Loi anti-secte : Le
remède empoisonné d'un mal imaginaire
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une dizaine d'années, les sectes sont devenues un problème politique, et leur
répression fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus. Au moment où une
nouvelle proposition de loi a été déposée devant le Sénat, il est nécessaire
de rappeler comment la notion de secte a été fabriquée pour mieux comprendre
en quoi la lutte anti-secte menace tant le monde associatif que les libertés
publiques. Une tolérance à bon marché Il y a quelques mois, un spot publicitaire
vendant du ''confort thermique'', mettait en scène un krishnaïte faisant du
porte à porte en plein hiver. Il était alors chaleureusement accueilli par un
couple d'âge moyen, dans une maison spacieuse et bien chauffée. C'est la
raison pour laquelle ces derniers prétendaient n'avoir besoin d'aucun réconfort,
même « spirituel », tandis que notre prosélyte, subjugué
par tant d'innovation, fut d'emblée converti aux joies de la vie moderne. Comme tant d'autres, cette réclame valorise les
différences pour n'exclure aucun consommateur : ''qui que vous soyez, vous
voudrez aussi acheter un chauffage performant''. Mais cette version commerciale
de la liberté de conscience produit par ailleurs de douteux stéréotypes.
Ainsi, tandis que prêtres et autres moines sont mués en jouisseurs raffinés,
le krishnaïte est en voie d'être incorporé dans l'iconographie publicitaire
comme prototype de l'illuminé en rupture de confort moderne. Dans cette
publicité, il représente ainsi le client ringard et non informé, toujours
prompt à s'extasier devant les nouveautés technologiques qu'on lui propose. Il
incarne donc l'imbécile que nos publicitaires nous dissuadent d'être (un naïf
hors du monde de la consommation marchande) en même temps que celui qu'ils nous
incitent à devenir (un consommateur béat). De même que la vie monacale n'est
pas critiquée pour son enfermement, mais parce qu'elle n'autorise qu'une
consommation limitée, ce n'est pas la crédulité du krishnaïte qui sert de
repoussoir, mais son impossibilité à suivre le mouvement général de
la consommation du fait de sa rupture avec le monde des marchandises. C'est que notre krishnaïte suit les
enseignements d'autres maîtres que ceux dispensés par nos publicitaires et
leurs employeurs, ce qui l'amène à se couper des valeurs communes. Suivre et
couper se retrouvent dans les deux étymologies possibles du terme secte : sequi
et secare. Force est de constater que la publicité distingue clairement
ces deux aspects puisqu'elle en valorise un, le suivisme, et en ridiculise
l'autre, la rupture. Ce qu'elle dénonce donc, c'est le fait de ne pas suivre
ses propres enseignements, qui sont des enseignements de masse, pour adopter des
pratiques et des modes de pensée minoritaires. S'il était avéré que la réclame
parvienne à ses fins (modifier la perception du public pour induire un réflexe
d'achat), on pourrait alors légitimement s'inquiéter des leçons de tolérance
qu'elle dispense à longueur de médias et de ses effets dans la population. Métamorphose d'un engagement privé en problème
politique L'adoption à l'unanimité des sénateurs, d'une
proposition de loi visant à créer un délit de manipulation mentale, donne la
mesure de cette influence redoutable. Il est en effet très rare, dans un pays démocratique,
qu'aucun élu ne manifeste d'opposition. A fortiori lorsqu'on touche de si près
aux libertés publiques. Est-ce à dire que les sectes sont à ce point
stigmatisées que nul n'osait plus, ce 16 décembre 1999, défendre les
principes républicains les plus élémentaires ? Pour comprendre l'émergence de cette nouvelle
intolérance, il faut retracer la manière dont a pris sens la notion de secte
et a été fabriqué le consensus [1] autour de sa dénonciation.
Les affaires récentes (suicides collectifs des membres de l'OTS,
disparitions de dossiers lors du procès pour escroquerie de l'Eglise de
scientologie...) ne sont pas les seules causes de ce regain d'intérêt. En
effet, bien d'autres ont déjà eu lieu, comme le suicide collectif des adeptes
du pasteur Jim Jones en 1979, sans jamais déboucher sur une prise en charge
politique de la question sectaire. Pour qu'une telle mise à l'agenda politique
soit possible, il a fallu préalablement construire la notion de secte de façon
à ce qu'un engagement privé apparaisse comme un problème susceptible d'être
traité par les pouvoirs publics. Trois types d'acteurs sont intervenus dans cette
élaboration : des associations, pour poser le problème, notamment l'Union
Nationale des Associations pour les Défenses des Familles et des Individus (UNADFI)
et le Centre de documentation, d'éducation et d'action Contre les Manipulations
Mentales (CCMM) ; les services de police,
principalement les Renseignements Généraux, pour le
construire ; des responsables politiques à l'intersection du politique et
du législatif, comme M. Vivien, ancien ministre et député, pour le
soumettre au débat public. Ce dernier est l'auteur du premier rapport
parlementaire sur le phénomène sectaire datant de 1985. La précocité de son
engagement sur cette question lui vaut aujourd'hui de présider une Mission
Interministérielle de Lutte contre les Sectes (MILS) qui se trouve directement
rattachée au Premier ministre. C'est dire l'importance que l'on accorde
aujourd'hui à cette question au plus haut niveau de l'Etat. Gonfler la menace Pourtant, l'attention portée aux groupes dits
sectaires n'est pas particulièrement motivée par leur expansion. Si celle-ci a
effectivement été importante dans la période 1960-70, la nébuleuse sectaire
demeure numériquement stable depuis une quinzaine d'années. Certains groupes
ont même quasiment disparu du paysage français, comme l'Association pour
l'Unification du Christianisme Mondial (Moon) ou l'Association Internationale
pour la conscience de Krishna. On peut donc remarquer que ce ne sont ni
l'apparition ni la multiplication des sectes qui provoquent les plus fortes réactions,
mais l'arrêt de leur croissance accompagné de leur installation durable sur le
marché de l'offre idéologique. Néanmoins, tous les acteurs ont intérêt à
gonfler le phénomène : les groupes eux-mêmes, mais aussi les
associations familiales pour justifier leur combat, les médias [2]
pour faire de l'audimat et les politiques pour se donner le beau rôle face à
ce ''nouveau'' fléau social [3]. Il faut cependant
rappeler que sur les 175 « mouvements sectaires » recensés
dans le rapport Guyard [4],
une dizaine seulement présente un caractère dangereux selon la MILS. En fait,
ces mouvements sont pour l'essentiel de petites associations : 57 ont moins
de 50 adeptes, 80 ont entre 50 et 500 adeptes, seulement 24 ont entre 500 et
2000 adeptes, et 13 ont entre 2000 et 10 000 adeptes. Les Témoins de Jéhovah,
avec leurs 130 000 fidèles, sont l'unique groupe dépassant le seuil de 10 000
personnes. Ils représentent à eux seuls les deux tiers des disciples de toutes
les ''sectes'' répertoriées en France. Tous dans le même sac. Enfin presque ? Avec le rapport Guyard, une limite a été
franchie puisque la Commission d'enquête parlementaire a rendu publique une
liste nominative des associations qu'elle considère comme sectaires. On y
retrouve pêle-mêle des groupes meurtriers, comme l'Ordre du Temple Solaire,
des associations condamnées pour escroquerie, comme l'Eglise de scientologie,
des groupes occultistes et New Age totalement inoffensifs, des communautés évangéliques
traditionnelles aux Etats-Unis, et même l'association l'Arbre
au milieu dont on s'est aperçu, mais trop tard, qu'elle avait été
mentionnée sur la seule base de dénonciations calomnieuses. Surtout, on n'y trouve aucune trace de l'Opus
Dei. Pourtant, cette organisation, forte de 80 000 membres dans le monde et de
1500 adeptes en France [5], aurait mérité une plus
grande attention de la part de nos parlementaires. En effet, exigeant une obéissance
inconditionnelle à ses directeurs de conscience, l' oeuvre serait « psychologiquement
dangereuse pour ses propres membres » selon M. John Roche,
ancien leader du mouvement en Grande-Bretagne. De plus, recrutant principalement
dans les élites sociales, l'Opus semble mettre en oeuvre une véritable
stratégie d'infiltration des organisations internationales (ONU, UNESCO, OCDE,
Commission Européenne), ainsi que des pouvoirs publics de nombreux pays. Sa
pratique de la clandestinité rend difficile l'évaluation de cette influence.
En effet, jusqu'à leurs révélations en 1982, les statuts secrets de
l'organisation stipulaient « que les membres numéraires et surnuméraires
sachent bien qu'ils devront garder un silence prudent quant aux noms des autres
associés, et qu'ils ne devront jamais révéler à quiconque qu'ils
appartiennent à l'Opus Dei ». On sait cependant que le premier
gouvernement Juppé comportait au moins deux proches de l'Opus, Hervé Gaymard
et son épouse Clara Gaymard-Lejeune. Par ailleurs, les sympathies de M. Barre,
ancien Premier ministre et actuel maire de Lyon, ne sont plus un secret depuis
qu'il a attesté des « signes de sainteté » du fondateur
de l'Opus Dei lors du procès en béatification de ce dernier. Mais c'est surtout en Espagne, et en Amérique
Latine, que le poids politique de cette organisation est le plus sensible.
Ainsi, le neuvième gouvernement Franco comptait douze membres de l'Opus sur
dix-neuf ministres. Aujourd'hui encore, des cadres éminents du PPE, comme
Ignacio Salfaranca, Juan Trillo, Loyola de Palacio ou Isabel Tocino, sont
opusiens. De même, le haut commandement de l'armée espagnole compte plusieurs
adhérents de l' oeuvre. On ne sera donc pas surpris d'apprendre que Juan
Antonio Samaranch-Torello, ancien ministre franquiste et actuel président du
Comité International Olympique, appartient à cette organisation. Assimiler l'Opus Dei à une secte aurait ainsi fâché
bon nombre de nos hommes politiques et de nos partenaires européens. Mais c'est
surtout le Vatican dans son ensemble qui aurait alors été visé. En effet,
Jean-paul II a fait de cette organisation, à laquelle il doit son élection, sa
prélature personnelle. On compte depuis lors de nombreux opusiens parmi les
proches collaborateurs du Pape, comme les chapelains Joachim Pacheco, Klaus
Becker, Fernando Ocariz et Felipe Rodrigez, le porte-parole du Vatican Joaquin
Navarro-Valls, le cardinal Martinez Somalo, le député (ex-DC) Alberto
Michelini ou le conseiller financier Gianmario Rovero. Une présence rapprochée
qui fait dire que l'Opus Dei, véritable « Eglise dans l'Eglise »
selon John Roche, est désormais toute puissante au Vatican. La pratique constante du secret, justifiée par
des impératifs d'humilité chrétienne et d'efficacité apostolique, permet
surtout à l'Opus Dei d'obtenir des subventions publiques (comme celles accordées
par la Commission Européenne à son journal Europe Today), de contrôler un dédale
de sociétés anonymes (Saidec, Socofina, Acut, Sofico, Trifep...), de maisons
d'éditions (comme les éditions du Laurier), d'universités et d'écoles
professionnelles (comme l'Institut Robert-Schuman, destiné à fournir des « journalistes
catholiques sûrs » à l'Europe de l'Est et au Tiers-monde). Ainsi, la fortune de l'Opus Dei serait considérable,
même si elle demeure impossible à évaluer avec précision. On peut néanmoins
s'en faire une idée en se remémorant que les banquiers de l' oeuvre ont
renfloué, à hauteur de 260 millions de dollars, l'Institut pour les Oeuvres de
Religion - responsable de la banqueroute scandaleuse de la Banque Ambrosiano en
1982 et dirigée alors par le garde du corps du Pape, l'archevêque Paul
Marcinkus. Le financement de l'Opus est lui aussi entaché de quelques scandales
comme l'affaire Matesa, en 1969, impliquant le prince Jean de Broglie, opusien
et trésorier des très giscardiens Républicains Indépendants, assassiné
depuis dans des circonstances jamais élucidées ; ou encore l'affaire José
Maria Ruiz Mateos, dirigeant du consortium multinational Rumasa qui avoua avoir
versé 300 millions de pesetas à l'Opus Dei et qui fût inculpé, en 1982, de
fraude fiscale et d'infraction à la législation des changes. Il semble que, de
manière générale, l'Opus puisse compter sur le soutien des milieux
d'affaires, avec lesquels l'organisation partage, entre autres, des idées très
spirituelles sur les retraites. Ainsi, selon le Monde Diplomatique [6],
Claude Bébéar (AXA), Michel Albert (AGF), Didier Pineault-Valenciennnes
(Schneider), et Louis Schweitzer (Renault) auraient donné des conférences pour
l'Opus au Centre Garnelles à Paris. Ce rapide aperçu montre que l'Opus Dei réunit
presque la totalité des dix critères retenus par la Commission parlementaire
pour reconnaître le caractère sectaire d'une association, critères que nous
examinerons en détail plus bas. Pourtant on ne trouve nulle mention de l' oeuvre
parmi les organisations épinglées dans le rapport Guyard. L'importance des
soutiens dont jouit l'Opus n'est certainement pas pour rien dans une telle
omission. On peut ainsi gager que si l' oeuvre avait officiellement été
mise dans le même sac que l'Eglise de scientologie et que la Sokka Gakkaï,
l'unanimité parlementaire autour de la lutte anti-secte aurait été plus
difficile à obtenir. La question se pose néanmoins de savoir quelle est
l'utilité réelle de cette croisade quand ceux qui la mènent considèrent sans
gravité le renoncement à combattre les plus influentes d'entre elles. Quand l'opinion des Renseignements généraux
se substitue à l'opinion publique Que cette liste noire procède à des amalgames
et à des distinctions arbitraires ne peut se laisser comprendre qu'à la
condition de saisir comment la notion de secte a été construite. C'est qu'il
n'est pas facile de la définir, au point que de nombreux sociologues préfèrent
parler de » nouveaux mouvements religieux ». Mais ce n'est pas cet
objet, scientifiquement délimité, que les parlementaires ont étudié puisque
leur liste inclut des mouvements qui ne sont plus si nouveaux, comme les Témoins
de Jéhovah ou le Culte Antoiniste, et même des groupes n'ayant aucune vocation
religieuse comme la Fédération Internationale pour le Développement de
l'ALimentation Instinctive. La Commission d'enquête n'élude d'ailleurs pas le
problème. Selon elle, « la difficulté de définir la notion de
secte, qui sera pourtant utilisée dans la suite du rapport, a conduit la
Commission à retenir un faisceau d'indices, dont chacun pourrait prêter à de
longues discussions. Elle a donc préféré, au risque de froisser bien des
susceptibilités ou de procéder à une analyse partielle de la réalité,
retenir le sens commun que l'opinion publique attribue à la notion ».
On ne peut qu'admirer la rigueur méthodologique
de nos enquêteurs. Ainsi, la Commission nous apprend que la notion de secte
n'est pas définissable, mais qu'il est inutile pour autant de se doter d'un
concept plus approprié. Il suffirait en effet de se fier à la représentation
que s'en fait ''l'opinion publique'', sans s'interroger sur la question de
savoir si cette représentation correspond effectivement à une réalité. On
s'attendrait du moins à ce que cette opinion publique soit formée par des
scientifiques ou par des associations de luttes contre les sectes. Mais la
Commission les évoque pour les récuser aussitôt comme trop partiales ou trop
dégagées. Très prudemment, elle admet, à défaut de définition
incontestable, ne disposer que d'un faisceau d'indices pour reconnaître les
associations sectaires. Mais c'est pour nous apprendre quelques lignes plus loin
que ces indices ont été élaborés par les Renseignements Généraux. Ces
services seraient-ils dépositaires du « sens commun que l'opinion
publique attribue à la notion » ? L'opinion publique à laquelle se réfèrent très
démocratiquement les parlementaires se révèle n'être, dans le rapport Guyard,
que le sens commun des services de police. Autrement dit, le terme de secte
n'est pas universellement définissable pour la simple raison qu'il n'est que le
produit d'un système de représentation propre aux Renseignements Généraux.
La notion de secte se révèle ici comme la dénomination criminelle de la
liberté de conscience et de culte. Elle n'est donc rien d'autre qu'une catégorie
policière destinée à réprimer ce que la Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme et du Citoyen, placée en préambule de notre constitution, garantit
formellement. Pour se convaincre du caractère arbitrairement répressif
de la notion de secte, il suffit d'examiner les critères suggérés à la
Commission par les Renseignements Généraux. Ils sont au nombre de dix, mais
nulle part il n'est précisé combien il faut en réunir pour être considéré
comme un mouvement sectaire. De surcroît, comme le reconnaît la Commission, « chacun
pourrait prêter à de longues discussions ». Mais il ne suffit pas
d'admettre que les procédés par lesquels on jette l'opprobre sur près de 160
000 citoyens sont discutables, encore faut-il savoir pourquoi. A défaut
d'explication de la part de la Commission, il nous faut examiner par nous-mêmes
chacun de ses fameux indices dont la convergence est censée nous permettre de
reconnaître le caractère sectaire d'une association. Premier indice : « la déstabilisation
mentale » Pour peu que cette notion ait un sens, elle nécessiterait
de savoir si les adeptes étaient ''mentalement stables'' avant d'entrer dans la
secte. Or, la Commission reconnaît par ailleurs que les sectes ''offrent des réponses
à des besoins importants'' : crise du modèle de développement des sociétés
occidentales, dérégulation du marché des ''biens spirituels'', crise économique,
bouleversement des structures familiales, besoin d'amélioration des
performances individuelles et éclatement de la cohésion sociale
contribueraient à susciter un désir de ''se transformer pour transformer le
monde''. Mais si l'on accepte que ces facteurs expliquent le succès des
''sectes'' , on est obligé d'admettre qu'ils ont perturbé la formation
psychique des individus préalablement à leur initiation. La déstabilisation
mentale est donc logiquement antérieure à l'entrée dans la ''secte'', même
si cette dernière peut transformer en maladie ce qui n'était encore qu'un
malaise. Encore faudrait-il préciser jusqu'à quel point
la ''secte'' est à incriminer dans ce processus, puisque le désir de ''se
transformer soi-même'' est aussi nécessairement une demande de ''déstabilisation''
qui n'est jamais sans risque. Doit-on accuser un psychothérapeute patenté de
''déstabilisation mentale'' si les troubles de quelques uns de ses patients
s'aggravaient au cours de la cure ? Comment évaluer le mieux-être apporté
par une ''secte'' sinon par les succès qu'elle rencontre autant que par ses échecs ?
On voit donc mal comment, à défaut d'expertises
psychiatriques menées à grande échelle, la Commission a pu déterminer les
groupes mentalement déstabilisants. Ceci n'a pourtant pas empêché M. le
sénateur About, et Mme la députée Picard, de s'inspirer de ce critère
pour proposer la création d'un délit de ''manipulation mentale'' à leurs
assemblées respectives. Le ministère de l'intérieur avait pourtant manifesté
son opposition à cette proposition de loi, la qualifiant de ''dangereuse pour
les libertés publiques'' et de ''législation d'exception''. La place Beauvau
estimait notamment que l'imprécision du sens et de la portée de cette notion
ouvrait la porte à toutes les dérives, ce que l'histoire confirme. C'est
effectivement à l'aide d'une loi similaire que Mussolini a liquidé le Parti
Communiste Italien. De plus, cette proposition de loi menaçait aussi
les ''grandes religions'' qui n'ont pas tardé à exprimer leur inquiétude.
Ainsi, Mgr Jean Vernette, délégué de l'épiscopat pour les sectes, demandait [7] :
« qu'est-ce qui va faire la différence entre direction spirituelle et
manipulation mentale ? » . Tandis que le président de la Fédération
protestante s'interrogeait tout aussi lucidement : « où est la
limite entre le discours convaincu, le serment ardent et la manipulation mentale ? ».
Tous rappelaient par ailleurs, avec le rabbin Haïm Korsia, que la première
Commission d'enquête parlementaire avait considéré, en 1994, que l'arsenal
juridique existant était suffisant pour lutter contre les sectes. Face à ces oppositions, et aux vives critiques
de la Commission nationale consultative des droits de l'homme ainsi que de la
Ligue des droits de l'homme, un nouveau texte a été présenté le 25 janvier
2001 au Sénat où les termes de ''manipulation mentale'' ont disparu. Ils ont
été remplacés par la notion d' abus d' ''état de sujétion'' , ce qui
reviendra à élargir l'article 313-4 du code pénal réprimant ''l'abus
frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse''. Mais si les
appellations changent, le contenu reste le même. Alors que la première mouture
définissait la manipulation mentale comme « le fait, au sein d'un
groupement sectaire, d'exercer sur une personne des pressions graves et réitérées
afin de créer ou d'exploiter un état de dépendance et de conduire la
personne, contre son gré ou non, à un acte ou à une abstention qui lui est
gravement préjudiciable » , la dernière version fait résulter l'état
de sujétion de « l'exercice de pressions graves et réitérées ou de
techniques propres à altérer le jugement ». Mais comment vont donc être déterminées ces
techniques délictueuses ? Les seules qui soient reconnues comme
incontestablement efficaces relèvent du ''lavage de cerveau''. Elles consistent
à effacer les souvenirs de l'individu pour reformer sa personnalité.
Cependant, de telles pratiques nécessitent de retenir la victime physiquement
prisonnière, comme le furent certains soldats américains en Corée. Or nul ne
conteste le fait que les sectes s'appuient sur la séduction, plutôt que sur la
contrainte, pour recruter et former leurs adeptes. Autrement dit, les
''techniques'' qu'elles emploient, d'une façon plus empirique que scientifique,
ne tirent leur efficacité que du consentement de leur ''victime''. En conséquence,
la seule façon de déceler l'utilisation de techniques manipulatoires est de
constater leurs effets, c'est-à-dire l'altération du jugement. Celle-ci se
reconnaît lorsqu'une personne est « conduite à un acte ou une
abstention qui lui est gravement préjudiciable ». Il faudrait néanmoins
ajouter, et les parlementaires ont étrangement oublié de le faire, les actes
ou abstentions gravement préjudiciables à autrui. Quoiqu'il en soit, ce sera
lorsque l'acte ou l'abstention profitera au ''manipulateur'' tout en nuisant à
la ''victime'' (ou peut-être aussi à autrui) que la manipulation mentale,
renommée abus d'état de sujétion, sera constatable par le juge. En d'autres termes, le législateur va empêcher
de se nuire à soi-même au profit d'un tiers, ce dernier étant alors réputé
avoir altéré le jugement du premier à l'aide de ''techniques'' que nul n'est
capable de désigner a priori. On pourrait longuement s'interroger sur l'état
d'une société qui s'apprête à interdire le sacrifice de soi ou de ses
propres intérêts. Force est de constater qu'un tel comportement est devenu à
ce point étranger à nos parlementaires qu'ils ne peuvent plus y voir qu'une
altération du jugement produite par des techniques mystérieuses. Les effets
moraux d'une telle cécité sont malheureusement prévisibles : la nouvelle
loi ordonne, de fait, à chaque citoyen de se conduire en parfait homo
economicus sous peine d'être regardé comme une victime. Le fait que le dépassement
de soi n'inspire désormais plus que la compassion pourrait néanmoins avoir des
conséquences inattendues. Ne faudrait-il pas considérer les résistants comme
des victimes, non pas du nazisme, mais de De Gaulle ou de Staline ? Mais on n'en viendra jamais là. Comme on n'en
viendra jamais à condamner les bénéficiaires des techniques de manipulation
psychologique utilisées tant dans les ressources humaines que dans la vente et
la communication [8]. Ces méthodes, faisant l'objet de
recherches coûteuses, n'ont pourtant d'autre but que d'altérer le jugement au
profit des entreprises, de l'armée, de l'Etat. Il n'y a cependant aucun risque que ces
organisations soient un jour considérées comme des « groupes ayant
pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance psychologique ou
physique des personnes qui participent à ses activités ». Car, bien
que correspondant à cette définition de la secte que les divers travaux législatifs
ont fini par produire, ces organisations n'ont pas été incluses dans la liste
noire du rapport Guyard. Or la proposition de loi About-Picard a pour objectif
restrictif de « renforcer la prévention et la répression à
l'encontre des groupes à caractère sectaires » [9].
Dans la pratique judiciaire, l'article 313-4 modifié s'appliquera donc
exclusivement aux associations répertoriées dans le rapport Guyard [10],
rapport où elles étaient déjà accusées de « déstabisation
mentale » alors que cette notion n'avait encore acquise aucun sens déterminé.
C'est ce qui s'appelle boucler la boucle. Deuxième indice : « le caractère
exorbitant des exigences financières » Cet indice est sensé révéler le caractère vénal
de certaines associations qui se présentent comme spirituelles. Ici, le fait
que la spiritualité doive apparaître désintéressée est considérée comme
une évidence. Il n'est pourtant venu à l'esprit d'aucun enquêteur
parlementaire que l'originalité de certains mouvements religieux pouvait aussi
résider dans la remise en cause de notre séparation traditionnelle (et toute
idéale) de la religion et de l'argent. N'est-il pas inévitable que, là où
l'on trouve ce qu'ils nomment eux-mêmes des ''biens spirituels'', on trouve
aussi de véritables entreprises cultuelles pour les produire et les
commercialiser ? Les leçons de libéralisme de nos hommes politiques sont
décidément bien sélectives. Cependant, le problème des parlementaires ne
semble pas être l'existence d'un marché des ''biens spirituels'' , mais le
prix exorbitant qu'ils peuvent atteindre. Mais comment mesurer ce caractère
exorbitant, sinon en le rapportant aux prix des biens et services équivalents
sur le marché ? Or une telle comparaison est impossible puisque chaque
''secte'' propose une gamme de ''produits'' uniques : le coût pour
redevenir un ''thétant opérant'' chez les scientologues (environ 500 000
francs), peut-il être comparé à celui nécessaire aux raëliens pour
construire une ambassade destinée à accueillir les extra-terrestres (7% du
revenu net) ? Il semble que ces tarifs paraissent surtout exorbitants à
ceux qui ne partagent pas les mêmes espoirs. Faudrait-il, dans ce cas, inclure la psychanalyse
dans la liste des sectes au prétexte qu'en exigeant au minimum 200 francs par séance,
à raison de deux séances par semaine payables même en cas d'absence, elle
ponctionne souvent bien plus que 7 % du revenu net de ses patients pour un résultat
que nul ne peut garantir ? Troisième indice : « La
rupture induite avec l'environnement d'origine » Il faut comprendre ici la rupture des enfants
avec leurs parents, consécutive à leur entrée dans une association. Il est étonnant
que le milieu ''d'origine'' ait ici plus de valeur que l'environnement créé :
on n'évoque pas les ruptures induites avec ses propres enfants, avec son
conjoint ou avec ses amis. Quoiqu'il en soit, ce critère reconnaît normal que
les enfants, même majeurs, appartiennent à leur famille avant de s'appartenir
à eux-mêmes. Il légitime ainsi les associations de parents en lutte contre
les ''sectes'', notamment l'UNADFI qui s'est vue reconnaître le statut
d'association d'utilité publique un an après la sortie du rapport Guyard. Il n'est pas inutile de rappeler qu'à sa création,
en 1974, elle s'appelait Association pour la Défense des Valeurs Familiales et
de l'Individu. Jugée trop ''réactionnaire'', l'appellation fût rapidement
modifiée en Association pour les Défenses des Familles et des Individus.
Quoiqu'il en soit, cette nouvelle dénomination laisse songeur. Quelle liberté
reste-t-il aux individus s'ils n'ont pas le choix de décider de leurs propres
influences, quitte à rejeter celles de leur ''environnement d'origine'' ?
De telles pratiques de ruptures ne sont-elles d'ailleurs pas caractéristiques
de certains ordres monastiques, sans qu'associations familiales ou
parlementaires ne semblent s'en s'émouvoir ? Si certains groupes
''induisent'' effectivement de telles séparations, le responsable n'en est-il
pas celui qui a finalement opéré ce choix, à savoir l'enfant majeur lui-même ?
Enfin, les parlementaires ne prennent pas au sérieux
l'expression ''environnement d'origine'', dont l'emploi dissimule leur accord
avec le commandement biblique qui enjoint de respecter ses parents. Car la
rigueur exigerait d'inclure dans l'environnement d'origine le milieu social et géographique.
Or les parlementaires ne semblent pas prêts à considérer comme sectaires les
pratiques d'entreprises bénéficiaires qui offrent le libre choix à leurs
salariés entre le chômage et le travail sur un site éloigné de leur région,
ou de leur pays, ''d'origine''. De façon générale, la valorisation de
l'environnement d'origine nous renvoie à des pratiques politiques bien éloignées
de la démocratie. Enfin, en parlant de ruptures ''induites'', les
parlementaires ouvrent la porte au plus grand arbitraire. En effet, le concept
d'induction est tellement indéterminé qu'il permet d'incriminer tout et
n'importe quoi en étendant indéfiniment la chaîne des responsabilités.
Ainsi, que devrions-nous penser des pratiques de l'Etat français, et de
nombreuses entreprises nationales, lorsqu'ils ''induisent'' des populations entières
à migrer en les réduisant à la misère ? Ne serait-il pas légitime de
supposer que nos députés sont enclins à montrer du doigt les effets
''induits'' par les pratiques sectaires pour faire momentanément oublier les
ruptures sociales ''induites'' par leurs propres agissements ? Quatrième indice : « Les
atteintes à l'intégrité physique » Ici encore, les parlementaires ne donnent aucune
précision. S'agit-il d'atteintes consenties ou imposées ? Dans le premier
cas, elles sont assimilables au tatouage, au piercing, aux scarifications et aux
pratiques sado-masochistes entre adultes consentants, qui n'intéressent pas en
tant que telles les pouvoirs publics. S'il s'agit d'atteintes imposées,
sont-elles mutilantes ou non ? Si une atteinte à l'intégrité physique
imposée mais non mutilante choque les parlementaires, pourquoi ont-ils exclu le
judaïsme des mouvements sectaires alors qu'on y pratique la circoncision des
nouveaux nés ? Enfin, les parlementaires ne distinguent pas parmi les
atteintes à l'intégrité physique, celles qui sont volontaires de celles qui
sont accidentelles, ni celles qui sont systématiques de celles qui ne sont que
répétées. De telles distinctions auraient pourtant leur importance, sans quoi
il faudrait considérer comme sectaires les entreprises où les atteintes
involontaires et répétées à l'intégrité physique des salariés sont légion,
comme c'est le cas dans le secteur du BTP. Si seuls doivent être considérés comme
sectaires les groupes imposant volontairement et systématiquement des
mutilations à leurs membres, où trouve-t-on de telles associations dans la
liste établie par la Commission d'enquête ? Il n'y en a aucune, hormis l'OTS.
Mais dans ce dernier cas, parler d'atteinte à l'intégrité physique, alors que
c'est de mort dont il s'agit, manifeste un sens douteux de l'euphémisme. Il ressort que le rapport Guyard tente de discréditer
certaines associations en prétendant qu'elles mettent en danger l'intégrité
physique de leurs membres. Mais, par ailleurs, il ne mentionne pas les groupes
qui pratiquent l'excision traditionnelle des jeunes filles. Les parlementaires
donnent ici la fâcheuse impression d'avoir établi la liste des sectes en
France avant même d'avoir élaboré les critères permettant de les reconnaître.
Cinquième indice : « L'embrigadement
des enfants » Il semble qu'aux yeux des parlementaires,
l'embrigadement consiste à placer l'enfant dans une structure éducative
univoque, limitant au maximum la pénétration d'éléments extérieurs
(famille, médias, connaissances scolaires...), de façon à empêcher
l'apparition de toute distance critique avec les dogmes et les pratiques de la
secte. Il faut pourtant reconnaître que toute éducation implique l'imposition
nécessairement sélective de valeurs, de pratiques, de connaissances et de
relations sociales, puisqu'elle vise à l'insertion de l'enfant dans une société,
ce qui présuppose la soumission à l'autorité des adultes. De sorte que toute
éducation comporte une part d'embrigadement, si l'on s'en tient à la définition
qu'en donne le Petit Larousse : « faire entrer quelqu'un par
contrainte ou persuasion, dans une association, un parti, un groupe quelconque ».
De fait, la plupart des enfants sont amenés à
intégrer un groupe social identique à celui de leurs parents, ou proche de
celui-ci. La reproduction (des valeurs, des comportements, des inégalités...)
est la règle et la rupture l'exception. Si tel n'était pas le cas, on pourrait
alors reprocher à l'éducation nationale ''d'induire des ruptures avec
l'environnement d'origine'', ce qu'on aurait bien du mal à faire. On voit ici
comment le troisième indice contredit le cinquième, puisque celui qui n'induit
pas de rupture de l'enfant avec son environnement d'origine tombe
automatiquement sous l'accusation d'embrigadement. Il devient bien difficile de
ne pas être sectaire. Surtout, avant de parler de comportements
embrigadants, il faudrait au préalable comparer le taux d'anciens élèves de
l'éducation nationale ayant rompu avec leur environnement d'origine (en intégrant
une secte par exemple) avec le taux d'enfants élevés dans une secte ayant par
la suite fait le parcours inverse. Etant donné la relative stabilité du phénomène
sectaire depuis une quinzaine d'années, on peut supposer l'existence d'un taux
de fuite important (sans compter ceux qui, tout en restant dans la mouvance
sectaire changent d'affiliation) : l'embrigadement n'est donc peut-être
pas le plus efficace où on le croit habituellement. De plus, il faut rappeler que la loi est sensée
empêcher la soustraction totale de l'enfant aux influences extérieures. La
France a notamment ratifié une série de conventions internationales sur les
droits de l'enfant, portant notamment sur le droit à une instruction normale et
le droit à la famille (qui implique la possibilité de voir ses grands-parents,
ou l'un des parents en cas de divorce). Par conséquent, si la loi était
appliquée, et c'est aux parlementaires de donner à l'exécutif les moyens de
le faire, il ne devrait plus y avoir, sur le territoire national,
d'embrigadement d'enfants au sens entendu par la Commission. Enfin, qu'une multinationale comme Vivendi se
trouve à la tête d'un des plus grands réseaux d'écoles privées de France [11]
n'alerte évidemment pas les parlementaires, puisqu'une entreprise aussi
respectable et généreuse, ne peut se livrer à ''l'embrigadement'' de la
jeunesse. Pour ceux qui estiment une telle menace exagérée, nous ne pouvons
que rappeler la réaction de la firme Nike à l'adhésion au Consortium pour les
Droits des Travailleurs [12] de trois universités américaines
qu'elle subventionnait. Quant à la mainmise sur les moyens de persuasion de
masse par quelques Bouygues ou autres Lagardère, elle ne présente, bien
entendu, aucun risque d'endoctrinement pour les enfants. Sixième indice : « Le discours
plus ou moins antisocial » Le « plus ou moins » en dit
long sur l'amplitude des propos impliqués dans cette catégorie. Mais que
signifie le terme « anti-social » quand il s'applique à
des groupes dont la Commission met en avant la forte cohésion ? Il
s'agirait de propos dénonçant le caractère dangereux ou perverti de la société,
et destinés à accentuer la rupture des adeptes avec celle-ci. Nous pourrions
rappeler à nos parlementaires que la révolution Française, à laquelle ils
doivent leurs sièges, n'aurait jamais eu lieu s'il ne s'était trouvé personne
pour dénoncer le caractère nuisible et pervers de la société monarchique. Mais surtout, les 26 associations dénoncées par
les Renseignements Généraux sont loin d'être les seules à entretenir une
mentalité d'assiégés. Ainsi, les discours apocalyptiques de nombreux hommes
politiques au sujet des banlieues (zones de non-droit où l'on ne devrait plus
avoir droit à la tolérance), ou des jeunes issus de l'immigration (sauvageons
inintégrables), ont pour effet direct de renforcer l'apartheid avec ces
populations ou ces quartiers [13]. La propagande
anti-sectes fait aussi partie de ces rhétoriques diabolisatrices, au nombre
desquelles on trouve encore la dénonciation du péril islamiste (qui hier
encore était rouge, et avant hier jaune). Oeuvrer à rendre les minorités inquiétantes
est-il moins antisocial que la peur paranoïaque entretenue par quelques groupes
souvent très restreints ? C'est d'autant moins sûr que l'ensemble de ces
frayeurs, distillées à l'envi dans l'opinion, ont en commun de porter sur l'étranger
(flux migratoires, financiers, culturels et cultuels), et tendent par conséquent
à faire percevoir le reste de la planète comme intrusive. On peut ainsi supposer que l'origine étrangère
de la plupart des » sectes » répertoriées, notamment parmi les
plus importantes, n'est pas pour rien dans la dénonciation dont elles font
l'objet. C'est le cas pour les mouvements New Age en provenance des Etats-Unis,
tout comme les églises évangéliques et, bien sûr, les Témoins de Jéhovah
ainsi que les scientologues. C'est aussi vrai de groupes venant d'Amérique du
Sud (comme l'Association Nouvelle Acropole France ou Tradition Famille Propriété)
ou d'Asie (notamment l'Association pour l'Unification du Christianisme Mondial,
la Fédération française pour la conscience de Krishna et la Sokka Gakkaï
internationale France). Septième indice : « Les
troubles à l'ordre public » Cette notion fourre-tout consiste dans le
''respect, au sens large, de la tranquillité, de la sécurité, de la
salubrité et de la moralité publique''. Cette définition est tellement vague
qu'elle permet d'incriminer quiconque en fonction du bon vouloir des autorités.
C'est ainsi que le Conseil d'Etat a refusé de reconnaître le statut
d'association cultuelle à l'Association Chrétienne des Témoins de Jéhovah,
dans un arrêt d'assemblée du 1er février 1985, au motif qu'elle n'avait pas
une activité conforme à l'ordre public et à l'intérêt national [14].
Il faut reconnaître que les Témoins de Jéhovah professent ouvertement le
pacifisme et l'antimilitarisme, ce qui constituait, aux yeux de cette
juridiction, un trouble grave à l'ordre public. A contrario, les guerres, et
les armées qui les mènent, n'auraient jamais provoqué le moindre trouble à
la tranquillité, à la sécurité, à la salubrité et à la moralité
publique. Avec la même rigueur, le Conseil d'Etat a considéré
que le refus de la transfusion sanguine par les Témoins de Jéhovah constituait
aussi un trouble à l'ordre public. Il convient néanmoins de rappeler que nul
n'est obligé de se soigner, et que le problème juridique ne se pose en fait
que pour les mineurs. Or la question n'est pas nouvelle, et la loi autorise déjà
les médecins à décharger provisoirement les parents de leur autorité en vue
de pratiquer des soins indispensables, comme les transfusions par exemple [15].
Ainsi, dans les faits, la doctrine des Témoins de Jéhovah en la matière [16]
trouble moins l'ordre public que le refus papal de l'usage du préservatif. En
effet, nombre d'enfants, nés et morts avec le sida, sont la conséquence
directe de cette décision pontificale. Pourtant, sur les 500 congrégations légalement
reconnues par la république, la quasi-totalité relève de la religion
catholique. Et rares sont les groupes catholiques qui se voient refuser le
statut avantageux d'association cultuelle. Que la notion d'ordre public ait été élaborée
pour donner toute latitude à l'action administrative, c'est ce que révèle
aussi l'usage qui n'en est pas fait. Ainsi, le DPS, service d'ordre du Front
National, n'a jamais été sanctionné malgré les menaces que son armement et
son entraînement font courir à la sécurité publique. De même, le Front
National, au lieu d'être sanctionné pour non respect de la moralité publique
(à moins de considérer le racisme conforme aux bonnes moeurs), continue de
toucher des subventions de l'Etat. Enfin, alors que les foyers de travailleurs
immigrés sont rarement en conformité avec les dispositions légales en matière
d'hygiène et de sécurité, les associations qui ont la charge de leur gestion
n'ont que très rarement été sanctionnées pour manquement au respect de la
salubrité publique. Si les considérations d'opportunité l'emportent
sur le respect de la loi, il convient donc de s'interroger sur les raisons qui
motivent l'administration à discriminer certaines associations, en particulier
les 26 organisations dénoncées par les Renseignement généraux comme
troublant l'ordre public. Outre les très dangereux Témoins de Jéhovah et les
terrifiants membres de la Fédération française pour la conscience de Krishna,
on trouve la Nouvelle Acropole dont le rapport dit qu'il s'agit « d'une
secte aux visées politiques, au caractère d'extrême-droite et de type néo-fasciste
(...) Ce sont de plus des ennemis déclarés de la démocratie (...) Pour eux,
la fin justifie les moyens ». La nullité d'une association aussi
nocive n'a pourtant jamais été demandée par l'administration depuis lors. Huitième indice : « L'importance
des démêlés judiciaires » Ici encore, les parlementaires manient le flou et
l'amalgame car ils ne font aucune distinction entre les actions en justice menées
à l'initiative des organisations sectaires et les procès intentés contre
elles. Ainsi, si les scientologues sont des habitués des prétoires, c'est
qu'ils sont le plus souvent à l'origine de la procédure. Pourtant, leur stratégie
qui consiste à transformer en contentieux juridique la moindre critique adressée
à leur égard, afin de dissuader leurs adversaires, est utilisée par bien
d'autres : à commencer par le Front National que le rapport Guyard ne
mentionne pas sur sa liste noire. Par ailleurs, les entreprises et les partis
politiques ont bien plus de contentieux juridiques, et souvent pour des motifs
bien plus graves. Surtout, « l'importance des démêlés judiciaires »
est un critère d'autant moins pertinent qu'il ne concerne que les associations
ayant le moins d'emprise sur leurs membres. En effet, pour ouvrir une procédure
il faut déjà porter plainte, ce qui suppose une distance critique incompatible
avec l'embrigadement et la manipulation mentale dont on accuse les sectes. On
devrait donc plutôt considérer l'absence de démêlés judiciaires, notamment
avec ses propres adhérents, comme un signe inquiétant. Neuvième indice : « L'éventuel
détournement des circuits économiques traditionnels » La formulation de cet indice est révélatrice de
la méthode inquisitrice de la Commission d'enquête. A défaut de faits établis,
on se contente de soupçons. Il suffit en effet que le détournement des
circuits économiques soit éventuel pour que les parlementaires considèrent
avoir affaire à une secte. Malgré ce procédé, le rapport Guyard estime que
seulement 51 associations répertoriées sont susceptibles de se livrer à ces
pratiques délictueuses (recours au travail clandestin, fraude fiscale,
escroquerie...), ce qui place les 134 autres au-dessus de tout soupçon. Les
sectes seraient-elles anormalement honnêtes ? En effet, combien
d'entreprises, combien de partis politiques ou combien de services secrets ne se
sont jamais livrés à ''d'éventuels détournements des circuits économiques
traditionnels'' ? Nos enquêteurs parlementaires sont particulièrement
bien placés pour savoir qu'il n'y en a que très peu, voire aucun ? à
moins de considérer comme traditionnel le détournement de circuits économiques
légaux. Dixième indice : « Les
tentatives d'infiltration des pouvoirs publics » La Commission s'inquiète de l'attribution de
subventions, et de certains marchés publics, à des organismes affiliés à des
''sectes''. En théorie, les appels d'offres sont réglementés afin de sélectionner
le meilleur service. S'alarmer que des marchés publics soient attribués à des
''sectes'' signifie soit que, malgré leurs performances, on souhaiterait les éliminer
de la compétition (c'est-à-dire les discriminer par rapport à d'autres
entreprises), soit que l'on estime que leur pénétration de l'appareil d'Etat
les favoriserait indûment. La menace est peut-être réelle, bien qu'elle
semble artificiellement gonflée pour les besoins de nos parlementaires autant
que de ceux de nos services de police. On peut néanmoins s'interroger sur le
fait que les parlementaires la réduisent à une liste de 175 associations,
qualifiées de sectes pour l'occasion, et dont la plupart ne dépassent pas les
deux mille adhérents. Les causes de corruption de l'administration sont à l'évidence
bien plus nombreuses, et souvent beaucoup plus puissantes que ces ''sectes''.
Les liens étroits avec certaines grandes entreprises et les connivences
informelles ou formalisées par des appartenances communes (grandes écoles,
partis politiques, franc-maçonnerie et autres clubs...) influent de manière
beaucoup plus forte la décision publique que tous les mouvements sectaires réunis.
De nombreuses entreprises, et pas des moindres,
se sont ainsi spécialisées dans l'obtention de subventions publiques en échange
d'emplois qui n'ont jamais vu le jour. A titre d'illustration, La vie du rail [17],
s'appuyant sur des déclarations de dirigeants de la SNCF, rapporte que le coût
de 12 milliards de la nouvelle ligne TGV-Nord inclue 750 millions de dépenses
indues générées par les ententes illicites entre les grandes sociétés de
BTP. Lorsque ces faits ont été discutés à la Commission ''transport et
infrastructures'' du Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, le 31 mars 2000,
M. Percheron, vice-président (PS), aurait défendu ces ententes qui, selon
lui, avaient pour but de défendre... l'emploi [18]. Qui
infiltre qui ? Face à ces pratiques, suffisamment communes pour
qu'un élu ose les défendre publiquement, les attaques contre les ''sectes''
apparaissent comme un écran de fumée dissimulant péniblement les véritables
(dys)fonctionnements de l'Etat. Le critère « d'infiltration des
pouvoirs publics » a en effet l'avantage de préserver l'image d'une
administration pure de toute influence extérieure, commandant à la société
avec hauteur et indépendance. Ce conte pour enfants est probablement cru par
nombre de parlementaires, et peut-être encore par quelques hauts
fonctionnaires. Mais, comme la fameuse lettre cachée d'Edgar Poe, ce qu'il
faudrait chercher est devenu tellement familier que personne ne le voit plus. C'est cette intimité de longue date avec
l'appareil d'Etat qui manque encore à l'Eglise de scientologie. Cette dernière,
particulièrement visée par cette accusation d'infiltration, apparaît comme un
bouc émissaire commode, susceptible de revivifier dans l'opinion les vieux démons
du complot que les services secrets ont toujours su manipuler [19].
En effet, même si l'intention des scientologues d'infiltrer l'appareil d'Etat
ne fait plus guère de doute pour les services de police, leur organisation, qui
regroupe environ deux mille adeptes en France, ne peut être sérieusement perçue
comme une menace majeure. A contrario, le ''pantouflage'' des hauts
fonctionnaires dans de grandes entreprises est désormais considéré comme une
pratique normale, qui ne mérite plus d'alerter les pouvoirs publics sur
l'infiltration dont ils font l'objet. On ne se dissimule jamais mieux qu'au grand jour.
Ainsi, plutôt que de traquer de prétendus pouvoirs occultes, nos
parlementaires feraient mieux d'ouvrir les yeux sur les pouvoirs visibles ?
et néanmoins bien réels. Nous avons vu que, pris un par un, aucun des critères
retenus par la Commission d'enquête n'a de consistance réelle. On voit donc
d'autant plus mal comment la convergence de ces éléments, dépourvus de la
moindre valeur cognitive, pourrait montrer quoi que ce soit du caractère d'une
association : le produit de zéro par zéro étant toujours aussi nul. C'est peut-être ce constat qui a poussé la MILS,
dans son rapport pour l'an 2000, à produire enfin une définition de la secte,
c'est-à-dire de ce qu'elle prétend combattre depuis plusieurs années. La
secte serait ainsi une « association de structure totalitaire, déclarant
ou non des objectifs religieux, et dont le comportement porte atteinte aux
Droits de l'Homme et à l'équilibre social ». Par « structure totalitaire »,
la Mission entend la soumission complète à une autorité s'exerçant sans
contrôle. Pourtant, que des individus désirent librement une telle soumission,
cela ne devrait regarder qu'eux-mêmes pour peu que leur aliénation ne prenne
aucune valeur juridique. En effet, si la loi a pour rôle d'empêcher quiconque
de renoncer à sa liberté, notamment par un contrat de servitude, elle ne peut
cependant forcer personne à l'exercer. Ce type d'associations ne devrait donc
pas intéresser les pouvoirs publics. Par contre, le fait que de nombreux salariés
soient forcés, pour vivre, d'intégrer des entreprises dotées de ''structures
totalitaires'', devrait inquiéter fortement le gouvernement. Les analyses de
Christophe Dejours [20], directeur du Laboratoire de
Psychologie du Travail, n'ont pourtant reçu aucun écho de leur part. La lutte anti-secte nous fait prendre l'arbre
pour la forêt. En effet, la stigmatisation des sectes permet surtout de tracer
une ligne de démarcation officielle entre le monde du travail libre et le monde
du travail asservi, les bonnes formations professionnelles et les formations
endoctrinantes ainsi qu'entre les bons salariés et les salariés dangereux.
Elle évite ainsi aux pouvoirs publics de remettre en cause les pratiques
manipulatrices de l'armée, ainsi que de nombreuses entreprises, qui parviennent
à faire agir leurs membres d'une façon qu'ils auraient d'ordinaire condamnée.
Une société vouée au culte de la transparence
mais qui trouve à tous ses échelons des zones d'opacité persistante, une société
vouée au culte de l'efficacité mais qui en constate chaque jour les effets dévastateurs,
une société vouée au culte de la liberté mais qui éprouve constamment le
caractère implacable de la liberté des seuls puissants, une telle société ne
peut qu'être tentée par le déni d'échecs aussi manifestes. En formant de
toutes pièces la notion de secte, les Commissions d'enquêtes parlementaires et
la MILS n'y ont pas résisté. En effet, comme nous avons tenté de le démontrer,
cette notion catalyse des maux présents à divers degrés dans l'ensemble de la
société, ce qui est la fonction même du bouc émissaire. C'est pourquoi les nécessaires dérives de la
lutte anti-secte devraient préoccuper plus fortement. Par exemple, dans son
rapport pour l'année 2000, la MILS suggère la nécessité d'appliquer, dans
l'intérêt de l'enfant, le ''principe de précaution'' à l'encontre des
professeurs dont l'appartenance à une ''secte'' est parvenue à la connaissance
des parents. Il s'agit ici d'enseignants à qui l'on n'a jamais pu reprocher de
confondre activité professionnelle et croyances personnelles : la MILS
cautionne ainsi la réaction de parents d'élèves qui ont retiré leurs enfants
de l'école publique sous prétexte que la maîtresse était Témoin de Jéhovah.
Mettant déjà en oeuvre le même principe, certaines entreprises, comme EDF,
ont reçu des instructions concernant le recrutement de leurs personnels et le
recours aux entreprises sous-traitantes liées à la scientologie et à la Sokka
Gakkaï. Un système de discrimination fondé sur les convictions privées et
donc en train de se mettre progressivement en place, en contradiction totale
avec le code de la fonction publique et la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen. Cet encouragement à la ''chasse aux sorcière'' n'est donc en rien
conforme à la tradition républicaine que le gouvernement entend protéger de
la menace sectaire. C'est pourtant ce prétendu modèle français que le ministère de Affaires Etrangères invoque face aux nombreuses réactions internationales [21], notamment américaines. Mais cette opposition proclamée entre laïcité à la française et approche anglo-saxonne de la liberté religieuse est uniquement rhétorique. Car s'il y a bien des façons d'asservir, il n'y a qu'une manière d'être libre : elle consiste à vivre conformément à ses convictions en jouissant des mêmes droits et devoirs que tous les autres citoyens. En la matière il faut donc rappeler qu'il ne peut y avoir qu'un principe : « La liberté de chaque individu majeur, homme et femme, doit être absolue et complète, liberté d'aller et de venir, de professer hautement toutes les opinions possibles, d'être fainéant ou actif, immoral ou moral, de disposer en un mot de sa propre personne et de son bien à sa guise, sans en rendre compte à personne ; liberté de vivre, soit honnêtement par son propre travail, soit en exploitant honteusement la charité ou la confiance privée, pourvu que cette charité et cette confiance soient volontaires et ne lui soient prodiguées que par des individus majeurs. Liberté illimitée de toute sorte de propagande par le discours, par la presse, dans les réunions publiques et privées, sans autre frein à cette liberté que la puissance salutaire naturelle de l'opinion publique. Liberté absolue d'associations, sans exempter celles qui par leur objet seront ou paraîtront immorales et même celles qui auront pour objet la corruption et la destruction de la liberté individuelle et publique. La liberté ne peut et ne doit se défendre que par la liberté ; et c'est un contresens dangereux que de vouloir y porter atteinte sous le prétexte spécieux de la protéger » [22]. [1]
Le consensus s'est, bien entendu, déjà formé en amont du vote. Ainsi, cette
proposition de loi a d'abord été présentée par le sénateur centriste des
Yvelines (apparenté Républicains Indépendants), Nicolas About, puis, après
quelques remaniements, à l'Assemblée Nationale par la députée socialiste de
l'Eure, Catherine Picard. Cette dernière proposition de loi « tendant
à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements
caractère sectaire » , a été adoptée, le 22 juin 2000, en première
lecture par les députés. La navette parlementaire a donc repris, et un nouveau
texte, préparé en commun par M.About et Mme Picard, a été présenté au
Sénat le 25 janvier 2001. [2]
L'émission Envoyé spécial (France 2), par exemple, s'acquitte avec zèle
de sa mission d'information du public sur le danger que présenterait les
sectes. Plusieurs associations ont ainsi fait les frais de sa façon de présenter
des éléments connus de tous comme des révélations ou de dramatiser les faits
les plus anodins : les Témoins de Jéhovah (1998, rediffusion en 2000), la
Sokka Gakkaï (Sokka Gakkaï, la secte du XXIe siècle, 08/06/2000 à
20h55), ou encore les Raëliens (21-12-2000). [3]
Ces informations, et bien d'autres, se trouvent dans l'article de F. Lenoir,
''Controverses passionnées à propos des sectes'', in Le Monde diplomatique,
Mai 1999. [4]
Les sectes en France, rapport n°2468 de la Commission d'enquête de l'Assemblée
Nationale, A. Gest et J. Guyard, Paris, 1996. [5]
Selon l'Annuaire pontifical de 1994. [6]
''Garde blanche du Vatican, la troublante ascension de l'Opus Dei'' , F. Normand
in Le Monde Diplomatique, Septembre 1995. [7]
La Croix, 22 juin 2000. [8]
''L'irrésistible perversion du besoin, consommateurs sous influence'',
F.Mazoyer in Le Monde Diplomatique, Décembre 2000. [9]
L'intitulé de cette proposition de loi est bien étonnant puisque les
parlementaires prétendent renforcer la répression contre les sectes alors
qu'il s'agit du premier texte législatif visant spécifiquement ce type
d'organisations. Bien qu'à strictement parler une telle formulation ne soit pas
mensongère, puisqu'on ne peut que renforcer une législation inexistante, elle
laisse cependant présumer une continuité là où il y a rupture pure et simple
avec la tradition républicaine. A moins que nos parlementaires reconnaissent
ici que la répression des sectes n'a pas attendu le vote d'une loi pour se
mettre en place. Ce qui revient à dire que certains groupes ont fait l'objet
d'une application volontairement plus rigoureuse des lois existantes que les
autres ?ce qui revient à reconnaître officiellement la rupture du
principe fondamental d'égalité de tous devant la loi. [10]
Ainsi, la jurisprudence française a déjà donné valeur au rapport Guyard en
le retenant comme élément susceptible de conforter les constatations du juge
du fond : O.c.C.-Cass Civ2-25.06.98 arrêt n°1064D. [11]
''En février 1995, Educinvest, qui gère 250 écoles privées et fait alors un
chiffre d'affaires annuel de 850 millions FF, devient propriété à 70 % de la
Générale des Eaux (aujourd'hui Vivendi) au travers de sa filiale, la Compagnie
immobilière Phénix (CIP)''. Source : Les Echos, 21 février 1995,
cité dans Tableau noir, résister à la privatisation de l'enseignement,
G. de Sélys et Nico Hirtt, éditions EPO, Bruxelles, 1998. [12]
M. Knight, P-DG de Nike, a ainsi déclaré : « J'ai été
choqué de découvrir, le 14 Avril à 9 heures du matin, que l'Université de
l'Oregon avait rejoint le Consortium pour les Droits des Travailleurs. Par cette
initiative, l'Université prend position contre la nouvelle économie globale
qui me permet de gagner ma vie. (...) Désormais, en ce qui me concerne, Nike ne
fera plus de donation, d'aucune sorte, à l'Université de l'Oregon. Les liens
de confiance que nous entretenions ont été coupés ». [13]
Lire Mots à maux, dictionnaire de la lepénisation des esprits, P. Tévanian
et S. Tissot, Editions Dagorno, Paris, 1998. [14]
Il faut pourtant remarquer, avec le professeur de libertés publiques Jacques
Robert, que cette décision du Conseil d'Etat aurait dû obliger
l'administration à saisir le Procureur de la République en vue de faire
constater la nullité de l'ACTJ par le Tribunal de Grande Instance, conformément
aux articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901. Or elle s'est bien gardée de
le faire puisqu'une telle restriction de la liberté des cultes aurait abouti à
la reconstitution des cultes reconnus auxquels la loi du 9 décembre 1905
entendait justement mettre un terme. On peut donc regretter que l'administration
n'ait pas eu le courage de mener son action jusqu'au bout, puisque la
contradiction entre l'utilisation abusive de la notion d'ordre public et le
principe de séparation des églises et de l'Etat aurait ainsi été rendue
manifeste. [15]
Dans deux arrêts rendus le 23 juin 2000, le Conseil d'Etat a renversé sa
jurisprudence au sujet des Témoins de Jéhovah. Le Conseil a en effet reconnu
leur caractère d'association cultuelle de fait, ce qui leur permettra de bénéficier
des exonérations de taxe foncière pour les lieux de culte au titre de
l'article 1382 du Code des impôts. A cette occasion, le Conseil a considéré
que le refus de la transfusion sanguine ne constituait pas un délit de ''on
assistance à personne en danger''. Il a donc estimé qu'il n'y avait, en
l'occurrence, aucun trouble à l'ordre public. Que le Conseil d'Etat ait eu le
courage de revenir sur ses propres jugements n'en démontre que mieux le caractère
totalement arbitraire de la notion de trouble à l'ordre public. [16]
Les Témoins de Jéhovah semblent par ailleurs amorcer une timide révision de
leur doctrine en matière de transfusion sanguine. Ainsi, en juin 2000, le corps
exécutif des Témoins de Jéhovah a décidé que « les fidèles de la
Tour de Garde qui accepteraient des transfusions sanguines ne seront plus
automatiquement excommuniés ». [17]
La vie du rail, 23 février 2000. [18]
Source : Bulletin des Conseillers Régionaux Lutte Ouvrière du
Nord-Pas-de-Calais, 5 Mai 2000. [19]
Le modèle du genre demeure la rédaction des fameux Protocole des sages de
Sion par un agent de l'Okhrana (police politique tsariste). Devenu
totalement autonome de ses auteurs, ce texte est encore largement diffusé de
par le monde, bien que les preuves de la mystification ne soient plus à faire.
Sur ce sujet : Une mystification mondiale, H. Rollin, éditions
Allia. [20]
Lire Souffrance en France, la banalisation de l'injustice sociale,
Christophe Dejours, éditions du Seuil, collection Points, janvier 1998.
L'auteur y pose la question de savoir comment des hommes ordinaires peuvent-ils
commettre le mal sans la moindre mauvaise conscience. En s'appuyant à la fois
sur ses propres travaux de terrain et sur les analyses d'H. Arendt sur la
banalité du mal, il explique la faiblesse des résistances morales à la
souffrance infligée dans le monde du travail par la structure totalitaire de
certaines entreprises. Malgré le caractère scientifique de ses recherches, les
promoteurs et les firmes utilisatrices des nouveaux modes de management n'ont
jamais été soupçonnées de sectarisme par la MILS. [21]
Rappelons que la Fédération Internationale des Droits de l'Homme d'Helsinki
(ONG affiliée à l'OSCE) a vivement critiqué la politique française, tandis
que l'ONU, dans son rapport du 1er juin 2000, condamne la proposition de loi
About-Picard par laquelle le gouvernement s'arroge le droit « de
dissoudre ou interdire toute association impopulaire ». Quant au Département
d'Etat américain, il a régulièrment mis en cause la France pour ses pratiques
« discriminatoires ». [22]
Michel Bakounine, Catéchisme révolutionnaire, publié par Daniel Guérin
dans Ni Dieu ni Maître, anthologie de l'anarchisme, p.190, éditions La
Découverte, juin 1999.
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