles ne devraient pas exister et qu’elles constituent une telle menace pour la République qu’il ne leur reste que le droit de vote de leurs membres. Mais, arrivés aux urnes, ces derniers prennent-ils réellement en compte leurs aspirations spirituelles dans un pays qui a su si efficacement séparer la vie en plusieurs morceaux ?

Il est difficile de trancher au sujet de l’intolérance politique vis-à-vis de la spiritualité, mais le CICNS s’engage à une vigilance accrue à la veille des élections dans notre pays afin de fournir une information claire et objective sur les propositions des leaders politiques pour le nouveau millénaire qui, selon la pensée attribuée à Malraux (à droite), « sera spirituel ou ne sera pas ».

Nous pouvons légitimement exiger des leaders politiques qu’ils intègrent la dimension spirituelle, sous ses formes nouvelles et légales, dans leur projet de société et nous ne manquerons pas de faire un parallèle des propositions des uns et des autres ainsi que d’établir un baromètre de sincérité.

Lire également "Pouvons-nous réunir la politique et la spiritualité ?" par Corinne McLaughlin

André Tarassi est né en 1961, il est le fondateur du CICNS. Chercheur indépendant, il étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 25 ans. Il a étudié le journalisme et la télévision aux États-Unis.  Il a publié, sous un autre nom, plusieurs ouvrages sur la démarche spirituelle.

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