Croyances
religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne
Commissariat
Général du Plan, Institut
universitaire de Florence Chaire
Jean Monnet d’études européennes Séminaire
de mai 2002 Extraits Télécharger le texte complet au format rtf (800k) Danièle
Hervieu-Léger
directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
(EHESS) et directrice du Centre d’études interdisciplinaires des faits
religieux (CEIFR) : Les
Européens pratiquent peu, voire extrêmement peu. Le nombre de ceux qui déclarent
une foi sans faille en un Dieu personnel tend partout à s'éroder : elle
s'établit à 36 % en Europe et 20 % en France, contre 69 % aux
États-Unis, où 93 % des personnes interrogées déclarent croire en Dieu
(contre 69 % en Europe et 57 % en France). Cette érosion des
croyances portées par les grandes confessions religieuses signifie moins le
rejet de toute croyance que l'expansion d'une croyance « molle » ou
peu déterminée en l'existence d'une
« puissance » ou d'une « force surnaturelle » :
on croit toujours, mais on se sait pas
toujours exactement à quoi. Quant au nombre de ceux qui affichent un athéisme
convaincu, il demeure relativement bas (5 %), (…)
Nous entrons là dans une phase nouvelle. Une phase qui signe certainement l'évidement
religieux radical de notre modernité, mais dont je voudrais suggérer qu'elle
crée en même temps des conditions de mobilisation nouvelles du patrimoine –
à la fois commun et divers – que constitue le fonds religieux et spirituel
européen. Wojtek
Kalinowski
doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) : (…)
Si l’Union européenne veut être plus qu’un marché unique, si elle veut
s’ouvrir à l’Europe centrale et orientale sans ralentir sa course, elle
doit offrir à ses citoyens un horizon du sens, elle doit faire appel à leur
imaginaire et ne plus être perçue comme un projet de technocrates, une
bureaucratie gestionnaire sans « âme ». Albert
Bastenier
professeur d’anthropologie et de sociologie à l’université catholique de
Louvain : (…)
Par ailleurs, la liberté d’expression publique des consciences individuelles,
y compris en matière religieuse, est un acquis de la modernité désormais irréversible.
Cet acquis ne signifie pas que nos contemporains soient advenus à une maturité
supérieure en la matière. Ils demeurent au contraire très souvent extrêmement
émotifs, conformistes et grégaires. Les affects occupent donc toujours une
grande place dans la détermination de leurs conduites religieuses Jean-Paul
Willaime
directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) et
directeur adjoint du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité
(GSRL- IRESCO) : La
conscience religieuse contemporaine, qui s’est émancipée des encadrements
institutionnels et des enceintes confessionnelles, s’est en même temps
ouverte au pluralisme. Comme le montrent les résultats du sondage CSA de 1994 (1)
selon lesquels 16 % seulement des Français de 18 ans et plus sont
d’accord avec la proposition : « Il n’y a qu’une seule religion
qui soit vraie », 71 % estimant que « de nos jours, chacun doit
définir lui-même sa religion indépendamment des Églises ». (…)
Dans l’ultramodernité, il n’y a plus de sacré, tout est passé au crible
de l’examen critique (…) une situation où les individus déboulonnent tous
les magistères de leur aura sacré et pratiquent un libre examen systématique.
L’ultramodernité, c’est toujours la modernité, mais la modernité désenchantée,
problématisée, autorelativisée. (…)
Pour avancer dans la voie de l’intégration, l’Europe doit intégrer sa
diversité philosophique et religieuse et définir, à son échelle, un mode de
traitement des faits religieux compatible avec les principes de sociétés démocratiques
caractérisées, entre autres, par l’indépendance réciproque des pouvoirs
politiques et religieux. Que ce soit au niveau factuel ou au niveau des
orientations religieuses elles-mêmes, l’intégration européenne repose à
nouveau frais la question des rapports entre religions, État et société
civile, ce qui revient à dire qu’elle met en jeu la question de la laïcité
(2). Au
sujet de la Communauté chrétienne de Taizé :
Fabien Gaulué est doctorant à l’École des hautes études en sciences
sociales (EHESS) : (…)
Encore convient-il de savoir de quelle manière un adolescent peut parvenir à
en convaincre un autre, probablement tout autant empanaché d’indépendance
que lui, à le rejoindre dans une équipée aussi douteuse. Pour autant que je
puisse en juger, l’entraînement opère à deux niveaux. (…) la tonalité
globale de leur propos se résume bien souvent en une manifestation
d’enthousiasme présentée en ces termes : « C’est
extraordinaire, il faut que tu viennes, impossible de comprendre autrement ! ».
Si l’on pourrait être tenté de distinguer dans cette injonction abrupte une
perte totale de discernement résultant précisément d’une forme pernicieuse
d’endoctrinement, le caractère minimaliste de cet argument, ne s’encombrant
pas de discours « importés » mais affichant un épanouissement
personnel incontestable, suscite généralement, pour le moins, une certaine
attention. Driss
El Yazami
est vice-président de la Ligue des droits de l’Homme : (…)
à
entendre certains laïques, on a l’impression de vivre dans une forteresse
assiégée, minée de l’intérieur par la montée des particularismes,
confrontée à l’est de l’Europe aux crispations identitaires, menacée sur
son flanc sud par l’islamisme (…) les médias en général et la presse en
particulier s'érigent aux yeux du public en principaux producteurs d'une vision
du réel présentée comme celle du réel-vrai, mais qui fait une part considérable
à la mobilisation des émotions. Jérôme
Vignon,
Conseiller principal de la Commission européenne : (…) Prenant
une petite casquette de responsable européen, je voudrais ajouter que nous ne
pouvons pas, nous qui nous préoccupons de politique, conseillons le politique,
accompagnons notamment le cheminement de l’intégration européenne, nous
passer d’un minimum de compréhension de ce qui a été appelé modestement
« les tendances religieuses » par Danièle Hervieu-Léger. Si on ne
fait pas l’effort d’analyse auquel elle nous a invités, on ne peut pas
comprendre les raisons profondes de la désaffection des citoyens,
de l’opinion publique à l’égard, en général, des institutions politiques
et du renouveau de la citoyenneté ; on ne peut pas comprendre
pourquoi il est tellement difficile de réconcilier l’aspiration à des
valeurs collectives, dont on nous a dit qu’elle était bien présente, et
l’appropriation individuelle des comportements. On ne peut pas comprendre, si
on n’a pas fait le chemin que ce séminaire nous a aidés à faire, que la démocratie
est en danger, en difficulté, à moins de reconnaître le rôle qu’a joué la
tradition religieuse et humaniste comme substrat institutionnel, comme source de
travail structurant pour les valeurs collectives, y compris dans le contexte de
la sécularisation. (…) Religion
veut dire relier. Pour les Européens qui sont en train d’essayer de
construire un État, qui veulent bâtir un lien social essentiellement sur la
diversité, sur la promotion de la diversité comme valeur pouvant fonder une
unité … (1) Sondage Institut CSA-Le Monde, La Vie, Le Forum des communautés chrétiennes, L’Actualité religieuse dans le monde, 1994. (2) Dierkens (A.) (éd.) : Pluralisme religieux et laïcités dans l’Union européenne, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1994. |
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