Commentaire d'auditions au Sénat de praticiens en thérapies non conventionnelles

Par le CICNS (avril 2013) - auditions conduites dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale sur les sectes et la santé

Nous constatons que la position de certains thérapeutes non conventionnels face aux sénateurs tend à rester sur la défensive et la protection, allant parfois jusqu’à la soumission en s’alignant sur le langage antisectes des autorités dans l’espoir de s’en préserver. Si chacun semble avoir foi en ce qu’il propose, peu témoignent néanmoins d’une connaissance du contexte de cette commission et d’une conscience de ses conséquences sur l’avenir global des médecines alternatives et plus généralement encore des libertés fondamentales dans notre pays. Quand les thérapeutes finissent par s'accuser les uns et les autres d'être des rapeutes, sur la base des mêmes rumeurs et allégations utilisées à leur encontre, ne peut-on pas voir dans ce mécanisme de défense un triomphe de l'entreprise de division qui est à l'oeuvre ?

Citations en italiques, commentaires du CICNS en texte normal (pour lire l'audition complète et le contexte des citations, cliquer sur le lien en intitulé des extraits).

Extraits de l’audition de M. Daniel KIEFFER, directeur du Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (Cenatho) (mardi 26 février 2013) 

« M. Daniel Kieffer. - Certains médecins sont assez souvent inquiétés lorsqu'ils donnent l'apparence de l'exercice illégal. Les naturopathes n'encourent presque jamais ce reproche. On n'a pas eu ce souci depuis quasiment dix ans. J'ai su que quelqu'un qui se disait naturopathe, mais qui était autodidacte, il y a deux ans, en Bretagne, avait refusé des soins à son enfant : de telles personnes sont la honte de la profession. Cela n'existe pas chez nous. (…)

M. Jacques Mézard, rapporteur.  (…)Au sujet du dépistage du cancer du sein, il est écrit sur  le site (de l’Alliance pour la santé) : « Malgré ces méthodes de très forte incitation, voire de coercition, les preuves scientifiques étayant ce dépistage sont de plus en plus controversées. Le bénéfice en terme de mortalité est constamment revu à la baisse, et tant le surdiagnostic que le surtraitement ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes. Avant de prendre la décision de pratiquer ce dépistage, mieux vaut avoir eu accès à une information sur ces points ». Je doute que ces propos soient raisonnables. Dans la version originale de cet article, le dépistage du cancer du sein est considéré comme « le plus inutile et plus dangereux des dépistages ». Il comporterait de nombreux risques selon l'auteur de l'article.

M. Daniel Kieffer. - Sans aucune hésitation, je cautionne votre indignation. Ces propos, que je découvre avec vous, sont intolérables sur le site de notre association et je m'engage à les faire disparaître dès demain. Je suis scandalisé. » 

Pour mieux comprendre en quoi cette position de M. Kieffer témoigne d’un manque de connaissance de ses conséquences pour tous, nous invitons nos lecteurs à écouter l’interview de Philippe Dargère, ancien président de la Fédération Internationale de Naturopathie, réalisée en 2008 par le CICNS, deux ans avant sa mort. Philippe Dargère y partage sa perception du climat de peur institutionnalisé par la chasse aux « sectes », qui touche désormais l'ensemble des pratiques de santé alternatives, et invite chacun à « lever le bouclier de la peur » et « à s’unir pour devenir une force dans notre société ».  

M. Jacques Mézard, rapporteur. (…) Une foule d'appareils de neutralisation des ondes sont sur le marché ; ils inondent les salons du bien-être et autres (…), on y voit une collection d'objets charlatanesques incroyables. Or, aucun n'a fait ses preuves et financièrement, l'enjeu est lourd. Je ne peux être d'accord avec vous.

M. Daniel Kieffer. - Je vous suis sur les produits charlatanesques. Ça fait peur parfois. Nous avons choisi les appareils les plus sérieux au niveau européen.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ne craignez-vous pas que vos clients se coupent peu à peu de la médecine traditionnelle ? Qu'à force de manger tels légumes ou tels fruits, on se dise que les antibiotiques ne servent plus à rien ? Avez-vous constaté des dérives ? Comment lutter contre ?

M. Daniel Kieffer. - En France, c'est rare. Les dérives existent plus en psychologie, avec certaines techniques, notamment l'hypnose, le rebirth. Des dérives en naturopathie ont eu lieu au Québec. C'est peut-être une question de culture : dans ce pays, les manipulations mentales semblent plus fréquentes. (…) Nous ne sommes ni caricaturaux, ni fanatiques. Mais bien sûr, nous ne sommes pas à l'abri d'un naturopathe autodidacte qui ferait n'importe quoi... C'est pourquoi nous réclamons un cadre institutionnel. 

Ce positionnement consistant à dénoncer les dérives (éventuelles) des autres, en utilisant un concept aussi fallacieux que celui de « manipulation mentale », est une des principales causes du « succès » de la politique antisectes française et de ses conséquences sur nos libertés.  

Extraits de l’audition de M. Thierry WAYMEL, président de la Fédération française des kinésiologues spécialisés et M. Bernard OPHOVEN, président du Syndicat francophone des kinésiologues spécialisés (mercredi 20 février 2013) 

M. Thierry Waymel. - (…) Nous sommes aussi en contact avec M. Didier Pachoud, président du Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gemppi). (…) Selon notre Fédération, il n'existe pas de dérives sectaires dans la kinésiologie. Cependant, nous veillons que les éventuels écarts soient sanctionnés par notre commission éthique. Cette année, nous avons ainsi refusé l'adhésion de deux écoles et de deux personnes qui ne répondaient pas à nos codes, associant à la kinésiologie d'autres techniques ne nous convenant absolument pas sur le plan déontologique  (…) Les kinésiologues n'appliquent aucunement leur système de croyance et n'imposent pas leur façon de penser. La charte du Gemppi est affichée dans le cabinet de ceux qui l'ont signée.

Mme Muguette Dini. - Que pensez-vous de l'appel de M. Jean-Claude Guyard, fondateur de l'Ecole de kinésiologie et méthode associées (Ekma), en faveur de la constitution d'une confédération des associations professionnelles de shiatsu, reiki, kinésiologie, yoga, sophrologie, qi gong, afin de faire face aux attaques subies par la kinésiologie, en particulier lors du fameux procès que vous évoquiez ?

M. Thierry Waymel. - Il a certainement ses motivations. M. Guyard était auparavant à la Fédération française de kinésiologie spécialisée et l'a quittée...

Mme Muguette Dini. - Pourquoi ?

M. Thierry Waymel  - On entend beaucoup de bruits de couloir. Je ne l'ai pas connu. (…) D'après ce que j'ai pu comprendre, il s'agit d'une personne qui a des idées bien arrêtées sur la kinésiologie, qui a également fait beaucoup pour cette discipline. Aujourd'hui, M. Guyard a une école à faire vivre. Nous n'avons que très peu de contacts avec cette personne...

M. Bernard Ophoven.  - Il existe des problèmes de pouvoirs et je pense que M. Guyard est dans ce registre. C'est une des raisons pour lesquelles il a quitté la Fédération... Je n'avais pas connaissance de cette proposition. Personnellement, je suis contre. Nous voulons en effet faire de la kinésiologie une activité spécifique, avec des cartes professionnelles de kinésiologue, à l'exclusion d'autres techniques. Notre objectif est de progressivement créer une profession, en évitant tout amalgame.

M. Thierry Waymel  – (…) J'admets qu'il existe des dérives, plusieurs personnes utilisant des techniques qui demandent sûrement à être encadrées. Au sein de notre conseil d'administration, c'est un débat permanent pour savoir comment remédier à cette situation ! Nous avons même proposé une seule carte de kinésiologue... 

Que dire de ces réponses au parfum d’intrigues internes ? Si les thérapeutes veulent défendre leur méthode, il faudrait qu’ils évitent de donner l’impression d’être dans une guerre commerciale ou de faire le jeu de la division « antisectes ». 

Extraits de l’audition de M. Gérard ATHIAS, du Collège international Gérard Athias (mardi 12 mars 2013) 

M. Gérard Athias.  - Je suis allé voir le docteur Claude Sabbagh il y a dix-huit ans lorsque j'ai été malade, mais mes techniques sont différentes des siennes. J'ai suivi ses séminaires et ne suis, sur bien des plans, pas d'accord avec lui. Je ne veux donc pas être de quelque façon, sauf en tant que patient, assimilé à la biologie totale.

M. Gérard Athias.  - (…) Le docteur Sabbagh a pu écrire que les métastases n'existaient pas, alors que dans mes livres, je confirme qu'elles existent. C'est le jour et la nuit !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Entendu, mais dire que l'on se nourrit des enseignements de quelqu'un qui écrit ce genre de chose, cela pose tout de même problème.

M. Gérard Athias. - Je retirerai cette phrase dès que j'aurai pu contacter mon webmaster. Si c'est ce qui vous gêne, ce sera fait dans les quinze jours !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce qui nous gêne le plus, c'est que des gens qui suivent votre séminaire en arrivent à conseiller à des malades d'arrêter tout traitement.

M. Gérard Athias. - Donnez-moi des noms !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous les connaissez parfaitement !

M. Gérard Athias. - Non Monsieur. Il n'y a que moi qui jure ici ? Dites-moi de qui il s'agit : je n'ai rien à me reprocher ! J'ai écrit des livres et je vous raconte ce que je fais. Je vous demande de me donner des noms et vous ne voulez pas le faire. Dans ce cas, ce sont eux que vous devriez convoquer et pas moi ! (…) Que les médecins prennent davantage en charge les patients, je serais heureux de pouvoir me retirer et il n'y aura plus de problèmes de dérives avec certains de mes élèves.

M. Yannick Vaugrenard - Dès lors que vous avez anticipé le fait d'être radié, ne pensez-vous pas qu'indiquer, dans le cadre de vos activités, que vous êtes docteur en médecine relève d'une forme de publicité mensongère ?

M. Gérard Athias. - Pas du tout !

M. Gérard Athias. - Je suis docteur : c'est un titre universitaire ! D'aucuns le sont en droit, d'autres en lettres... moi en médecine. Il n'y a rien d'extraordinaire à indiquer ses diplômes.(…)

M. Alain Milon, président. - A la première difficulté, vous renoncez à votre métier, c'est dommage. De surcroît, utiliser le titre de docteur est une forme de tromperie. Vous dites avoir guéri d'une maladie incurable. Or vous êtes intelligent, vous savez bien que le psoriasis fait partie des maladies incurables d'un point de vue médical mais pas pour l'ensemble de la population, qui y rangerait plutôt les cancers ou infarctus. C'est une seconde tromperie.

M. Gérard Athias. - Dans ce cas, je l'enlèverai au plus vite. Je fermerai le forum de mon site si nécessaire. (…) Je le redis : je ne veux tromper personne. Signalez-moi ce qui ne va pas, et je me mettrai en règle.

M. Gérard Athias. (…) Je contacterai mon webmestre pour retirer de mon site ce qui ne vous plaît pas. 

Les réponses de Gérard Athias se passent de commentaires.  

Extraits de l’audition de M. Jean-Marie BATAILLE, directeur de l'Institut français d'application pour le corps et l'esprit (Iface) (mardi 26 février 2013) 

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pensez-vous que des gens puissent enlever des kystes sur des ovaires sans connaissances spéciales ? Je termine. Je cite votre publicité. Vous vous adressez à « certains humanistes qui aimeraient partir dans le Tiers-monde pour aider les malades démunis, grâce aux moyens salutaires et providentiels de notre médecine à mains nues qui ne coûte rien ». Vous croyez que c'est bien de soutenir de telles thèses ?

M. Jean-Marie Bataille. - Parfaitement bien. Je serais honteux de ne pas l'avoir écrit.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Est-il raisonnable de faire croire à nos concitoyens que vous pouvez changer leurs vertèbres sans les toucher ?

M. Jean-Marie Bataille. - Pourquoi « faire croire » ? Mes stagiaires le vivent eux-mêmes ! Je ne peux que vous inviter à venir voir ce qu'il en est. Georges Fenech n'est jamais venu.

M. Alain Milon, président. - Il est dit dans votre brochure que les infirmières qui suivent votre enseignement peuvent apprendre « une technique réellement instantanée qui permet de stopper une crise cardiaque dans l'instant, sans toucher la personne, laquelle revient à elle immédiatement sans aucune souffrance ni séquelle, avec un pouls normal, une bonne respiration, en se disant bien dégagée ».

M. Jean-Marie Bataille. - C'est la réalité. Moi-même, j'ai pratiqué cette technique un soir de Saint-Sylvestre et tout le village peut en témoigner : un homme âgé s'est évanoui - crise cardiaque - et, après mon intervention, il est revenu à lui et il s'est mis à danser.

M. Alain Milon, président. - C'était un malaise vagal, pas une crise cardiaque.

M. Jean-Marie Bataille. - Vous n'en savez rien du tout. Vous n'étiez pas là.

M. Alain Milon, président. - Donc ce soir-là, vous avez fait un diagnostic ?

M. Jean-Marie Bataille. - Il n'y avait pas de diagnostic à faire. Tout le monde était perdu. C'est très facile. Tout le monde devrait l'apprendre, cette technique.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - De par les photos que je vois, vous opérez en blouse blanche. A quoi sert d'opérer en blouse blanche alors qu'il s'agit d'opérations immatérielles ? Vous ne touchez pas le patient. Vous donnez l'impression que ça ressemble à de la médecine.

M. Jean-Marie Bataille. - Nos blouses ne sont pas blanches, mais jaunes. D'ailleurs, les médecins font une erreur avec leurs blouses blanches qui constituent un barrage à l'énergie. Le jaune absorbe les énergies. Je parle des énergies du soleil.

Mme Catherine Deroche . - Comment avez-vous appris la technique de l'ondobiologie ?

M. Jean-Marie Bataille. - Je ne l'ai pas apprise, je l'ai inventée. 

Mme Hélène Lipietz . - Sur votre site, un clic sur la biochirurgie immatérielle donne accès à une photo où vous figurez en blouse blanche, aux côtés d'une dame en blouse jaune. Il va falloir songer à changer de couleur de blouse !

M. Jean-Marie Bataille. - Cette blouse est beige. Vous avez un problème de chromatique. Ça se soigne aussi.

M. Alain Milon, président. - Comment vous sentez-vous après cette audition ?

M. Jean-Marie Bataille. - Je me sens libéré. Je vous en remercie. Je n'ai senti aucune agressivité de votre part, malgré quelques sourires : c'est normal, vous ne me connaissez pas ! Mais je vous invite à venir... 

M. Bataille est manifestement plus courageux et son enthousiasme plutôt rafraichissant dans un tel contexte.

Au-delà de la validité des propositions des uns et des autres que nous ne saurions évaluer (et les sénateurs non plus), le CICNS, avec ses dix années d’expérience et d’étude de la politique des pouvoirs publics face au développement des minorités spirituelles comme des méthodes thérapeutiques ou éducatives non conventionnelles, constate que l’attitude défensive des thérapeutes, complaisante avec les méthodes de division de l'antisectarisme apporte de l'eau au moulin d'une répression dont personne ne sortira indemne. Face à cette lutte acharnée, chacun devrait faire le choix de dépasser les clivages, les divisions, pour s’unir autour de la défense du droit de chacun à choisir l’approche spirituelle, éducative ou thérapeutique qui lui convient et à vivre selon sa propre conscience dans le respect des lois et du bien-être de tous.  

 

 

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