Le Lavage de Cerveau, Mythe ou Réalité ?

Dick Anthony et Massimo Introvigne  

Editions l’Harmattan : collection « Théologie et vie politique de la terre » dirigée par Dominique Kounkou.

Ce livre est à la fois une analyse et une synthèse   attendues des recherches effectuées sur les notions de   « lavage de cerveau » ou de « manipulation mentale » qui sous-tendent la   lutte contre les « sectes ». Il montre sans équivoque et avec beaucoup de   clarté comment ces notions ont été utilisées dans les tribunaux américains   puis invalidées grâce en particulier au travail de l’un des auteurs de ce livre   (Dick Anthony). C’est une lecture nécessaire si l’on souhaite comprendre le   contexte actuel français de lutte contre les « dérives sectaires ».  

 

condensé de lecture par le CICNS

 


 

(…) Le 30 mai 2001 a été définitivement votée en France, au terme d’un itinéraire tourmenté, une nouvelle loi contre les « sectes ». Bien qu’ayant renoncé – à la suite de polémiques nationales et internationales – à la création d’une législation spécifique sur la « manipulation mentale », elle a de fait incriminé les mêmes pratiques à travers la révision d’un article du code pénal français, au point que la modification, par rapport au projet initial, est apparue aux yeux de nombreux observateurs comme purement cosmétique.

(…) La logique de ces campagnes [ndlr : anti-sectes] – sous la forme la plus schématique, qui est toutefois celle souvent adoptée par les rapports parlementaires et gouvernementaux, spécialement en France – repose sur deux articulations fondamentales. Premièrement, face à des objections relatives à la liberté religieuse (protégée, entre autres choses, par des conventions internationales), on affirme l’existence d’une distinction entre religions et « sectes ». Les « sectes », dit-on, ne sont pas des religions : elles abusent simplement du nom de religion comme façade ou couverture pour des activités criminelles à tel ou tel titre. Deuxièmement, étant donné qu’il n’est pas facile de distinguer entre religions et « sectes », on propose une série de critères, dont le principal est constitué par le « lavage de cerveau », souvent rebaptisé – dès lors que l’expression même de « lavage de cerveau » apparaît vieillie et controversée – « déstabilisation mentale », « manipulation mentale », etc. On affirme que l’on adhère aux religions par un acte libre de volonté ; et que les sectes, inversement, attirent leurs « victimes » et les maintiennent dans un état de sujétion à travers le « lavage de cerveau ».

C’est pourquoi il est très important – ne serait-ce que pour commencer à bien poser le problème des « sectes » - d’examiner la théorie du « lavage de cerveau » dans sa genèse et ses implications.

 

(…) La thèse essentielle de ce livre, c’est que la conception du lavage de cerveau attribuée aux « sectes » avait été réfutée, et ce précisément par la recherche sur laquelle elle est fondée, selon ses défenseurs, à savoir sur la recherche relative à la « réforme de la pensée » mise en œuvre par les communistes sur des prisonniers occidentaux à l’époque de la guerre de Corée.

 

(…) deux écoles de pensée, qu’il faut se garder de confondre… sont à la base, mais sous des modes différents, des renvois courants au « lavage de cerveau » quand il est question des sectes.

 

(…)La première école est liée aux notions d’autoritarisme, de totalitarisme et de « totalisme »…cette tradition part presque toujours d’une discussion de l’œuvre de Sigmund Freud (1856-1939)…L’homme pense que ses choix sont libres, mais ils sont déterminés, en fait par l’inconscient… dans son célèbre ouvrage L’avenir d’une illusion (1927), « la religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité ; comme celle de l’enfant, elle dérive du complexe d’Œdipe, des rapports de l’enfant au père… « Sa technique [celle de la religion] – affirme Freud – consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l’image du monde réel, démarches qui ont pour postulat l’intimidation de l’intelligence. A ce prix, en fixant de force ses adeptes à un infantilisme psychique et en leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à quantité d’êtres humains une névrose individuelle, mais c’est à peu près tout »…Ces thèses de Freud sur la religion ne manquent pas d’aspects paradoxaux. D’une part, Freud critique les croyances religieuses comme typiques d’un stade de l’humanité lié à des mythes de type « primitif » ; d’autre part, il garde une confiance certaine, qui paraît naïve, dans le mythe de la horde primordiale, mythe désormais totalement discrédité chez les ethnologues…En second lieu, Freud critique l’endoctrinement religieux et ses « techniques » qui feraient « violence » aux personnes endoctrinées : mais il propose dans le même temps une éducation « irreligieuse » qui peut sembler non moins violente dans sa tentative d’extirper la religion.

 

(…) A partir de 1929, face à la montée du national-socialisme, Ferne, Reich et Fromm [ndlr : membres du cercle le plus étroit des élèves de Freud : précision des auteurs du livre] appliquent aux adhésions ou « conversions » de nombreux Allemands à l’idéologie hitlérienne le modèle de la personnalité autoritaire.

 

(…) L’École de Francfort transplantée aux États-Unis…collabore avec l’université de Californie à Berkeley… le lien entre philosophes et psychologues est assuré par Else Frenkel-Brunswick (1908-1958), une autre réfugiée allemande qui est à l’origine de la notion de « refus de l’ambiguïté »… Le Projet de Berkeley mesure cette intolérance – qui prédispose l’individu au travail manipulateur des idéologies autoritaires – selon quatre échelles, désignées par les lettres F (fascisme), PEC (political and economical conservatism), A-S (antisémitisme) et E (« ethnocentrisme », à savoir rejet des minorités ethniques et religieuses, une notion développée, précisément dans l’étude de Berkeley). Les résultats sont présentés dans un ouvrage qui paraît en 1950… Le livre connaît un énorme succès, mais ses préjugés politiques font aussi l’objet de critiques.

 

(…) Erikson [ndlr : 1902-1994] s’intéresse à l’autoritarisme et au totalitarisme…Dans sa contribution à la Conférence de Boston, il fait référence à son schéma du développement psycho-sexuel, qui élargit la conception freudienne des trois stades (oral, anal et oedipien) en huit stades de développement.  Chacun de ces huit stades est marqué par une crise, qui doit être surmontée. Si le dépassement n’a pas lieu, la personne reste fixée dans le refus de l’ambiguïté décrit par Else-Brunswick et dans l’incapacité à penser en des termes qui ne soient pas ceux de la simple dichotomie blanc-noir, en quoi réside précisément l’essence du totalitarisme…Le « totalisme » est défini par Erikson comme une situation où l’on souligne « une frontière absolue », « une nécessité psychologique de totalité sans alternative ou choix ultérieur ».

 

(…) Dans les controverses en matière de « sectes » et de « lavage de cerveau », le psychiatre américain Robert Jay Lifton (né en 1926) est probablement l’auteur le plus cité. Malheureusement, ceux qui le citent ne se sont pas toujours donné la peine de lire pour de bon ses ouvrages… L’ouvrage le plus cité de Lifton…s’intitule Thought Reform and the Psychology of Totalism. A study of « Brainwashing » in China… Lifton y présente les résultats de son analyse de vingt-cinq anciens détenus occidentaux des prisons communistes chinoises et de quinze Chinois qui (dans un milieu non carcéral) avaient été soumis, eux aussi, à des mesures de « réforme de la pensée » (thought reform), expression plus fréquemment traduite, en Français, par « rééducation »… Lifton écrit : « Dans tous les cas de conversion apparente (les deux que j’ai étudiés en détail, les deux que j’ai rencontrés brièvement et deux autres cas dont j’ai entendu parler), des facteurs émotionnels préexistants semblent être entrés en jeu : une identité négative forte et rapidement accessible alimentée par une tendance au sentiment de culpabilité plus forte que d’ordinaire (…) Il est très facile de prendre pour des résultats mécaniquement obtenus par les techniques de « rééducation » des choix volontaires qui dérivent de préférences philosophiques dont le seul tort est de ne pas susciter notre approbation. En ce sens, Lifton écrit que « les sectes (cults) ne sont pas principalement un problème psychiatrique, mais une question sociale et historique », ajoutant : « Je pense que les psychologues de profession peuvent être plus utiles dans le domaine de l’éducation. Je suis moi-même critique envers les tendances totalistes de nombreuses sectes, mais je ne pense pas que la meilleure solution du problème soit de type juridique… » Quant à l’expression « lavage de cerveau », Lifton, dès les années 1980, a fini par conseiller chaudement de « ne pas utiliser le terme lavage de cerveau, parce qu’il n’a aucun sens précis et a été la cause de beaucoup de confusion ».

 

(…) Outre les travaux de Lifton, il faut rappeler ceux d’Edgar H.Schein (né en 1928). (…) Il en conclut que les techniques de persuasion utilisées en Corée ne sont pas différentes des techniques connues et que « l’endoctrinement n’est pas non plus très efficace », étant donné que l’écrasante majorité des prisonniers de guerre ont simplement déclaré leur adhésion au communisme afin de survivre dans les camps, mais ne se sont pas « convertis » de manière « authentique ». (…) Le second problème abordé par Schein consiste à savoir si la « persuasion coercitive » (une expression que Schein substitue à celle, improprement « démonologique », de « lavage de cerveau ») telle qu’elle est pratiquée en Chine, est différente de formes d’endoctrinement généralement acceptées et mises en œuvre en Occident dans les écoles, les prisons, les académies militaires, les couvents catholiques, pour la vente de produits précis et dans le cadre de l’entreprise ; de savoir aussi si la différence tient au contenu de l’endoctrinement ou bien à la méthode de persuasion. (…) « Dans sa structure fondamentale », la « persuasion coercitive » chinoise « n’est pas tellement différente de la persuasion coercitive dans des institutions de notre société dont le but est de modifier des croyances et les valeurs fondamentales ». (…) Plus tard, Schein étudiera des réalités du monde de l’entreprise comme le Centre de Sands Point (Ney York) d’IBM, dont le but est de transformer les dirigeants en « hommes IBM » à plein temps. Schein estime que… les « chaînes d’or » constituées par les salaires et la crainte que ces dirigeants ont de perdre leur emploi, ne sont pas moins « coercitives » que les murs physiques des prisons chinoises. Il faut donc conclure que lorsque nous désapprouvons la « persuasion coercitive » communiste et que nous parlons avec  admiration de la même « persuasion coercitive » à l’œuvre dans la formation de sœurs d’un couvent, dans les prisons où l’on obtient de vrais succès en matière de réforme des détenus, ou dans les grandes multinationales, nous croyons condamner une méthode, alors qu’en réalité nous jugeons des contenus.

 

(…) Le behaviorisme… tire son nom de l’Anglais behavior, « comportement ». On trouve aux origines de la théorie le psychologue américain John Broadus Watson 51878-1958)…Le behaviorisme entend se contenter d’observer ce qui est observable – à savoir les comportements et leurs causes -, transformant ainsi, pour finir, une science humaine, la psychologie, en science naturelle.

 

(…) De nombreuses théories postérieures du mécanisme stimulus-réponse et des possibilités de le manipuler au moyen du « conditionnement », reprennent des hypothèses et expériences du physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936).

 

(…) En 1949, deux universitaires américains anticommunistes, Georges Sylvester Counts (1889-1974) et Nucia Perlmutter Lodge (une émigrée de Russie, 1894-1983) publient une étude dans laquelle, partant des procès staliniens, ils remontent à un plus général « contrôle mental » (mind control) que le régime exercerait sur la population russe et tenterait d’exporter aussi en Occident.

 

(…) Au même moment, le roman 1984 de Georges Orwell…fait forte impression…La description d’Orwell exerce une grande influence sur Edward Hunter (1902-1978), un agent de l’OSS puis de la CIA , dont le métier de journaliste est une couverture…Son livre de 1951, Brain-Washing in Red China, est réédité en 1953 pour tenir compte de la guerre de Corée.

 

(…) Consciente de la nécessité d’une caution scientifique pour des thèses, qui après tout, avaient été initialement soutenues par un homme se présentant comme un simple journaliste, la CIA exhume les travaux de psychologues et psychanalystes européens, tel le néerlandais Joost Abraham Maurits Merrloo (1903-1976)…

 

(…) Ce que nous appelons la « théorie de la CIA  » en matière de lavage de cerveau représente une application vulgarisée et plutôt simpliste d’idées du behaviorisme et de la théorie des réflexes conditionnés…Le modèle de la CIA comporte deux stades. Le premier prévoit le « vidage » du cerveau (appelé par Hunter « ramollissement », softening up, et « déconditionnement » par Merloo) de ses idées précédentes : il s’agit d’une sorte d’état d’apathie induit par la privation de sommeil, la fatigue, la faim et la torture. Ce dernier moyen est fréquemment utilisé par les communistes, mais n’est pas strictement nécessaire : Merloo insiste sur le fait que pour « vider » le cerveau » et « violer l’esprit », la terreur, la peur et le désespoir induits suffisent, sans qu’il faille ajouter la violence physique et des drogues…Une fois  le cerveau « vidé », commence le second stade, le « reconditionnement » mis en œuvre à travers l’hypnose…ou encore la répétition obsédante de raisonnements illogiques ou confus.

 

(…) la CIA croit à sa propre propagande et rêve de pouvoir créer…l’agent secret parfait, absolument docile entre les mains de ses maîtres. Dès avant la fondation de la CIA , l’OSS tente… plusieurs expériences en ce sens, expériences qui culminent dans le projet MKULTRA de la CIA.

(…) Le programme de la CIA connaît un saut qualitatif avec l’entrée en scène d’un psychiatre écossais…Il s’agit de Donald Ewen Cameron (1901-1967)…Parmi les techniques qu’il utilise, on trouve des électrochocs de vingt à quarante fois plus forts que ceux en usage dans les hôpitaux psychiatriques normaux, et ce trois fois par jour et pendant plusieurs jours ; la privation de sommeil, grâce à des médicaments, pour des périodes allant de quinze à soixante-cinq jours ; l’usage permanent de terribles cocktails de neuroleptiques et d’hallucinogènes…Rien d’étonnant à ce que les « patients » ainsi traités soient vraiment réduits à l’état de « légumes » : comme les procès au Canada le démontreront par la suite, la plupart d’entre eux développent des maladies psychiques (et également physiologiques) dont aucun traitement ne les guérira plus tard… Pour Lifton… il s’agit non seulement d’une grave violation de l’éthique médicale, mais d’ « un cas extrême de pseudo-science ». Quoi qu’il en soit, tous ceux qui ont étudié sérieusement les expériences de Cameron et le projet de la CIA s’accordent sur le fait qu’en aucun cas il n’a été possible de modifier les idées et l’orientation fondamentale du sujet. C’est la conclusion à laquelle la CIA elle-même arrive en 1963 ; elle abandonne alors le projet MKULTRA, section confiée à Cameron comprise.

 

(…) Il nous faut parler ici du psychiatre anglais William Walters Sargant (1907-1988), à qui l’on doit une formulation de la théorie du lavage de cerveau qui s’intéresse tout particulièrement à la religion. (…) Représentant d’une forme particulièrement crue et controversée du réductionnisme psychologique… Sargant part des expériences de Pavlov sur les chiens. (…) Sargant est convaincu que le lavage de cerveau soviétique et celui des communistes chinois confirment que « bien que les hommes ne soient pas des chiens, ils doivent humblement chercher à se rappeler combien ils ressemblent à des chiens dans leurs fonctions cérébrales, au lieu de se prendre pour des demi-dieux ».  (…) Le thème central de l’ouvrage de Sargant c’est que les communistes n’ont pas inventé le lavage de cerveau. On peut seulement dire qu’ils l’ont mieux compris grâce à Pavlov. Pour Sargant, ils l’ont simplement emprunté aux mouvements de réveil et aux processus de conversion religieuse en général…

 

(…) Entre la fin des années 1960 et le début de la décennie suivante, aux États-Unis et en Europe on voit apparaître plusieurs dizaines de nouveaux mouvements religieux, en partie venus d’Orient. (…) Bon nombre de ces mouvements s’adressent surtout à des étudiants et en poussent certains à abandonner leurs études pour s’engager à plein temps dans les activités missionnaires, suscitant la consternation des parents. (…) Ainsi s’organise à côté (et souvent contre lui, du moins au début) du mouvement « contre les sectes » religieux un mouvement « anti-sectes » laïque. (…) dans les années 1970, aux États-Unis (et parallèlement en Europe, surtout en France) le mouvement anti-sectes se « professionnalise », passant d’une première phase où il est dirigé par des parents de membres des mouvements à une seconde phase où des psychologues et des avocats y jouent un rôle prédominant.

 

C’est durant cette phase que se produit la rencontre entre les théories sur la nocivité des « sectes » en général, et le corpus de propagande relatif au lavage de cerveau. « Jolly » West – déjà rencontré parmi les professeurs de psychiatrie au service de la CIA – et surtout Margaret Thaler Singer (1921-2003) s’affirment comme les figures de proue du mouvement anti-sectes. (…) La théorie du brainwashing appliquée aux « sectes », telle qu’elle a été adoptée par les mouvements anti-sectes dans les années 1970 et 1980 est, elle, dans une large mesure, une création de M. Singer. (…) Margaret Singer utilise fréquemment les expressions « persuasion coercitive » (de Schein) et « réforme de la pensée » (de Lifton), et les présente comme synonymes de « lavage de cerveau ». (…) dès le début de sa carrière, M. Singer – de concert avec le sociologue Richard Ofshe – collabore avec différents juristes et avocats qui, pour la première fois, posent avec force la question de savoir si le lavage de cerveau réputé mis en œuvre par les « sectes » ne doit pas être considéré comme une pratique en quelque sorte illégale. A vrai dire, certains des parents qui ont des enfants dans les nouveaux mouvements religieux n’ont pas la patience d’attendre le verdict des tribunaux. Quelques-uns se fient aux « déprogrammeurs ».

 

(…) Les déprogrammeurs, sans trop se demander si ce qu’ils font est légal ou non, attirent les membres des mouvements religieux, sous différents prétextes, dans les maisons des parents. Parfois, ils les enlèvent même dans la rue ou dans les bureaux des groupes religieux. Puis ils les enferment pendant plusieurs jours dans des hôtels ou des maisons isolées, les « bombardant » d’informations  hostiles au groupe, afin d’obtenir un « déconditionnement » qui devrait « renverser » les effets du lavage de cerveau. (…) Les années 1970 et 1980 sont en effet parsemées d’épisodes où les déprogrammeurs font l’objet de graves accusations dans leurs relations avec les personnes qu’ils devraient « déprogrammer » : usage de drogue, violences physiques, rapports sexuels, voire mauvais traitements proprement dits. Presque tous les déprogrammeurs les plus connus ont d’ailleurs  fini en prison. (…) Les mouvements anti-sectes organisés finiront par prendre leurs distances avec les déprogrammeurs et par se déclarer hostiles à la déprogrammation en général dans les années 1990.

 

(…) Entre la fin des années 1970 et celle des années 1980, l’issue des « guerres des sectes » (cult wars) aux États-Unis apparaît très incertaine sur le plan judiciaire. Les juges de première instance…se montrent sensibles aux arguments des parents. Ils prennent différentes mesures à l’égard des « sectes » accusées de « lavage de cerveau », et parfois collaborent même avec les déprogrammeurs…

 

(…) L’affrontement décisif entre les deux camps [ndlr : celui soutenant les thèses de M. Singer et celui qui les considèrent comme infondées] se produit devant la Cour fédérale pour le district Nord de Californie en 1990. L’affaire concerne Steven Fishman, une figure de « perturbateur professionnel » des assemblées des grandes sociétés par actions…Poursuivi pour escroquerie, Fishman soutient qu’il était temporairement irresponsable à l époque des faits, dans la mesure où, depuis 1979, il était membre de l’Église de Scientologie et, en tant que tel, systématiquement soumis au lavage de cerveau. (…) Le 13 avril 1990, le juge D. Lowell Jensen juge l’affaire…soulignant que cette fois…des centaines de documents sur le thème du lavage de cerveau ont pu être examinés à fond. (…) Jensen relève que la théorie du lavage de cerveau apparaît avec « l’agent de la CIA Edward Hunter » et qu’elle ne coïncide pas avec la « théorie de la réforme de la pensée » de Lifton et Schein. (…) Pour pouvoir former la base d’une décision de justice, écrit encore Jensen, une théorie scientifique devrait faire l’objet d’une acceptation générale dans la communauté de référence. Au contraire, « non seulement le Dr Lifton a exprimé des réserves au sujet de ces théories, mais – chose plus importante – la thèse Singer-Ofshe n’a pas reçu l’imprimatur de l’APA [ndlr : American Psychological Association] et de l’ASA [American Sociological Association].

 

(…) Le jugement Fishman a un impact considérable dans les pays de langue anglaise. (…) un précédent a été de toute façon posé, qui est aujourd’hui encore fondamental aux Etats-Unis et qui a déclenché toute une série d’événements, lesquels ont conduit à la fin de la déprogrammation et du Cult Awareness Network (CAN [ndlr : principale association anti-sectes aux États-Unis]). Pris la main dans le sac alors qu’il est en train d’orienter une famille vers des déprogrammeurs, le CAN sera condamné à une amende si lourde qu’il devra se déclarer en faillite [ndlr : affaire Jason Scott membre de l’Église Unifiée pentecôtiste qui a attaqué Rick Ross et le CAN après une déprogrammation manquée]…

 

(…) Dans les nouvelles « guerres des sectes », le psychiatre français Jean-Marie Abgrall semble jouer un rôle central, similaire à celui que joua Margaret Singer durant les premières « guerres des sectes » aux États-Unis. (…) Abgrall… ne fournit pas d’idées originales sur le lavage de cerveau, mais se contente simplement de recopier celles qui furent utilisées par les milieux anti-sectes américains durant les différentes étapes de leurs premières « guerres des sectes ».

 

(…) La conclusion de cette recherche est qu’il n’existe pas – sauf redisons-le, dans le cas où l’on a recours à la violence physique ou bien à des substances chimiques – de méthodes de persuasion en elles-mêmes illégales. La recherche d’une définition de ces méthodes, abstraction faite des contenus, caractérise précisément la fausse piste et la voie sans issue sur lesquelles se sont aventurés de nombreux théoriciens du lavage de cerveau. Il existe, en revanche, des méthodes de persuasion « fortes », qui peuvent devenir illicites dans leur combinaison avec des contenus qui, en eux-mêmes, sont inacceptables, en tant qu’ils favorisent la fraude ou bien font l’apologie de la violence. Le fait de juger inacceptable un contenu sur la base d’un jugement de valeur – ceci est « vrai » ou « faux » - est une activité réservée, de manière générale et licite, aux philosophes et aux théologiens, mais qui sort du cadre des sciences sociales, value-free par définition, de même qu’elle ne rentre pas et ne doit pas rentrer dans la sphère d’intervention de l’État moderne laïque.

 

 

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