Le traitement de la foi et des croyances par la laïcité françaisePar André Tarassi (novembre 2012) Un des ressorts de
la lutte officielle contre les dérives sectaires en France consiste à
ne pas prendre en compte « les croyances » mais seulement « les
actes ». Il est sous-entendu que cette démarche serait proprement
laïque puisqu’il n’y aurait pas de jugement sur le fond (religieux,
spirituel) mais seulement sur la forme (l’acte condamnable). On ne
s’attaquerait donc officiellement en France qu’aux crimes et non aux
croyances. Or, si cette
approche semble louable au premier abord, dans les faits, la lutte
antisectes officielle pointe un doigt accusateur sur 173 mouvements
depuis 1995, chiffre grossi à 500 depuis
2011, pour la majeure partie
hors de tout délit avéré et souvent sur une simple dénonciation non
étayée d’un seul citoyen, indiquant que les acteurs de cette lutte
croient qu’il faut réprimer ces groupes sans discernement, pour le
bien de la République, sur une présomption de nuisance potentielle
quand ce n’est pas un simple préjugé. Nous trouvons là
une croyance laïque assez répandue dans notre pays et amplifiée par
les dérives sécuritaires que nous avons connues ces dernières années
(en particulier depuis le 11 septembre 2001). L’existence de ces
listes noires de mouvements, par le fait que ces derniers sont
juridiquement innocents et objectivement inoffensifs (pour ne pas
parler de la richesse éventuelle de leur apport à la société), est
donc illégale et condamnable en soi mais elle s’explique,
incidemment, par la croyance laïque qui les motive. D’une certaine
façon, pour protéger la République, il vaudrait mieux « prévenir que
guérir » et une répression aveugle se justifierait en conséquence
(dans le même esprit, il était question du « dépistage précoce » de
la délinquance dans le rapport Bockel de 2010, voire dès l’âge de
trois ans dans un rapport de 2005 de l’INSERM !). C’est une tendance
récurrente dans les civilisations en crise que de tenter des méthodes
de répression de type « bouc émissaire ». Certains électrons
libres, pourfendeurs de « sectes » dans le microcosme de l’Internet
ou sur certains plateaux de télévision, aiment ainsi proposer des
solutions « au Karcher » qui séduisent une partie du public parce que
cet état d’esprit d’une génération a fait des émules, et que le
téléspectateur lambda a suffisamment été convaincu de la nécessité de
réduire les libertés fondamentales pour protéger le peuple. En
nettoyant le pays de ses velléités spirituelles non contrôlées, tout
le monde a plus ou moins été convaincu qu’on respirerait mieux. Le violent
pragmatisme de cette croyance en une protection de la République par
la méthode de la terre brûlée est hautement discutable… mais très peu
discuté. Les croyances
spirituelles, au contraire des élaborations pragmatiques et
déshumanisées d’une certaine vision de la République française,
reposent sur « l’expérience intérieure ». Lorsqu’un individu a le
sentiment intime de communiquer avec Dieu dans son for intérieur,
quand il vit une extase qui lui semble éclairer la finalité de
l’univers, quand il découvre les obstacles psychologiques ou
émotionnels qu’il a construits dans sa relation au monde, il se
prépare à fonder un nouveau mode de vie, pour lui-même et
éventuellement pour d’autres, s’il est disposé à partager ses
découvertes. C’est ainsi que se fondent les religions et les courants
spirituels ou psycho-spirituels depuis toujours. Mais pour ceux qui
ne regardent que les édifices sans en connaître les fondations, la
forme peut paraître absurde si le fond n’est pas compris. Il semble donc, au
contraire de l’approche répressive aveugle de la lutte antisectes
française, que la « compréhension des croyances » soit absolument
nécessaire. Si nous pouvons comprendre d’où viennent les peurs qui
motivent la répression « antisectes » à la française, nous pourrons
tolérer leur point de vue (tant qu’il reste un point de vue et ne
devient pas un modèle unique de société). Si nous faisons l’effort de
comprendre le fondement qu’est l’expérience spirituelle (une démarche
déjà adoptée par certains sociologues, malheureusement rejetés du
débat parce qu’ils sont accusés de fraterniser avec l’ennemi), la
tolérance à l’égard des activités spirituelles, même les plus
farfelues en apparence, pourra reprendre ses droits. Car, enfin,
quand 500 groupes qui n’ont commis aucun délit sont accusés « a
priori » d’être un fléau social, et dont les membres subissent
régulièrement les calomnies, les outrages médiatiques, il ne peut
être question que d’intolérance et non de gérer la délinquance ou la
criminalité. Si la laïcité, telle qu’elle semble être comprise en
France de nos jours, induit que le déni de l’expérience spirituelle,
ou des croyances, comme on dit pour simplifier, permette de
discriminer impunément, l’esprit de la laïcité est dévoyé. Une laïcité
ouverte, tolérante, respectueuse des croyances et de l’expérience
spirituelle intime, devrait de toute urgence être promue dans notre
pays. Faute de cela, nous nous verrons déraper vers de nouveaux
boucs-émissaires de la part d’un pouvoir qui peine à prendre ses
responsabilités sur les dérives de notre société et à traiter d’une
façon humaine les difficultés de notre espèce (dont les dérives
sectaires font partie et sont loin d’être réservées aux seules
minorités spirituelles). Le CICNS propose
une approche dépassionnée des questions spirituelles et des dérives
avec un éventail d’analyses et de solutions, comme l’observatoire des
minorités spirituelles, thérapeutiques et éducatives indépendant[1].
Notre association a reçu le statut consultatif spécial de l’ONU en
juillet dernier.
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