Esprit critique, es-tu là ?

 

Par André Tarassi  (septembre 2006)

L’esprit critique et la raison sont deux formules qui justifient pour beaucoup le rejet de la religion et de l’expérience spirituelle.

 

Les traumatismes produits par les excès des autorités religieuses pendant des siècles empêchent certains de croire à la validité de l’aspiration religieuse, comme si les excès en question ne découlaient que de la religion, comme si la religion (l’aspiration à « se relier ») ne pouvait produire autre chose que le crime. Nous savons pourtant que la religion n’est pas plus violente que certaines idéologies athées responsables d’autant de massacres dans l’histoire, particulièrement au 20° siècle (le nazisme et le stalinisme).

 

En réalité, les hommes semblent avoir un goût certain pour les tueries, quelles que soient les motivations qui, elles, finissent par n'être plus que des prétextes. Une fois que nous avons pris conscience de cette réalité, nous comprenons que la croisade laïque, sans l’éclairage de « la raison », justement, pourrait bien conduire aux mêmes excès que la croisade religieuse.

 

Les athées font-ils preuve de plus d’esprit critique et de raison que les personnes religieuses ?

 

Malgré les enseignements du passé, la force émotionnelle de leurs propos ne les distingue guère de ceux des inquisiteurs du passé. Et c’est ce rapprochement que l’on peut faire entre les idéologies athées et religieuses, entre les dénonciateurs dits « raisonnables » et ceux qui se disaient « inspirés » qui devrait conduire à un éclairage nécessaire sur ce conflit ridicule et dommageable.

 

C’est le comportement des hommes, leur manière de vivre ensemble et de gérer leurs pulsions, qui est à l’origine des horreurs en question. Les idéologies ne sont pas les racines de ces déviations.

 

A l’origine, l’invitation à l’esprit critique et la raison sont venus fort à propos équilibrer les errances d’une foi qui s’était égarée dans les filets du pouvoir. Et ce sont là deux valeurs qui méritent une attention sérieuse.

 

Mais qu’est-ce donc que l’esprit critique ?

 

L’expression est malheureusement utilisée pour justifier le fait « d’être contre ». On dira facilement à quelqu’un qui a une opinion différente de la nôtre qu’il manque d’esprit critique. Cette manipulation du sens conduit même certains pouvoirs publics à s’enfermer dans un système de pensée unique au nom même de l’esprit critique. Si je suis viscéralement contre la religion, je vais ainsi conseiller aux personnes religieuses de faire preuve d’esprit critique, mais seulement dans le sens de souscrire à mon opinion. C’est une dérive grossière qui a pourtant la faveur du plus grand nombre aujourd’hui.

 

L’esprit critique est avant tout une capacité à questionner ses propres certitudes et penchants. C’est une relation intime avec soi-même et qui repose sur une honnêteté sans compromission. Ce n’est donc pas un instrument de rhétorique ou un doigt qui pointe vers les autres.

 

Mais qui a intérêt aujourd’hui à éduquer le grand public à un véritable esprit critique, celui qui risque justement de conduire à moins de manichéisme et plus d’équilibre ? Les intérêts en jeu sont en réalité de faire triompher certaines valeurs sur d’autres au détriment des différences naturelles. Il semble donc préférable à certains d’encourager les réactions émotionnelles les plus primaires plutôt que la raison. Si cette utilisation populaire du concept d’esprit critique est si dévoyée, c’est bien parce que personne, parmi ceux qui le brandissent, n’a envie d’intégrer un véritable esprit critique.

 

Ce serait en effet la fin des croisades, qu’elles soient laïques ou religieuses.

 

L’esprit critique est finalement devenu une excuse pour ceux qui veulent être contre. On parle d’esprit critique dans des cercles militants dont la hargne et le cynisme révèlent plutôt la volonté d’écraser qui est à l’origine de toutes les guerres. Si le Dieu des religions a pu servir d’alibi pour aller tuer ses voisins, l’esprit critique, dieu des rationalistes, servira tout aussi bien d’alibi pour anéantir la religion. Et s’il est raisonnable de penser qu’un certain ménage était nécessaire dans les groupes religieux, il serait digne d’un esprit critique de passer le balai devant sa propre porte, avec humilité et respect pour une humanité qui continue à se chercher à travers ses erreurs autant que ses succès les plus évidents.

 

 

André Tarassi est né en 1961, il est le fondateur du CICNS. Chercheur indépendant, il étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 25 ans. Il a étudié le journalisme et la télévision aux États-Unis.  Il a publié, sous un autre nom, plusieurs ouvrages sur la démarche spirituelle.

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