Le Lavage de Cerveau, Mythe ou Réalité ?Dick Anthony et Massimo Introvigne Editions l’Harmattan : collection « Théologie et vie politique de la terre » dirigée par Dominique Kounkou. Ce livre est à la fois une analyse et une synthèse attendues des recherches effectuées sur les notions de « lavage de cerveau » ou de « manipulation mentale » qui sous-tendent la lutte contre les « sectes ». Il montre sans équivoque et avec beaucoup de clarté comment ces notions ont été utilisées dans les tribunaux américains puis invalidées grâce en particulier au travail de l’un des auteurs de ce livre (Dick Anthony). C’est une lecture nécessaire si l’on souhaite comprendre le contexte actuel français de lutte contre les « dérives sectaires ».
condensé
de lecture par le CICNS (…)
Le 30 mai (…) La logique de ces campagnes [ndlr : anti-sectes] – sous la forme la plus schématique, qui est toutefois celle souvent adoptée par les rapports parlementaires et gouvernementaux, spécialement en France – repose sur deux articulations fondamentales. Premièrement, face à des objections relatives à la liberté religieuse (protégée, entre autres choses, par des conventions internationales), on affirme l’existence d’une distinction entre religions et « sectes ». Les « sectes », dit-on, ne sont pas des religions : elles abusent simplement du nom de religion comme façade ou couverture pour des activités criminelles à tel ou tel titre. Deuxièmement, étant donné qu’il n’est pas facile de distinguer entre religions et « sectes », on propose une série de critères, dont le principal est constitué par le « lavage de cerveau », souvent rebaptisé – dès lors que l’expression même de « lavage de cerveau » apparaît vieillie et controversée – « déstabilisation mentale », « manipulation mentale », etc. On affirme que l’on adhère aux religions par un acte libre de volonté ; et que les sectes, inversement, attirent leurs « victimes » et les maintiennent dans un état de sujétion à travers le « lavage de cerveau ». C’est pourquoi il est très important – ne serait-ce que pour commencer à bien poser le problème des « sectes » - d’examiner la théorie du « lavage de cerveau » dans sa genèse et ses implications. (…) La thèse essentielle de ce livre, c’est que la conception du lavage de cerveau attribuée aux « sectes » avait été réfutée, et ce précisément par la recherche sur laquelle elle est fondée, selon ses défenseurs, à savoir sur la recherche relative à la « réforme de la pensée » mise en œuvre par les communistes sur des prisonniers occidentaux à l’époque de la guerre de Corée. (…) deux écoles de pensée, qu’il faut se garder de confondre… sont à la base, mais sous des modes différents, des renvois courants au « lavage de cerveau » quand il est question des sectes. (…)La première école est liée aux notions d’autoritarisme, de totalitarisme et de « totalisme »…cette tradition part presque toujours d’une discussion de l’œuvre de Sigmund Freud (1856-1939)…L’homme pense que ses choix sont libres, mais ils sont déterminés, en fait par l’inconscient… dans son célèbre ouvrage L’avenir d’une illusion (1927), « la religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité ; comme celle de l’enfant, elle dérive du complexe d’Œdipe, des rapports de l’enfant au père… « Sa technique [celle de la religion] – affirme Freud – consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l’image du monde réel, démarches qui ont pour postulat l’intimidation de l’intelligence. A ce prix, en fixant de force ses adeptes à un infantilisme psychique et en leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à quantité d’êtres humains une névrose individuelle, mais c’est à peu près tout »…Ces thèses de Freud sur la religion ne manquent pas d’aspects paradoxaux. D’une part, Freud critique les croyances religieuses comme typiques d’un stade de l’humanité lié à des mythes de type « primitif » ; d’autre part, il garde une confiance certaine, qui paraît naïve, dans le mythe de la horde primordiale, mythe désormais totalement discrédité chez les ethnologues…En second lieu, Freud critique l’endoctrinement religieux et ses « techniques » qui feraient « violence » aux personnes endoctrinées : mais il propose dans le même temps une éducation « irreligieuse » qui peut sembler non moins violente dans sa tentative d’extirper la religion.
(…) A partir de 1929, face à la montée du national-socialisme, Ferne, Reich et Fromm [ndlr : membres du cercle le plus étroit des élèves de Freud : précision des auteurs du livre] appliquent aux adhésions ou « conversions » de nombreux Allemands à l’idéologie hitlérienne le modèle de la personnalité autoritaire.
(…) L’École de Francfort transplantée aux États-Unis…collabore avec l’université de Californie à Berkeley… le lien entre philosophes et psychologues est assuré par Else Frenkel-Brunswick (1908-1958), une autre réfugiée allemande qui est à l’origine de la notion de « refus de l’ambiguïté »… Le Projet de Berkeley mesure cette intolérance – qui prédispose l’individu au travail manipulateur des idéologies autoritaires – selon quatre échelles, désignées par les lettres F (fascisme), PEC (political and economical conservatism), A-S (antisémitisme) et E (« ethnocentrisme », à savoir rejet des minorités ethniques et religieuses, une notion développée, précisément dans l’étude de Berkeley). Les résultats sont présentés dans un ouvrage qui paraît en 1950… Le livre connaît un énorme succès, mais ses préjugés politiques font aussi l’objet de critiques.
(…)
Erikson [ndlr : 1902-1994] s’intéresse à l’autoritarisme et au
totalitarisme…Dans sa contribution à
(…)
Dans les controverses en matière de « sectes » et de « lavage
de cerveau », le psychiatre américain Robert Jay Lifton (né en 1926) est
probablement l’auteur le plus cité. Malheureusement, ceux qui le citent ne se
sont pas toujours donné la peine de lire pour de bon ses ouvrages…
L’ouvrage le plus cité de Lifton…s’intitule Thought Reform and the
Psychology of Totalism. A study of « Brainwashing » in China…
Lifton y présente les résultats de son analyse de vingt-cinq anciens détenus
occidentaux des prisons communistes chinoises et de quinze Chinois qui (dans un
milieu non carcéral) avaient été soumis, eux aussi, à des mesures de
« réforme de la pensée » (thought reform), expression plus
fréquemment traduite, en Français, par « rééducation »… Lifton
écrit : « Dans tous les cas de conversion apparente (les deux que
j’ai étudiés en détail, les deux que j’ai rencontrés brièvement et deux
autres cas dont j’ai entendu parler), des facteurs émotionnels préexistants
semblent être entrés en jeu : une identité négative forte et rapidement
accessible alimentée par une tendance au sentiment de culpabilité plus forte
que d’ordinaire (…) Il est très facile de prendre pour des résultats mécaniquement
obtenus par les techniques de « rééducation » des choix
volontaires qui dérivent de préférences philosophiques dont le seul tort est
de ne pas susciter notre approbation. En ce sens, Lifton écrit que « les
sectes (cults) ne sont pas principalement un problème psychiatrique,
mais une question sociale et historique », ajoutant : « Je
pense que les psychologues de profession peuvent être plus utiles dans le
domaine de l’éducation. Je suis moi-même critique envers les tendances
totalistes de nombreuses sectes, mais je ne pense pas que la meilleure solution
du problème soit de type juridique… » Quant à l’expression
« lavage de cerveau », Lifton, dès les années
(…) Outre les travaux de Lifton, il faut rappeler ceux d’Edgar H.Schein (né en 1928). (…) Il en conclut que les techniques de persuasion utilisées en Corée ne sont pas différentes des techniques connues et que « l’endoctrinement n’est pas non plus très efficace », étant donné que l’écrasante majorité des prisonniers de guerre ont simplement déclaré leur adhésion au communisme afin de survivre dans les camps, mais ne se sont pas « convertis » de manière « authentique ». (…) Le second problème abordé par Schein consiste à savoir si la « persuasion coercitive » (une expression que Schein substitue à celle, improprement « démonologique », de « lavage de cerveau ») telle qu’elle est pratiquée en Chine, est différente de formes d’endoctrinement généralement acceptées et mises en œuvre en Occident dans les écoles, les prisons, les académies militaires, les couvents catholiques, pour la vente de produits précis et dans le cadre de l’entreprise ; de savoir aussi si la différence tient au contenu de l’endoctrinement ou bien à la méthode de persuasion. (…) « Dans sa structure fondamentale », la « persuasion coercitive » chinoise « n’est pas tellement différente de la persuasion coercitive dans des institutions de notre société dont le but est de modifier des croyances et les valeurs fondamentales ». (…) Plus tard, Schein étudiera des réalités du monde de l’entreprise comme le Centre de Sands Point (Ney York) d’IBM, dont le but est de transformer les dirigeants en « hommes IBM » à plein temps. Schein estime que… les « chaînes d’or » constituées par les salaires et la crainte que ces dirigeants ont de perdre leur emploi, ne sont pas moins « coercitives » que les murs physiques des prisons chinoises. Il faut donc conclure que lorsque nous désapprouvons la « persuasion coercitive » communiste et que nous parlons avec admiration de la même « persuasion coercitive » à l’œuvre dans la formation de sœurs d’un couvent, dans les prisons où l’on obtient de vrais succès en matière de réforme des détenus, ou dans les grandes multinationales, nous croyons condamner une méthode, alors qu’en réalité nous jugeons des contenus. (…) Le behaviorisme… tire son nom de l’Anglais behavior, « comportement ». On trouve aux origines de la théorie le psychologue américain John Broadus Watson 51878-1958)…Le behaviorisme entend se contenter d’observer ce qui est observable – à savoir les comportements et leurs causes -, transformant ainsi, pour finir, une science humaine, la psychologie, en science naturelle.
(…) De nombreuses théories postérieures du mécanisme stimulus-réponse et des possibilités de le manipuler au moyen du « conditionnement », reprennent des hypothèses et expériences du physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936).
(…) En 1949, deux universitaires américains anticommunistes, Georges Sylvester Counts (1889-1974) et Nucia Perlmutter Lodge (une émigrée de Russie, 1894-1983) publient une étude dans laquelle, partant des procès staliniens, ils remontent à un plus général « contrôle mental » (mind control) que le régime exercerait sur la population russe et tenterait d’exporter aussi en Occident.
(…)
Au même moment, le roman 1984 de Georges Orwell…fait forte
impression…La description d’Orwell exerce une grande influence sur Edward
Hunter (1902-1978), un agent de l’OSS puis de
(…)
Consciente de la nécessité d’une caution scientifique pour des thèses, qui
après tout, avaient été initialement soutenues par un homme se présentant
comme un simple journaliste,
(…)
Ce que nous appelons la « théorie de
(…)
(…)
Le programme de (…) Il nous faut parler ici du psychiatre anglais William Walters Sargant (1907-1988), à qui l’on doit une formulation de la théorie du lavage de cerveau qui s’intéresse tout particulièrement à la religion. (…) Représentant d’une forme particulièrement crue et controversée du réductionnisme psychologique… Sargant part des expériences de Pavlov sur les chiens. (…) Sargant est convaincu que le lavage de cerveau soviétique et celui des communistes chinois confirment que « bien que les hommes ne soient pas des chiens, ils doivent humblement chercher à se rappeler combien ils ressemblent à des chiens dans leurs fonctions cérébrales, au lieu de se prendre pour des demi-dieux ». (…) Le thème central de l’ouvrage de Sargant c’est que les communistes n’ont pas inventé le lavage de cerveau. On peut seulement dire qu’ils l’ont mieux compris grâce à Pavlov. Pour Sargant, ils l’ont simplement emprunté aux mouvements de réveil et aux processus de conversion religieuse en général…
(…) Entre la fin des années 1960 et le début de la décennie suivante, aux États-Unis et en Europe on voit apparaître plusieurs dizaines de nouveaux mouvements religieux, en partie venus d’Orient. (…) Bon nombre de ces mouvements s’adressent surtout à des étudiants et en poussent certains à abandonner leurs études pour s’engager à plein temps dans les activités missionnaires, suscitant la consternation des parents. (…) Ainsi s’organise à côté (et souvent contre lui, du moins au début) du mouvement « contre les sectes » religieux un mouvement « anti-sectes » laïque. (…) dans les années 1970, aux États-Unis (et parallèlement en Europe, surtout en France) le mouvement anti-sectes se « professionnalise », passant d’une première phase où il est dirigé par des parents de membres des mouvements à une seconde phase où des psychologues et des avocats y jouent un rôle prédominant.
C’est
durant cette phase que se produit la rencontre entre les théories sur la
nocivité des « sectes » en général, et le corpus de propagande
relatif au lavage de cerveau. « Jolly » West – déjà rencontré
parmi les professeurs de psychiatrie au service de
(…) Les déprogrammeurs, sans trop se demander si ce qu’ils font est légal ou non, attirent les membres des mouvements religieux, sous différents prétextes, dans les maisons des parents. Parfois, ils les enlèvent même dans la rue ou dans les bureaux des groupes religieux. Puis ils les enferment pendant plusieurs jours dans des hôtels ou des maisons isolées, les « bombardant » d’informations hostiles au groupe, afin d’obtenir un « déconditionnement » qui devrait « renverser » les effets du lavage de cerveau. (…) Les années 1970 et 1980 sont en effet parsemées d’épisodes où les déprogrammeurs font l’objet de graves accusations dans leurs relations avec les personnes qu’ils devraient « déprogrammer » : usage de drogue, violences physiques, rapports sexuels, voire mauvais traitements proprement dits. Presque tous les déprogrammeurs les plus connus ont d’ailleurs fini en prison. (…) Les mouvements anti-sectes organisés finiront par prendre leurs distances avec les déprogrammeurs et par se déclarer hostiles à la déprogrammation en général dans les années 1990.
(…) Entre la fin des années 1970 et celle des années 1980, l’issue des « guerres des sectes » (cult wars) aux États-Unis apparaît très incertaine sur le plan judiciaire. Les juges de première instance…se montrent sensibles aux arguments des parents. Ils prennent différentes mesures à l’égard des « sectes » accusées de « lavage de cerveau », et parfois collaborent même avec les déprogrammeurs…
(…)
L’affrontement décisif entre les deux camps [ndlr : celui soutenant
les thèses de M. Singer et celui qui les considèrent comme infondées] se
produit devant
(…) Le jugement Fishman a un impact considérable dans les pays de langue anglaise. (…) un précédent a été de toute façon posé, qui est aujourd’hui encore fondamental aux Etats-Unis et qui a déclenché toute une série d’événements, lesquels ont conduit à la fin de la déprogrammation et du Cult Awareness Network (CAN [ndlr : principale association anti-sectes aux États-Unis]). Pris la main dans le sac alors qu’il est en train d’orienter une famille vers des déprogrammeurs, le CAN sera condamné à une amende si lourde qu’il devra se déclarer en faillite [ndlr : affaire Jason Scott membre de l’Église Unifiée pentecôtiste qui a attaqué Rick Ross et le CAN après une déprogrammation manquée]… (…) Dans les nouvelles « guerres des sectes », le psychiatre français Jean-Marie Abgrall semble jouer un rôle central, similaire à celui que joua Margaret Singer durant les premières « guerres des sectes » aux États-Unis. (…) Abgrall… ne fournit pas d’idées originales sur le lavage de cerveau, mais se contente simplement de recopier celles qui furent utilisées par les milieux anti-sectes américains durant les différentes étapes de leurs premières « guerres des sectes ». (…) La conclusion de cette recherche est qu’il n’existe pas – sauf redisons-le, dans le cas où l’on a recours à la violence physique ou bien à des substances chimiques – de méthodes de persuasion en elles-mêmes illégales. La recherche d’une définition de ces méthodes, abstraction faite des contenus, caractérise précisément la fausse piste et la voie sans issue sur lesquelles se sont aventurés de nombreux théoriciens du lavage de cerveau. Il existe, en revanche, des méthodes de persuasion « fortes », qui peuvent devenir illicites dans leur combinaison avec des contenus qui, en eux-mêmes, sont inacceptables, en tant qu’ils favorisent la fraude ou bien font l’apologie de la violence. Le fait de juger inacceptable un contenu sur la base d’un jugement de valeur – ceci est « vrai » ou « faux » - est une activité réservée, de manière générale et licite, aux philosophes et aux théologiens, mais qui sort du cadre des sciences sociales, value-free par définition, de même qu’elle ne rentre pas et ne doit pas rentrer dans la sphère d’intervention de l’État moderne laïque.
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