Courrier au journal Le Monde

A propos d'un article paru dans le journal Le Monde, "Les sectes aiment beaucoup les enfants", au sujet d'une émission diffusée le 8 octobre sur Canal+: "Sectes : des enfants sous emprise"

A lire également: le commentaire du CICNS sur l'émission de Canal +

11 octobre 2007

A l'attention de Dominique Dhombres

Monsieur,

Le CICNS est une association indépendante dont l'objet est d'équilibrer le débat sur la question des nouvelles spiritualités.

Depuis trois ans, notre travail de recherche sur les conditions d'existence des nouvelles formes d'expression spirituelle aboutit à un constat préoccupant sur l'état de la liberté spirituelle en France. Ce travail s'est fait en ouvrant une large tribune à celui des sociologues, des juristes et de divers acteurs sociaux qui prennent le recul nécessaire pour aborder ces questions. Nous allons également à la rencontre de ceux qui subissent des discriminations en raison de leurs choix spirituels. Ces interviews et témoignages sont disponibles sur notre site. Le site propose également un large éventail d'analyses et de réflexions sur la place des minorités spirituelles dans notre société française.

Le 10 octobre 2007, vous avez publié dans le Monde un article intitulé : "Les sectes aiment beaucoup les enfants" (http://www.lemonde.fr/), article qui commente l'émission réalisée par Stéphane Haussy et diffusée sur Canal+ sous le titre "Sectes : des enfants sous emprise".

Permettez-nous de faire un commentaire de votre article.

D'abord le titre : "Les sectes aiment beaucoup les enfants". Sont désignés aujourd'hui sous le terme "sectes", la quasi totalité des groupes ou mouvements spirituels alternatifs et thérapies alternatives. Vous ne pouvez ignorer le caractère extrêmement péjoratif de ce mot (pour ne pas dire caractère diffamatoire même si le code pénal ne le reconnaît pas encore comme tel) et les amalgames qu'il renferme. L'employez-vous à dessein ? Votre sous-entendu ironique en désignant du doigt des dizaines de milliers de personnes qui "aimeraient beaucoup" les enfants, suggère chez elles un comportement délétère dont vous n'avez aucune preuve. Avez-vous conscience de la portée de cette accusation sans fondement dans un journal de cette réputation ?

"Tous les enfants du village de Sus ne vont pas à l'école. Une vingtaine d'entre eux restent cloitrés le jour de la rentrée." Vous pouvez exprimer votre désaccord sur les choix éducatifs de cette communauté, mais pas s'il s'agit de substituer votre avis à celui des principaux concernés. Vous basez certainement votre réflexion sur le témoignage des apostats présentés dans le reportage. Une étude récente montre qu'un très grand nombre d'élèves vivent une véritable phobie du système éducatif républicain. Condamnez-vous en bloc toutes les personnes qui décident néanmoins de l'utiliser ?

Avez-vous visité la communauté ? Avez-vous parlé à ces gens (autrement que par procuration avec une caméra cachée en trompant les gens sur sa propre identité) ? Estimez-vous que le reportage de Stéphane Haussy est équilibré ? Si oui, et malgré votre réputation, vous semblez avoir peu d'exigence déontologique. Nous vous invitons à regarder l'interview que nous avons faite dans cette communauté. Il ne s'agit pas là de prendre parti mais simplement de donner la parole aux gens en leur offrant véritablement une chance d'exprimer leur point de vue : http://www.cicns.net/Tabitha.htm. Le lecteur saura se faire une opinion lorsqu'il disposera de toutes les informations.

"Les hommes portent de longues barbes, les femmes des robes informes" : Vous exprimez avec beaucoup de mépris un jugement de goût qui imprègne tout votre article et qui semble suggérer que ces gens ne seraient pas civilisés à cause de leurs habits. Il ne suffit pas de porter un costume cravate pour être civilisé.

"C'est d'ailleurs à cause de la mort d'un enfant de 19 mois par manque de soins, il y a dix ans, que la secte avait eu un bref moment de célébrité." : Vous démontrez là beaucoup de cynisme en osant supposer que ce drame, qui a été vécu comme tel par les gens de la communauté, n'en doutez-pas, serait une opportunité de célébrité éphémère. Ne projetez pas indistinctement sur des personnes que vous ne connaissez pas, le désir de célébrité qui appartient au monde médiatique dont vous faites partie.

"L'éducation nationale accepte la fiction selon laquelle les enfants reçoivent un enseignement dispensé à tour de rôle par des adultes." : Vous adoptez la même attitude que les députés de la troisième commission d'enquête sur le thème "sectes et enfance". Vous piétinez le travail des gens de terrain, en l'occurence l'inspecteur de l'Education Nationale et les travailleurs sociaux qui suivent ces enfants et et ont validé depuis plusieurs années la poursuite de cet instruction à domicile.

"Les autorités craignent qu'une injonction à observer la loi sur la scolarité obligatoire n'aboutisse qu'à une fuite des enfants à l'étranger" : les autorités, par l'entremise des parlementaires de la commission citée ci-avant, ont insidieusement restreint la liberté d'instruction à domicile (restriction à une famille). Cette décision basée sur une "non enquête" dans la communauté de Sus n'est pas à l'honneur de nos représentants.

"Les enfants subissent une éducation spartiate, fondée sur les châtiments corporels" : Avez-vous les éléments suffisants vous permettant de conclure qu'il s'agit effectivement de châtiments corporels, au sens commun du terme ? Faites-vous une telle différence entre un "châtiment corporel" et un "châtiment pyschologique" ? Ces derniers ont-ils totalement disparus de notre système éducatif pour prendre comme bouc émissaire une communauté qui est suivie par des travailleurs sociaux ? Le sujet de la correction physique des enfants dans la communauté de Sus mérite certainement attention mais pas avec des jugements à l'emporte pièce.

"Le documentaire de Canal+ montre que les pouvoirs publics surveillent vaguement cette communauté au comportement aberrant" : Pouvez-vous conclure à un comportement "aberrant" à partir du reportage de Story Box Press ? Vous encouragez des mesures privatives de liberté sur la base de vos propres choix de vie que vous érigez en référence et ceci certainement au nom de la laïcité et de la liberté de conscience.

"Le nombre des enfants menacés en France par les dérives sectaires oscille entre 60 000 et 80 000" : nous vous invitons à prendre connaissance de notre analyse des auditions de la dernière commission d'enquête parlementaire sur le thème "Secte et mineurs", dont le chiffre de 80 000 enfants en danger dans les sectes, infirmé par toutes les administrations, a été néanmoins repris par les journalistes de Story Box Press, sans autre forme de vérification. Des rumeurs infondées et proprement ridicules sont finalement tout ce qui reste d'une enquête parlementaire qui a été un nouvel exemple de non respect du contradictoire.

L'objet de notre association n'est pas de porter des appréciations sur les croyances mais d'évaluer le respect de la liberté de conscience et le respect du débat démocratique. Tant que le contexte de réflexion sur un sujet de société n'est pas serein, les résultats de cette réflexion seront biaisés. C'est le cas sur la question desdites sectes. Les a priori sont présentés, à force de matraquage médiatique, comme des évidences que même des journalistes au Monde ne sont pas prêts à remettre en question. Cette paresse intellectuelle est préoccupante. Nous avons déjà proposé au Monde et renouvelons cette proposition, de participer à tout dossier intelligent et équilibré sur les nouvelles spiritualités.

Cordialement,

L'Equipe du CICNS

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