Scientisme, croyances et lutte contre les dérives sectaires
Par Denis Mathieu (Août 2010)
Étant
donné la sensibilité actuelle de certains sujets, il convient de
préciser tout de suite que l’article n’a pas pour objet de dénigrer
la science, ni de promouvoir le créationnisme ou le « retour à la
bougie » (sans non plus émettre de jugement de valeur sur ces
conceptions) mais de souligner un trait de notre éducation et de
notre culture (occidentale et plus particulièrement française) dont
abusent certains pourfendeurs de « croyances » et de « sectes ». Ce
« trait » de notre éducation, Jean Baubérot le rappelait lors du
colloque « Sectes : fléau social ou bouc émissaire ? » en 2007 : «
[…] Parce qu’à partir du moment où ces régimes laïcisateurs, ces
régimes qui se réclamaient de 1789 et du drapeau tricolore, prenaient
leur distance avec la religion, il leur fallait une nouvelle source
de légitimation et c’était Anatole
France écrivait il y a 120 ans : « Si la science un jour règne seule,
les hommes crédules n'auront plus que des crédulités scientifiques ».
Nous n’en sommes peut-être pas loin... Robert Nadeau, épistémologue,
considère que la culture scolaire est constituée de « clichés
épistémologiques » qui formeraient une sorte de « mythologie des
temps nouveaux » qui ne serait pas sans rapport avec une sorte de
scientisme.
L’histoire de l’épistémologie,
nous enseigne que « Le
Scientisme, selon la formule d'Ernest Renan, permettrait d'«
organiser scientifiquement l'humanité ». Il s'agit donc d'une foi
dans les principes et méthodes de la science appliqués à tous les
domaines. Ce qui a fait dire à certains que Nous
avons grandi dans un scientisme installé qui ne dit plus son nom et
qui, depuis Auguste Comte, inspire les institutions françaises et, en
premier lieu, l’école de La « Science » est supérieure aux « croyances » et
le scientifique est son prophète..., l’instituteur son apôtre, la
médecine son plus beau fleuron. Tels des Bibles, on a donné en pâture
à nos interrogations enfantines et adolescentes : Science et Vie, Ça
m’intéresse et autres revues de « vulgarisation scientifique »,
« Euréka », « E=M6 » et d’innombrables émissions télévisées et
articles imprégnés d’une vision de la science, glorieuse, immaculée,
sûre d’elle, qui ferait honte à bien des esprits scientifiques qui
savent encore que le doute et l’humilité sont essentiels à leur
démarche et qui connaissent les compromissions de la science des deux
siècles passés.
L’ « enquête » parue en juin dans « Ça m’intéresse » intitulée :
« Naturopathes, voyants, coaches, tous gourous ? », met en scène un
« Spécialiste des questions de croyance ». En
milieu de page : « Pour distribuer les augmentations, un patron suit
les conseils d’une cartomancienne ! », et en guise d’introduction :
« Les français sont fans d’experts en sciences occultes et de
spécialistes en médecine alternative. Parmi eux, se cachent des
escrocs qui promettent monts et merveilles à une société qui a besoin
de rassurance. » Gros
plan sur la colonne de gauche : on y apprend qu’un français sur deux
a expérimenté les médecines parallèles (acupuncture, naturopathie…),
que 15 millions de personnes consultent des voyants, qu’un salon
Parapsy fait 20 000 entrées chaque année, que l’Église de
Scientologie propose une application iPhone et que Henri
Poincaré disait : « On fait la science avec des faits comme une
maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas
plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison. » Le
principal dénominateur commun des « faits » en question est de mettre
en scène les cibles traditionnelles des militants scientistes et
antisectes ; ils ne démontrent rien, si ce n’est une certaine
vitalité de ces activités. La suspicion à l’encontre de ces
dernières, qui grandit à la lecture de l’article, ne provient pas
d’une démonstration mais d’une juxtaposition arbitraire de faits, de
noms et de qualificatifs péjoratifs, cautionnée par l’autorité tacite
de « la science » incarnée par l’expert des « questions de
croyance ». A
l’appui de la thèse, en en-tête : « Les experts en manipulation
mentale en veulent surtout… à notre portefeuille » et, en bas de
page, une courte évocation du rapport de Aucune
preuve de délinquance significative, aucune étude quantitative ou
qualitative ne viendra justifier d’avoir associé « gourou », « expert
en manipulation mentale », « escrocs », « mise en danger d’autrui »,
etc., aux pratiques, croyances et philosophies désignées. Du reste,
la « manipulation mentale » est un concept flou, sans aucune validité
scientifique ni juridique, aisément reprochable à tous les acteurs de
la société, en commençant par les plus puissants. Quant au rapport de
la MIVILUDES,
ses
approximations, ses contradictions et son absence de méthode le
disqualifient sur le plan scientifique. La
science serait-elle une croyance qui a réussi ? Ça m’intéresse » garnit couramment les rayons
des bibliothèques scolaires et des CIDJ, c’est une revue très anodine
aux yeux du public qui la considère comme « scientifique ». Si elle
peut faire passer des tas de pierres pour des maisons, c’est bien
parce que la sacralisation de la science a fait perdre un certain
esprit critique.
Quelques pages avant le dénigrement des « croyances » par
l’enquêtrice de « Ça m’intéresse », on peut lire, en titre dans un
autre article :
« Dans
dix ans, l’homme aura réussi à recréer la vie en tube ». Mais c’est
un scientifique qui le dit, alors… Autre
trace de l’inspiration scientiste : l’incontournable « au pays de
Descartes » où, selon la journaliste, règnerait « paradoxalement »
une « technophobie » poussant, à titre d’exemple, une crédule
population à : -
« douter » du vaccin H1N1 ; -
« polémiquer » sur l’implantation d’antennes-relais ; -
« paniquer » suite à la révélation du caractère cancérigène des
biberons au bisphénol A ; -
« avoir peur d’un nouvel AZF ».
On
pourrait presque dire qu’elle a manqué là une occasion de se taire.
Elle oublie en tous cas d’expliquer en quoi ces peurs, paniques et
doutes seraient infondés ou irrationnels (puisqu’elle en appelle à
Descartes). Il y a
aussi, dans ces pages, une référence à l’ouvrage « Petit traité de
manipulation à l’usage des honnêtes gens » de Robert-Vincent Joule et
Jean-Léon Beauvois, chercheurs en psychologie sociale. Le livre est
cité pour cautionner la théorie de la manipulation mentale, selon
laquelle certains groupes dits « sectaires » auraient l’apanage de la
manipulation voire des méthodes spécifiques d’endoctrinement et de
persuasion. Or, la lecture complète de ce livre conduit plutôt à
penser que les relations dans nos sociétés sont saturées de modes
manipulatoires dont la plupart sont jugés « de bonne guerre », dans
le commerce en particulier (voir
notre compte rendu de lecture).
Pour le CICNS, habitué à la littérature antisectes,
il n’y a aucune surprise ni dans les quatre pages de l’« enquête »,
ni dans l’argumentaire, ni parmi les exemples donnés abondamment
commentés sur notre site. Nous invitons notamment le lecteur à
visiter les pages que nous avons consacrées à l’« affaire
Védrines » et à l’« affaire Jacqueline Starck ».
Relevons toutefois que la
journaliste souligne
une difficulté particulière à la lutte contre la « manipulation
mentale » : « Il faut se battre contre les victimes elles-mêmes… » Un
autre exemple de la pensée scientiste associée à l’antisectarisme
dans les revues de vulgarisation, dans le numéro de « Sciences et
Avenir » de septembre 2005 qui titrait : « Les sectes et la
science ». En
introduction du dossier, on peut lire : « Longtemps la science a
semblé le meilleur rempart contre l’irrationnel ; les lumières de la
raison, le plus efficace repoussoir contre le surnaturel », le
présupposé étant donc la nécessité de lutter contre l’« irrationnel »
et le « surnaturel », un véritable parti pris scientiste et non une
application de la méthode scientifique, loin s’en faut. A
noter, quelques lignes plus loin, que l’attitude pragmatique (et
courageuse étant donné le contexte) de certains sociologues des
religions étudiant les nouveaux mouvements religieux sans préjugés
antisectes, qui pourrait être qualifiée honorablement de
scientifique, est taxée de « réserve toute universitaire » par les
journalistes de Sciences et Avenir. Enfin,
une citation de Nathalie Luca, chercheur au CNRS, utilisée par les
auteurs de l’article pour tenter de démontrer comment les « sectes »
se réapproprieraient injustement les sciences et qu’ils feraient
mieux d’utiliser à fin d’une autocritique : « […] Notre société a
voulu se défaire de l’emprise des religions sur ses institutions […]. La science a pris le relais de la
religion pour l’assouvir. Il s’est produit un transfert de
sacralité ».
Conclusion La
position dominante actuelle en France d'un certain rationalisme, d'un
certain scientisme, qui se dit parfois humaniste, héritier de
Descartes ou, plus populairement, se réclamant du « bon sens », ne doit pas faire
oublier, d’une part, qu'il existe d'autres manières historiques
d'appréhender le monde, religieuses, philosophiques (métaphysiques),
spiritualistes... (sans prétendre être exhaustif), par lesquelles,
d’ailleurs, de nombreux scientifiques se disent inspirés ou guidés
et, d'autre part, que « Bien qu’il soit vêtu des habits de la modernité,
la démarche de l’obscurantiste scientifique est la même que celle de
l’homme de l’Inquisition : nier des évidences au nom d’une conception
dogmatique de ce que doit être
Aujourd’hui, les obscurantistes scientifiques multiplient les mises
en garde et les excommunications. Car ce nouveau millénaire est une
rude période pour ces obscurantistes-là. » - Jean Staune : (source) Denis Mathieu est
né en 1967. Il est électronicien de formation. Il a fréquenté de
nombreux milieux associatifs en France et à l'étranger et, depuis une
quinzaine d'années, a été un observateur attentif du contexte
d'expression de la spiritualité en France. Attaché à la défense de la
liberté spirituelle, il prend part activement à l'action du CICNS
depuis sa création. Depuis 2007, il travaille à l'enregistrement et
au montage des interviews. |
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