Dossier "RG"

Les renseignements généraux (3)

Extraits du livre de Patrick Rougelet : 

RG la machine à scandales
aux éditions Albin Michel

Les extraits présentés se concentrent sur la description du fonctionnement des RG tel que décrit par l'auteur. Nous renvoyons l'internaute à la lecture fort instructive du livre, pour prendre connaissance de l'affaire personnelle de Patrick Rougelet ainsi que des nombreux exemples illustrant son propos.

Les hyperliens dans les extraits cités ont été ajoutés par le CICNS


(...) Qui connaît les RG en France ? Au-delà de l'image d'Epinal des policiers chargés de renseigner le préfet et d'enquêter sur les moeurs des notables de province, qui connaît l'étendue de leurs investigations ? Qui sait qu'ils stockent des centaines de milliers de fiches sur des citoyens, célèbres ou inconnus ?

Aux RG, j'ai appris toutes les méthodes de collecte et de traitement des renseignements dans les domaines aussi variés que la politique, la presse, le monde économique, l'univers syndical ou judiciaire. J'ai été élevé à l'école du "pas vu pas pris" où tous les moyens sont bons. J'ai moi-même participé à bon nombre d'opérations répréhensibles franchissant pour les besoins du service les lignes jaunes que la morale ou le code pénal réprouvent. A chaque fois, j'ai été félicité et même promu par mes supérieurs.

(...) J'ai choisi ici de n'évoquer qu'une série de dossiers pour lesquels je dispose d'informations solides. Ils prouvent la dérive dangereuse des renseignements généraux.

(...) Toutes les préfectures abritent leur service de renseignements généraux. Pour une fois, le nom veut bien dire quelque chose. Le renseignement y est tout ce qu'il y a de plus général. Surveillance des manifestations, surveillance de l'opinion, surveillance des élus locaux, des ambiances de conseils municipaux, de la carte électorale, des personnalités lors des manifestations officielles, les RG servent de bonne à tout faire de la préfecture.

(...) Traditionnellement, avant chaque élection, les RG locaux sont tous mobilisés pour un sondage grandeur nature... Il faut tant de mères de famille, tant de cadres, tant de professions libérales, de chômeurs, de jeunes... Généralement, les vieux briscards des RG remplissent seuls les formulaires à une table de bistrot. Je l'ai vu faire plusieurs fois... A leur décharge, à force de côtoyer l'opinion et de décrire tous ses états d'âme dans d'interminables rapports, les vieux routiers finissent par la connaître un peu.

(...) Dans le même registre, les fonctionnaires locaux sont aussi mis à contribution pour toute une série d'enquêtes de terrain. En région parisienne, par exemple, la centrale réclame régulièrement une note d'opinion sur les sujets sensibles du moment. Si une grosse entreprise licencie, une note. Si le département est secoué par des affaires judicaires, une note. Ces notes de service, des notes d'ambiance, atterrissent à la centrale. Ensuite - c'est la règle - le fonctionnaire ignore tout de ses destinataires.

(...) La vie quotidienne d'un service départemental, c'est aussi le suivi et le comptage des manifestations. Tout le monde connaît la formule, "100 000 manifestants selon les organisateurs, et 10 000 selon la préfecture", en fait, selon les fonctionnaires des renseignements généraux. L'enjeu d'une manifestation, c'est le nombre de personnes qu'elle mobilise pour occuper la rue. Pour le pouvoir en place, plus le nombre est grand, plus l'avertissement est fort. Tous les gouvernements utilisent donc les RG, d'abord pour connaître, secrètement bien sûr, le nombre réel de manifestants, ensuite pour minimiser ce nombre aux yeux de l'opinion.

(...) Aux RG, le quotidien c'est aussi "faire la bulle". Dans notre jargon, l'expression n'a rien à voir avec sa voisine "coincer la bulle". Au contraire, faire la bulle, cela veut dire entourer une personnalité lors d'une visite officielle.

(...) En 1941, la France est sous l'occupation allemande... Il faut mesurer l'état d'esprit des Français occupés, des familles coupées en deux... C'est bien dans ce contexte que l'on organise de façon moderne les RG.

(...) les RG utilisent différentes méthodes... La plus répandue est la méthode de "l'immersion" dans le milieu... Quand il est impossible d'introduire un fonctionnaire de police au sein de l'organisation à surveiller, le service a parfois recours à de l'entrisme indirect. Il n'hésite pas à utiliser un parent ou un ami d'un fonctionnaire, déjà en place, et qui renseignera indirectement.

(...) Le fonctionnement des RG dépend évidemment du couple formé par le directeur d'une part et le ministre de l'Intérieur d'autre part.

(...) En mai 1981, nous étions alors nombreux à penser que la gauche allait purement et simplement supprimer les RG. Ce qui, je dois l'avouer, nous scandalisait !

Les socialistes, qui avaient souffert de la surveillance du service pendant vingt-trois ans d'opposition, poussaient dans ce sens. Paradoxalement, leur impréparation à leur arrivée au pouvoir a sauvé les renseignements généraux dans cette délicate période. Résultat ? Non seulement les RG n'ont pas été supprimés, mais le service, depuis 1981, a changé de cap. Rapidement, la gauche a voulu l'utiliser pour connaître les dessous des cartes.

(...) Dans le système actuel des blancs [ndlr : notes anonymes rédigées par les RG] plus blancs que blancs, tout peut être écrit. Sans aucun contrôle. Sans aucune preuve. Les politiques au pouvoir - la gauche puis les chiraquiens - se sont jetés sur ces informations supposées confidentielles. Qui couche avec qui ? Qui a des relations dans les milieux d'affaires ? Qui a des malheurs avec le fisc ? Il faut avoir lu des notes blanches, parfois longues de plusieurs pages, pour mesurer les talents d'imagination des fonctionnaires. Et leur extraordinaire subtilité. Par exemple, dans les années 80, plutôt que de dire que tel patron d'entreprise de luxe est homosexuel, il convenait d'utiliser la formule : "aime le style de vie anglais".

Les RG, grâce à leurs blancs, se sont vite rendus indispensables. Les politiques se sont mêmes mis à "passer des commandes". Le monde à l'envers ! Perverti à l'extrême, le système a fonctionné à vide. Un directeur d'administration centrale, peu désireux de recevoir deux solliciteurs, exigea que lui soit adressée une note blanche indiquant que les deux intéressées n'étaient pas recommandables... Cette prose administrative fait un large usage du conditionnel, et ses auteurs, je peux en témoigner, n'hésitent pas à pratiquer l'amalgame, sans la moindre retenue. Parfois, on oublie même de faire état de faits éventuellement contradictoires de la démonstration... Il suffit d'avoir été incarcéré, même quelques jours, en détention préventive, pour bénéficier de la mention "a fait de la prison" sans autre précision ! On peut également écrire que l'intéressé "fait l'objet d'impression réservée dans les milieux bancaires", tout simplement parce que l'un de ses comptes est à découvert, ou que "sa moralité est mise en doute par son entourage", ou même qu'il est susceptible d'"être en liaison avec une puissance étrangère" parce qu'il voyage beaucoup.

(...) Aujourd'hui, manifestement aiguillonnés par un pouvoir politique qui leur fait confiance, les RG n'ont même plus à apporter la moindre preuve de ce qu'ils avancent.

(...) la France est à ma connaissance, le seul pays démocratique à entretenir des policiers dont la seule activité est de s'occuper des médias. Aux Etats-Unis ou en Angleterre, ponctuellement, le FBI ou le MI5 "s'occupent" de journalistes quand ceux-ci s'intéressent de près à une affaire de terrorisme par exemple. Mais jamais ils n'ont espionné ni essayé de manipuler les rédactions de façon permanente et systématique.

(...) La section presse [ndlr : des RG] est un instrument capital pour le pouvoir en place. Sa mission, c'est d'agir, en essayant de contrôler la presse et de manipuler les journalistes, pour leur faire dire ce que l'on veut.

(...) Les fameuses fiches des journalistes sont rangées à deux endroits différents... Les fiches officielles, présentées à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) quand celle-ci les demande, s'entassent dans une grosse armoire à Bristol... Les fiches occultes qui alimenteront les notes demandées par les autorités, sont bien plus riches. Quand j'y étais, le service comptait au total 53 000 dossiers, mis à jour quotidiennement !...Les fiches "qui n'existent pas" sont enfermées à double tour dans la pièce des archives. Au besoin, en cas de visite surprise de représentants de la CNIL - cela ne s'est jamais produit car ils ont la gentillesse de prévenir quand ils passent -, les dossiers sont transportables dans un autre service.

(...) A force de côtoyer les journalistes dans les cocktails, les conférences de presse, les voyages ministériels, les déjeuners, les petits déjeuners, les fonctionnaires de la section presse cherchent à sympathiser. Les journalistes leur glissent des informations au creux de l'oreille...A son tour, le fonctionnaire des RG lui répercute ce que lui a appris un autre journaliste... Appâté par une si bonne "source", si riche et si accessible, plus d'un journaliste n'a pas vu le piège se refermer sur lui. D'abord, en échange d'un nouveau tuyau, il accepte de "laisser tomber" une information obtenue par ailleurs qu'on lui demande, amicalement, d'écarter. Ensuite, le journaliste y consentira, parce qu'on lui aura demandé "de ne pas nuire à une affaire en cours", de n'en évoquer qu'une partie. Enfin, il acceptera, à son insu ou pas, de raconter une affaire tronquée. Dans tous les cas, il aura été manipulé. Au sein de la section presse, le sujet "qui manipule qui" est souvent revenu sur le tapis. Certains pensent, pour éviter d'y penser justement, que tout le monde manipule tout le monde. D'autres affirment, et je les crois plus volontiers, qu'au jeu du chat et de la souris, les journalistes sont souvent les perdants. Les plus extrêmes pensent carrément que dès qu'un journaliste met son nez aux RG, il est manipulé.

(...) Plus récemment, après le carnage de l'Ordre du Temple Solaire, à l'hiver 1995, le sujet des sectes a tenu en haleine les médias. Les RG, sur la question, n'avaient pas grand chose. En catastrophe, il a fallu fabriquer un "rapport". Un fonctionnaire s'est chargé de compiler les travaux faits par d'autres, notamment par les gendarmes. Un rapport avait déjà été écrit, notamment par la Cellule interministérielle de recherche et d'exploitation du renseignement de la zone centre-est (CIRER). Il a en grande partie été "recopié". Le rapport des RG sur les sectes a ensuite inondé toutes les rédactions, comme un document de référence. Quelques semaines après, certaines associations, fichés dans l'urgence comme des sectes sanguinaires par les renseignements généraux, ont obtenu réparation devant les tribunaux. Les procès ont eu lieu, sans caméras cette fois.

(...) Pourquoi la puissance des RG, police politique secrète, s'est-elle autant renforcée ? Tout simplement parce que les services qu'ils rendent aux politiques pour étouffer les affaires les ont rendus, au fil de ces vingt dernières années, intouchables. Comment se mettre à dos des gens qui connaissent aussi bien les dessus de cartes ? Pourquoi renoncer à utiliser des gens aussi zélés, voire serviles ?

(...) Quelques chiffres : le renseignement en France compte environ 10 000 fonctionnaires. Pour moitié des militaires, qui dépendent du Ministère de la Défense, et pour l'autre moitié des policiers qui dépendent du ministère de l'Intérieur.

La Défense coiffe la DGSE, "organe de renseignement à l'extérieur", en clair notre service d'espionnage, notre CIA à nous...

L'Intérieur coiffe la DST, environ 1 500 fonctionnaires, chargés du contre-espionnage, c'est-à-dire de lutter, dans l'Hexagone, contre les actions des agents étrangers...

La France se distingue cependant de ses voisins européens avec les RG. La vérité est que ce service n'a d'homologue véritable que dans les dictatures. Le ministère de l'Intérieur emploie 3 800 fonctionnaires, chargés d'espionner leurs concitoyens... C'est au nom de la raison d'État, prétexte bien utile, qu'on espionne souvent nos concitoyens.

(...) Pierre Joxe est le seul ministre de l'Intérieur contemporain qui ait vraiment tenté une réforme. Mais il n'est pas parvenu à modifier la machine. Tout l'appareil a fait de la résistance. la machine administrative a démontré qu'elle était plus forte que les ministres. Même Charles Pasqua, sous Balladur, pressé d'agir par le scandale provoqué par l'espionnage par les RG d'une réunion secrète du PS, a initié, un temps, une réforme. Elle a accouché d'une souris.

Toutes ces tentatives démontrent clairement qu'en l'état actuel, compte tenu des hommes à leur tête, les RG ne sont pas réformables. La seule réforme efficace serait leur fermeture...

Si on ajoute aux journalistes les parlementaires, les élus - y compris ceux qui siègent dans les plus modestes conseils municipaux -, les milieux d'affaires, les intellectuels, ce qu'on appelle les leaders d'opinion - à Paris ou en province -, on obtient le chiffre d'au moins 500 000 personnes fichées et sans doute autant sur lesquelles le service a eu l'occasion de collecter des données, légalement ou non (les candidats à un concours administratif par exemple)...

Combien de scandales faudra-t-il encore pour que nos dirigeants renoncent à entretenir une armée de fonctionnaires chargés de fouiller les poubelles du pays ?

 

Revenir à la première partie du dossier ou la seconde partie

Lire également http://www.renseignementsgeneraux.net/rg.php

Haut de page


© CICNS 2004-2015 - www.cicns.net (Textes, photos et dessins sur le site)