"Le protestantisme français n'a plus de couleur politique majoritaire"

LE MONDE | 20.10.05 | 14h37 o Mis à jour le 21.10.05 | 08h22

Le centenaire de la Fédération protestante de France (FPF), vendredi 21 octobre, coïncide avec celui de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. Vous êtes l'un des rares responsables religieux à avoir réclamé un "toilettage" de ce texte. Avez-vous l'impression d'avoir été entendu ?

Bien évidemment, nous avons eu droit à la réponse classique. Celle de la présidence de la République, affirmant que cette loi est un pilier de nos institutions, auquel on ne touche pas. Ce à quoi je réponds qu'il n'est pas interdit de le repeindre... Et puis une autre position selon laquelle la portée symbolique de ce texte est si forte qu'il n'est pas opportun d'ouvrir un débat législatif sur le sujet.

Je me réjouis qu'un certain nombre d'hommes politiques aient pris conscience qu'il existait des problèmes techniques, en particulier le lien entre associations "cultuelles" loi de 1905 et associations "culturelles" loi de 1901. J'attends maintenant le 1er janvier 2006 pour que, une fois sortis de la commémoration, nous passions aux actes. Lorsque le ministre de l'intérieur déclare qu'il faut "adapter" la loi, j'attends que son ministère mette en place un groupe de travail sur le sujet. Pour l'instant, je ne vois rien venir.

Vous avez déclaré que les musulmans étaient mieux traités. Pour quelle raison ?

N'y voyez pas une jalousie. Mais lorsqu'on est musulman et qu'on veut ouvrir un lieu de culte, on bénéficie de l'état d'esprit selon lequel il faut "sortir l'islam des caves" . Lorsqu'une communauté évangélique est trop à l'étroit dans un lieu de culte inadapté, qu'elle trouve un local plus grand de 2 500 m2 et décide de l'acheter, la municipalité refuse et use de son droit de préemption.

En région parisienne, une communauté qui compte quarante associations cherche aujourd'hui à construire douze lieux de culte et n'obtient aucune autorisation. Il s'agit de la Communauté des Eglises d'expression africaine en France (CEAF). Elle possède pourtant l'argent nécessaire et ne réclame pas de subventions, contrairement à une autre religion présente en France...

Vous étiez très réservé après l'élection du pape Benoît XVI. Quel bilan tirez-vous des premiers mois de son pontificat ?

Beaucoup de bonnes choses ont été dites à l'égard du mouvement oecuménique. Je pense à la première homélie du pape, à la rencontre avec les protestants à Cologne. Je reste tout de même dans l'expectative. Ce qui est fondamental, pour nous protestants, c'est que les conférences épiscopales aient plus de liberté dans l'invention de relations oecuméniques au niveau national.

Dans les années 1980, la Conférence épiscopale française était allée très loin dans l'accueil des protestants à l'eucharistie. Et puis elle est revenue en arrière, sous le règne du cardinal Ratzinger à la Congrégation pour la doctrine de la foi...

Le visage du protestantisme français est en train de changer. Le sociologue Sébastien Fath va jusqu'à dire que les évangéliques sont majoritaires dans les temples. Comment la FPF s'adapte-t-elle à cette nouvelle donne ?

Il y a beaucoup d'évangéliques à l'intérieur de la FPF. Beaucoup à l'extérieur aussi. La FPF réunit des Eglises différentes, dans un projet associatif qui met l'accent sur le rapport à la modernité. Nous ne sommes pas en concurrence avec la Fédération évangélique de France (FEF). Le projet de la FEF est de réunir des Eglises autour d'une déclaration de foi.

Il n'existe pas, en France, l'équivalent de la droite morale américaine. Comment expliquez-vous cette situation ?

Au moment des grandes déclarations de l'ensemble des Eglises contre la guerre préventive en Irak, pour la première fois la quasi-totalité des grands mouvements évangéliques français se sont déclarés contre l'intervention américaine. D'habitude, ils ne font pas de déclaration. Fondamentalement, je pense qu'ils sont culturellement français. L'enracinement du culte évangélique dans notre pays le met à l'abri d'une dérive du type "majorité morale". En France, en raison de la laïcité, il est inconcevable de constituer un groupe de pression autour d'un lieu de culte.

Y aurait-il un protestantisme de gauche, qui serait celui des Eglises historiques, luthériennes et réformées, et un protestantisme de droite, qui serait évangélique ?

Ce serait une caricature de vouloir enfermer les luthéro-réformés dans la gauche. Si l'on faisait un sondage, on les trouverait majoritairement au centre gauche, mais aussi dispersés sur le reste de l'échiquier politique. Inversement, vous trouverez des évangéliques à gauche. Ma conviction est que le protestantisme français n'a plus de couleur politique majoritaire.

Les points de friction portent sur des sujets de morale comme l'homosexualité, qui font intervenir des blocages venant du mode de lecture de la Bible.

Ces divergences ne vont-elles pas empêcher, à l'avenir, la FPF de s'exprimer sur un certain nombre de sujets de société ?

Sur les questions éthiques, la Fédération protestante sera inévitablement limitée et impliquera davantage des Eglises spécifiques dans le débat.

Sur la question des sectes, pensez-vous que le débat, en France, est plus serein ?

Le changement récent de président à la tête de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) est l'occasion, pour certains, de chercher à faire pression.

Je trouve tout à fait inappropriées les rodomontades de la Mairie de Paris, qui organise une manifestation devant les locaux de la Scientologie et diffuse une carte des "sectes à Paris". La cartographie relève de la stigmatisation et de la culture de la peur. Ce n'est pas comme cela qu'on fait de la politique.

Quels sont les projets de la Fédération protestante ?

Nous allons publier, au premier semestre 2006, un texte fondamental pour rappeler aux politiques les attentes que nous avons à leur égard. Et nous allons le relier à dix ou douze dossiers fondamentaux : prison, immigration, changement climatique, crise sociale... Non pas pour décliner des solutions, mais pour dire comment les Eglises abordent ces sujets.

Nous souhaitons que les paroisses puissent se saisir des dossiers et provoquer des rencontres avec des responsables politiques, afin d'amener le discours public sur les questions qui nous semblent essentielles pour l'avenir de la société.

Propos recueillis par Jean-Michel Dumay et Xavier Ternisien

Fédération protestante de France (FPF). La Fédération protestante a vu le jour en octobre 1905 comme une union d'Eglises destinée à... "défendre les intérêts protestants", dans le contexte de la séparation des Eglises et de l'Etat. Elle fédère dix-sept Eglises et unions d'Eglises : les Eglises historiques luthériennes et réformées, et plusieurs Eglises baptistes ou évangéliques.

Fédération évangélique de France (FEF). Elle a vu le jour en 1969, comme un pendant "évangélique" de la FPF. Elle regroupe 425 Eglises ou paroisses.

Protestants évangéliques. Le protestantisme évangélique, qui a vu le jour dans le monde anglo-saxon, se caractérise par l'accent mis sur l'autorité de la Bible, l'engagement militant et la conversion.

Le chercheur Sébastien Fath évalue à 395 000 le nombre des protestants évangéliques en France (sur 1,1 million de protestants français). 200 000 se rattacheraient aux mouvements de type pentecôtistes, et 45 000 aux Eglises de diasporas (africaines, haïtiennes, asiatiques...).

Pentecôtistes. Ce courant met l'accent sur les conséquences miraculeuses de la foi (guérison, parler en "langues") au travers de l'Esprit saint. Il a inspiré les mouvements charismatiques catholiques. Les Assemblées de Dieu constituent la principale famille pentecôtiste. Après avoir entamé un dialogue avec la Fédération protestante, elles ont renoncé à y entrer en 2004.

Droite évangélique. Le seul mouvement français comparable à la droite évangélique américaine est le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH), qui a vu le jour lors des débats sur le pacs. Il rassemblerait un millier de sympathisants.

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