Réflexions sur les lobbies associatifs : le cas des associations dites anti-sectes

Lire également l'Enquête sur les "Associations de défense de la famille et de l'individu" (ADFI) et "Union nationale des ADFI" (UNADFI)"


Une étude du CESNUR, par Alain Garay, avocat à la Cour d'Appel de Paris

INTRODUCTION

Le débat contemporain sur les sectes surgit à la conjonction d'une crise des sociétés et des Eglises dites traditionnelles comme une sorte de réaction. Les sectes suscitent à leur tour un phénomène de rejet qui s'est aujourd'hui institutionnalisé. Des associations sans but lucratif se sont constituées pour rassembler des informations et dénoncer leurs abus. Mais s'il reste très difficile de trouver des points de repères dans ce qui est devenu le "maquis des croyances", ce sont les organisations qui s'attaquent à l'intégrité des personnes qui doivent être dénoncées et poursuivies par les tribunaux. La clientèle potentielle de ces organisations pathogènes se développe sur le terrain des croyances jadis monopolisées par les confessions traditionnelles devenues Eglises majoritaires. Le document du Vatican "Le phénomène des sectes ou nouveaux mouvements religieux - défi pastoral", publié en mai 1986, soulignait la position de l'Église catholique romaine: "Le défi des sectes ou des nouveaux mouvements religieux doit stimuler notre propre renouveau en faveur d'une plus grande efficacité pastorale".

Mais, l'évidence sociale que les sectes peuvent être nuisibles, voire définitivement nocives et dangereuses, reste impossible à évaluer. En effet, le terme secte - dans ses différentes acceptions étymologique, juridique, sociologique et même religieuse - est déjà fortement sujet à caution. Ses fortes consonances affectives et fantasmatiques l'ont, depuis longtemps, voué à un registre polémique. Le sectaire, c'est toujours l'autre. Régulièrement, les observateurs évoquent alors un "vide juridique" à leur propos puisqu'il n'y a pas de définition juridique de la secte. Cependant, pour Jacques Reiller, haut-fonctionnaire du ministère de l'intérieur, "cette formule de vide juridique est doublement erronée: d'abord parce que les controverses sur les dénominations ne circonscrivent nullement un espace bien déterminé qu'il suffirait de remplir, d'autre part et surtout, parce que les principes même de l'État républicain s'opposent à ce qu'une consistance juridique soit donnée au phénomène sectaire. Cela dit, si les sectes relèvent, par nature et forcément d'un "non-être juridique", leurs agissements lorsqu'ils sont délictueux ou criminels, sont poursuivis par les pouvoirs publics.

Rien ne saurait être plus faux et tendancieux que de laisser croire que le phénomène des sectes se développe dans l'indifférence du droit.

La répression pénale, en général, fiscale et douanière, en particulier, a touché un certain nombre d'associations qualifiées de sectes. L'étude de la jurisprudence constitue une méthode fiable puisqu'elle demeure l'unique donnée objective concernant la question des agissements illégaux. Y a-t-il une spécificité du phénomène sectaire en matière d'illégalités ? Non, mais cela ne saurait cependant servir de paravent pour refuser d'approfondir les méthodes de certaines organisations. Dès lors, les dérives des méthodes des associations dites anti-sectes ressortissent du flou lié au manque de définition de la secte. Leurs discours communs ne peuvent que stigmatiser, schématiquement et grossièrement, l'illégitimité foncière et la dangerosité sociale d'une mosaïque de mouvements, couverts du sceau du sensationnel et du bizarre. D'ailleurs, la ligne d'interprétation psychologique pour qualifier le processus de sectorisation trahit l'insuffisance de l'approche juridique et sociologique pour isoler les sectes. Ce déficit d'appréhension a favorisé la stratégie militante des associations anti-sectes qui ont volontiers monopolisé le discours médiatique et l'espace public en la matière.

En occupant le devant de la scène, les militants des associations anti-sectes ont créé un mouvement de reconnaissance idéologique et favorisé la construction d'un débat public sur les sectes. L'opinion publique, prise à partie, subit, sans broncher, la grande messe médiatique fondée sur l'esthétique du cl1ip et le déroulé du script anti-sectes. Devenues "Institutions de vérité", les associations anti-sectes auraient, selon certains auteurs, réussi à revêtir l'habit de l'expert. À la question: quelles sont les compétences et d'où viennent les "experts" consultés par la Commission d'enquête parlementaire sur les sectes?, un auteur répond sans ambages : "Ce sont des journalistes, ou des membres d'associations anti-sectes, lesquelles sont, soit téléguidées par des religions en place, soit par des groupes athées, qui, non sans humour, ont pour une fois le même combat ! "

En revanche, certaines juridictions ne sont pas dupes de la logique militante de ces associations. Ainsi, pour la Cour d'appel de Montpellier, il faut refuser que " ... des particuliers, agissant isolément ou en groupe de pression, qualifient de "secte" tout groupe minoritaire au sein d'une religion ou d'une philosophie, fassent admettre comme un principe que toute "secte" est condamnable, et en fassent tirer une conclusion d'interdiction ou d'opprobre; une telle démarche conduit, consciemment ou non, au totalitarisme en menaçant la liberté de conscience d'une minorité; il n'appartient pas en tout cas aux juges de se substituer aux pouvoirs politique, législatif ou réglementaire, lesquels sont seuls habilités à juges du danger que les "sectes" peuvent faire courir à l'ordre public, à leurs adhérents ou aux enfants de leurs adhérents (... ) ".

Alors qu'il est indéniable que certains comportements et pratiques exige que les pouvoirs publics soient plus attentifs que jamais en raison des graves atteintes à l'ordre public dont sont responsables certains mouvements, il faut éviter l'amalgame. Goya écrivait que " le sommeil de la raison engendre des monstres " aujourd'hui le rôle politique et social des associations dites " anti-sectes " peut insidieusement saper l'affectivité du principe de la liberté religieuse. Il convient d'une part, d'étudier leurs agissements (I) pour s'assurer qu'un combat a priori ne nuise aux respects élémentaires des libertés fondamentales et démocratiques (II)

1. LES FONCTIONS POLITIQUES ET SOCIALES DES ASSOCIATIONS ANTI-SECTES

Le 7 décembre 1994, la proposition parlementaire de résolution tendant une commission d'enquête sur " les agissements liberticides de certaines associations dites sectes " a mis en exergue les prétentions des "associations anti-sectes". D'autre spécialistes s'étonnent qu'aucune étude n'ait été entreprise en France sur ces organisations, alors que leurs homologues américains ont fait l'objet de différents travaux.

A. L'émergence controversée d'associations de militants anti-sectes.

1 . Définition et fonctions sociales des "mouvements de défense" anti-sectes

Composée essentiellement de personnes ayant eu dans leur famille des proches impliqués dans certains mouvements qualifiés de secte, les deux associations françaises leaders sont l'Union nationale des Associations de défense des familles et de l'individu (fondée en 1982, qui anime et coordonne l'action des A.D.F.I., présentes au niveau des départements) et le Centre Contre les Manipulations Mentales, créé par l'écrivain Roger Ikor. Leurs actions se situent dans le prolongement des mouvements anti-sectes aux États-Unis tels celui, né en 1974, désigné le Citizen Freedom Foundation, mais également le Cult Awareness Network (CAN)

Quelles sont les méthodes poursuivies par ces associations militantes ?

Le mouvement anti-sectes, qui comporte des associations parfois rivales, a développé ses propres concepts et théories: le lavage de cerveau, la manipulation mentale, les "masques", la secte destructrice, totalitaire, le "deprogramming", etc. D'emblée, le discours dominant semble être celui de certains psychiatres. Historiquement, les accusations d'emprise sur l'individu, de détournement d'enfants, de corruptions financières, d'infiltration de l'État, de dilution de l'identité nationale par les sectes "américaines", ont visé les "sectes maçonniques", des congrégations catholiques et des mouvements protestants. Aujourd'hui, il semble bien que la critique s'inscrive plus insidieusement contre l'atteinte à un certain ordre social puisque la secte est principalement considérée comme porteuse d'un message individualiste contraire au pacte social, au contrat social cher à Rousseau. L'imposture religieuse, c'est-à-dire le procès fait à la dissidence - accusée de déviationnisme et d'hérésie - continue même de nourrir les accusations. Pour Louis Hourmant, le discours anti-secte se réduit souvent à un grossier paralogisme: "on dit qu'un mouvement donné ne peut pas être de la religion (au nom de critères la plupart du temps implicites), puis on poursuit en déclarant que ses croyances et ses pratiques ne peuvent que relever du déguisement spirituel et on conclut en disant que ce déguisement ne parvient à abuser les membres que grâce à la manipulation mentale dont lis sont victimes. En retour, cette manipulation ou cette escroquerie spirituelle est prise comme le signe indubitable qu'on est en présence d'une secte"

Progressivement, la thèse de la subversion et de la psychiatrisation des sectes s'est accompagnée d'un appel, par les mouvements anti-sectes, aux pouvoirs publics pour résoudre souvent des problèmes d'ordre personnel ou familial sans qu'aucune nuance ne soit établie entre les mouvements et les faits reprochés.14. Les opposants aux sectes seraient prêts à des rapprochements pour le moins inattendus en cette fin de XX"' siècle. Le chroniqueur du journal Le Monde s'interroge: "Dans les associations anti-sectes, ne trouve-t-on pas, au coude à coude, des militants catholiques (y compris des membres du clergé) et des francs-maçons ?". Les premiers combattent l'erreur à partir de leur propre vision dogmatique alors que les seconds luttent contre une résurgence du religieux. La force de proposition concurrentielle du message véhiculé par les sectes est simultanément perçue comme une atteinte aux entreprises de monopolisation du marché symbolique, d'une part, celui des Églises majoritaires et, d'autre part, celui de la République laïque.

Par ailleurs, l'activité de ces associations se concentre quasi exclusivement au niveau de l'information du public et des journalistes. Très rarement, ces associations ont exploité les travaux des chercheurs: juristes, sociologues et historiens par exemple, accusés rapidement d'être des affidés des sectes

2. Des moyens d'actions centrés sur le lobbying et la conquête des médias.

Depuis plusieurs mois en France, la campagne médiatique sur le thème de la dangerosité sociale et politique des sectes s'est amplifiée. Elle reflète les stratégies de lobbying tous azimuts et de conquête des médias. Les pouvoirs publics - nationaux et internationaux - mais également les médias constituent leurs cibles d'impact privilégiées.

En participant à la diffusion des fantasmes, le lobbying dont le mystère autorise la gloire, revêt plusieurs formes. Généralement, il est défini comme "la mise en œuvre d'une revendication auprès des pouvoirs publics tendant à influencer, directement ou indirectement, la prise de décision". Expression d'une revendication catégorielle, le rôle des lobbies (qualifiés par les politologues comme des "groupes de pression") est d'infléchir une norme, d'en créer une ou d'en faire disparaître certaines. lis tentent de situer leur revendication dans le droit fil de l'intérêt général en voulant pallier une insuffisance d'information des pouvoirs publics'. Et même si l'administration française s'en méfie, on ne peut considérer qu'elle leur ferme les portes. Certains considèrent même que les lobbies devraient, en France, recevoir une reconnaissance légale puisqu'ils contribuent à l'affermissement de la vie démocratique en favorisant l'expression des citoyens. En fait, il semble bien que le système politique français soit soumis aux influences de ces groupes de pression. Le risque existe qu'au nom du refus constitutionnel des lobbies, les pouvoirs publics soient exposés aux pressions militantes d'une catégorie de citoyens, forme primitive et archaïque d'expression d'une partie de la société civile

S'agissant des associations anti-sectes qui cherchent à défendre des "causes morales et idéologiques", elles "entrent", selon la définition qu'en donne Jean Meynaud dans la formule des "groupements à vocation idéologique 22. Cette logique d'influence militante manifeste parfois un sectarisme identique à celui qu'elles prétendent combattre, en prenant le risque de susciter un climat de "chasse aux sorcières". À force de déployer de multiples efforts de pression, il est possible de décrire les moyens d'action de ce lobby:. peser de toutes ses forces pour obtenir du Parlement la création d'une Commission d'enquête parlementaire et une "loi sur les sectes23; provoquer le dépôt régulier de questions écrites au Gouvernement par des parlementaires; " entretenir des relations avec les mairies, préfectures, Églises et associations diverses " ; solliciter et démultiplier une stratégie de correspondances écrites destinées à "alerter les pouvoirs publics, les corps constitués" (en vue de demander des subventions, le statut d'association reconnue d'utilité publique, "l'agrément" de certains ministères, tels celui de la jeunesse et des sports, etc. -

En outre, le mouvement anti-sectes a étendu ses activités à l'échelle internationale en liant des relations avec des groupes de pression poursuivant les mêmes objectifs . Citons le réseau dirigé à Berlin par un pasteur luthérien, Thomas Gandow, qui publie la revue Berliner Dialog en se prévalant de la collaboration de correspondants nationaux à travers toute l'Europe.

Par ailleurs, la stigmatisation sociale dont sont globalement victimes les sectes s'est amplifiée par les médias, friands d'étrange et de sensationnel, et dont le rôle mériterait à lui seul des travaux scientifiques détaillés. Deux études récentes réalisées par des spécialistes insistent sur les dangers pour la démocratie de la diabolisation outrancière et globalisante des moyens de communication de masse dans le débat sur les sectes. Pour James A. Beckford, "En faisant le parallèle avec des histoires de fraude ou d'exploitation en politique, d'affairisme et de crime, on propose au public un script auquel il est habitué. En bref, le mouvement anti-culte fournit les journalistes en matériel qui ne nécessite pas beaucoup d'adaptations avant qu'il ne soit facilement ingéré par un public qui n'a pas beaucoup de goût pour la religion". Le traitement journalistique en révélant l'existence d'un "religieusement correct" exprime l'attente de l'opinion publique en quête d'un bouc émissaire dans la décomposition du marché symbolique des valeurs et des représentations sociales. Or, à l'heure du "système PPII" (planétaire, permanent, immédiat et immatériel), la religion de l'opinion publique, administrée par les médias, est devenue intégrée dans les esprits des décideurs. Il devient donc urgent de multiplier les études de contenu des campagnes de presse concernant les sectes afin de désactiver les effets de l'entregent globalement manipulateur des militants anti-sectes dont sont partiellement victimes les journalistes et autres "grands comrnunicateurs". Si l'on n'y prend garde, la police de l'opinion pourrait, dans l'avenir, se substituer à la police administrative.

B. L'intervention d'associations-procureurs

1 . La tentative de privatisation de l'action publique en matière judiciaire.

Aujourd'hui, les démocraties occidentales connaissent une certaine dérive qui conduit les associations anti-sectes à revendiquer une participation à la guérilla judiciaire contre certains mouvements. Elles entendent se substituer aux pouvoirs publics pour intenter des procès et obtenir des réparations. Le principe qui dirige les actions judiciaires des "associations-procureurs" consiste à faire reconnaître par le juge judiciaire la validité de leurs assertions".

En France, l'article 31 du Nouveau Code de Procédure Civile subordonne l'action en défense d'intérêts généraux à l'existence d'une habilitation légale 32. Le dispositif juridique exclu a priori l'idée que la revendication d'intérêts collectifs puisse servir l'intérêt général. Dans certains pays influencés par les droits américain et anglo- saxon, l'action collective désignée "class action" est aisément admise 33

Traditionnellement, les tribunaux résistent à déclarer recevables les plaintes déposées par des groupements collectifs qui revendiquent le monopole du combat anti-sectes. Cette hostilité à l'action collective s'explique par deux raisons: la crainte que ces " collaborateurs" des parquets, bénévoles et spontanés, ne fassent preuve d'un zèle vindicatif abusif, alors que, par ailleurs, leur représentativité demeure très incertaine. L'autre raison est technique : du point de vue juridique, l'atteinte portée à un intérêt collectif ne cause pas un préjudice personnel et direct à l'association. " Le principe est donc qu'une association ne peut agir en justice pour la défense d'un intérêt collectif' (Ph. Malaurie, L. Aynes, Les obligations, Ed. Cujas, éd. 1994-1995). L'habilitation jurisprudentielle vise précisément l'action des associations qui souhaitent protéger des intérêts collectifs correspondant à leur objet stagiaire. Cette théorie de l'action " associationnelle " s'est bâtie autour de la défense des buts poursuivis par le groupement, tels que figurant dans ses Statuts.

S'agissant des associations anti-sectes, il faut noter qu'elles se sont bâties autour du concept général de " défense de la famille et de l'individu ". D'un point de vue strictement statutaire, l'Union Nationale des Associations de Défense de la Famille et de l'individu qui s'est assurée un véritable leadership dans le combat contre les sectes a pour but de " défendre les personnes et les groupes victimes de pratiques abusives de mouvement ou organisations de type sectaire répondant à la définition suivante: groupes au sein desquels sont pratiquées des pressions de toute nature (psychologique ... ), entraînant la destruction de la personne, de la famille - à la limite, de la société -, et qui présentent, à leur base, un leurre, une tromperie intellectuelle, morale ou financière ... Mettre en évidence des agissements et des méthodes qui portent atteinte aux droits de l'homme, à la dignité humaine et à la liberté individuelle ". D'un strict point de vue juridique, il est donc douteux qu'une association ayant vocation à défendre les valeurs familiales et individuelles ait ipso facto un intérêt à agir devant les tribunaux même civils. Ce glissement conceptuel de la défense des valeurs familiales, en général, au combat des sectes, en particulier, compromet l'action en justice de ces associations.

Ces associations-procureurs justifient leur demande d'interventionnisme judiciaire en critiquant le supposé défaut d'action des procureurs de la République et le caractère contestable du critère d'opportunité des poursuites. Pratiquement, la formidable tribune qu'offrent les médias et le prétendu désengagement des pouvoirs publics à l'égard des sectes éveillent en elles une mentalité de croisé.

2. La revendication d'intérêts collectifs peut-elle servir d'intérêt général ?

On est subrepticement passé de la dénonciation tous azimuts à une disqualification totalitaire et, enfin, i une substitution aux institutions. Ces associations-procureurs ne se contentent plus de commenter les décisions des tribunaux et de les critiquer au besoin, ce qui naturellement relève du libre jeu démocratique. Elles en viennent à copier les méthodes de la justice en se parant des mêmes qualités qu'un juge d'instruction mais en violant un principe fondamental de l'instruction: examiner les faits en cause à charge et à décharge. La démarche inquisitoriale de ces Mouvements Se trouve en outre amplifiée par le phénomène de "délocalisation de la justice dans les médias". Pour Antoine Garapon, "l'illusion de la démocratie directe, le fantasme d'une démocratie sans scène où l'instance suprême de représentation serait constituée par les médias procèdent de l'idée d'une harmonisation spontanée des intérêts de chacun sous le regard du meilleur arbitre qui soit dans une démocratie: l'opinion publique. Une démocratie d'opinion, c'est une démocratie (... ) sans autorité repérable et opérante". Certains juges sont tentés d'incarner intuitivement les attentes de l'opinion publique, les médias faire eux-mêmes la justice et les associations de s'enrichir sur lé' dos des institutions politiques"

Les formes traditionnelles d'expression de la représentation nationale celles que véhiculées par les partis politiques semblent battre en retraite. En même temps, les parquets souffrant d'une insuffisance de moyens humains et matériels, ce sont les " victimes-vraies ou supposées " qui entendent se charger de la mise en œuvre de l'action publique au risque d'aboutir à une dérive à l'américaine, la fameuse new class qui conduit les associations-lobbies à choisir la guérilla judiciaire plutôt que celle des canaux traditionnels de la décision politique

La jurisprudence veille cependant à cantonner dans de strictes limites juridiques les prétentions de ces associations comme en témoigne la décision de la Cour d'appel de Paris en date du 5 juillet 1994, qui se situe dans le prolongement d'une décision de cette Cour du 15 novembre 1991 ". La prudence des juges répond négativement aux aspirations de ces associations visant, dans un premier temps, à obtenir la reconnaissance préalable des tribunaux puis à recevoir l'habilitation légale. Tel est l'enjeu des associations anti-sectes qui ont largement favorisé cette logique de reconnaissance de leur prétendu intérêt public en se prévalant notamment des largesses de certaines administrations d'État en matière de subventions publiques. Et si le recours en justice ne suffit pas aux associations anti-sectes, par le biais de l'agitation médiatique, elles tentent cependant d'accéder au débat politique.

Il faut saluer la politique judiciaire de cantonnement des associations anti-sectes dont les revendications catégorielles peuvent très insidieusement saper l'affectivité du principe constitutionnel de liberté de conscience et de religion, protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Le verrou jurisprudentiel du " préjudice direct, personnel et certain " est utilisé par les juges. Telle est la réserve retenue par la Cour d'appel de Rennes : " En ce qui concerne l'U.N.A.D.F.I., l'action civile devant les juridictions répressives est un droit exceptionnel qui n'appartient, sauf disposition législative spéciale, qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage découlant directement des faits poursuivis. C'est à bon droit que le tribunal a constaté au vu des éléments du dossier que l'U.N.A.D.F.I., association agréée se donnant notamment pour objectif de combattre l'influence des sectes, ne démontré nullement qu'elle ait subi du fait du délit reproché aux époux d'un préjudice direct, personnel et certain. Dès lors, sa constitution de partie civile est irrecevable "

La prudence de la justice est cependant perçue, par ces associations, comme le signe d'une faiblesse et d'une démobilisation des autorités publiques. On comprend mieux dès lors leur forcing pour persuader les pouvoirs publics de leur accorder le droit de se constituer partie civile devant les tribunaux. Dans ces conditions, il apparaît essentiel de veiller à bien mesurer les logiques de reconnaissance de ces associations anti-sectes à l'aune du critère de représentativité sociale.

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