Transcription intégrale de l'interview de Maurice Duval
Maurice Duval est ethnologue. Il est aussi, selon ses dires, un "mécréant". Ce qui a conduit ce chercheur à étudier la communauté du Mandarom ne provient donc pas d'une affinité avec la spiritualité ou les religions mais d'un "enthousiasme intellectuel" et du sentiment d'être le témoin d'une situation "scientifiquement inacceptable" dans laquelle les médias jugent et condamnent des groupes dont ils ne connaissent rien et ne veulent rien connaître. Nous avons rencontré Maurice Duval qui a accepté de nous faire part de ses sentiments sur la situation en France à l'égard des croyances et des minorités spirituelles ainsi que de sa crainte, au vu des pressions et censures subies tout au long de son étude, de voir se développer un « intégrisme laïque, tout aussi dangereux que les intégrismes religieux » et, finalement, un état de plus en plus répressif et totalitaire. Interview du CICNS, mars 2005. Maurice
Duval, bonjour. Vous êtes ethnologue. L'ethnologie, aux yeux du grand
public, n'est pas forcément une science utile. Elle serait plutôt du
domaine culturel, reliée aujourd'hui au concept de loisirs. Que vous
a-t-elle apporté ? Que peut-elle apporter à notre société ? Oui, l'ethnologie est parfois mal perçue,
d'ailleurs on croit que c'est une discipline qui étudie des peuples
lointains, ce qui n'est plus vrai aujourd'hui. C'est une science
humaine qui étudie des réalités sociales, de notre société, quelles
qu'elles soient, que ce soient des groupes spirituels, des groupes
d'immigrés, etc. En ce moment j'étudie des prisonniers, en prison. C'est une méthode de travail. Alors qu'on
l'utilise pour des activités de loisirs, oui, ça se fait, mais le but
de l'ethnologie est de servir très modestement, un tout petit peu, la
connaissance et en ce sens, la connaissance est toujours utile, c'est
ce qui fait avancer les êtres humains. Et donc cette discipline y
contribue modestement. Le Français qui nous écoute, du point de vue de
l'ethnologue, a-t-il une relation particulière à la spiritualité et à
son renouveau ? On a crû pendant longtemps que l'effondrement
des églises historiques en France, notamment l'église catholique et
les églises protestantes — qui se sont effondrées, disons, depuis le
début des année 50 ; on a vu une dégringolade constante, et qui
continue puisqu'on a aujourd'hui 3 à 4% de croyants réguliers dans
ces églises-là ; on en avait plus de 50% dans les années 50, dans la
première moitié du siècle—, on a crû que cet effondrement était
l'effondrement des croyances, qu'il n'y avait plus de croyances, que
les croyances disparaissaient avec les églises historiques. C'était
une grave erreur, aujourd'hui on sait que le rejet des institutions
n'est pas concomitant du rejet des croyances. Par contre les croyances se renouvellent, elles
ne sont plus les mêmes. C'est-à-dire que cette moitié de Et ce renouveau fait qu'on a des mouvements,
qualifiés de sectes, qui adoptent des croyances nouvelles pour notre
pays. Quand c'est d'inspiration orientale, par exemple, cela n'a plus
rien à voir avec les croyances propres au Christianisme. Raison pour
laquelle cette nouveauté dérange, perturbe, parce qu'on ne la connaît
pas, ça semble loufoque parce que c'est nouveau. Mais bien entendu, il n'y a pas eu abandon du
stock de croyances, il y a eu transformation des croyances. Il y a eu
une déperdition des croyances, je crois qu'il y a moins de croyants
aujourd'hui qu'il n'y en avait dans la première moitié du siècle,
mais l'écart n'est pas énorme. Beaucoup de gens qui ont quitté les
églises historiques ont eu besoin de se raccrocher à d'autres
croyances, quel que soit le contenu :
je ne suis pas un théologien, je suis un chercheur en
sciences humaines, donc il ne m'appartient pas de dire que sont ces
croyances, si elles sont bonnes ou mauvaises, cela regarde chacun. Vous avez notamment fait une étude approfondie de
la religion aumiste, plus connue en France sous le nom de « secte du
Mandarom ». Qu'est-ce qui vous a conduit à faire ce travail un peu
particulier ? Ce n'est pas moi qui ai décidé d'étudier ce que
les médias appellent « la secte du Mandarom », qui est en fait la
religion aumiste. C'est un collègue qui me l'avait suggéré. Je ne
connaissais rien à ces groupes, ce n'est pas un sujet qui
m'intéressait particulièrement. Mais un collègue m'avait suggéré de
le faire et j’ai eu beaucoup de réticence au départ – parce que
j'étais dans l'idéologie des médias, je pensais que ce n'était pas
des gens corrects, peut-être dangereux ; d'ailleurs je me souviens
avoir dit à ma secrétaire de ne surtout donner mon numéro de
téléphone à personne, et encore moins mon adresse ; j'avais peur que
des gens viennent nuire à ma fille... Pourtant je regarde assez peu
la télé mais j'étais quand même marquée par les rumeurs. Donc, voilà,
c'est comme ça que j'ai commencé à m'interroger sur la pertinence
d'étudier ce groupe. J'ai réalisé cette étude, et je ne le regrette
pas. J'ai découvert des gens desquels j'ignorais tout, et ça
m'intéressait, c'était tout à fait intéressant. Et puis j'ai essayé
d'écrire les résultats de ce que j'avais découvert pour que ceux qui
le souhaitent puissent s'informer sur ce qu’est ce groupe dit « du
Mandarom ». Que diriez-vous du contexte dans lequel votre étude
du Mandarom s'est déroulée? Oui, ça c'est assez amusant parce que quand j'ai
fait cette étude, tous mes collègues étaient très contents que
j'étudie « une secte ». Tout le monde applaudissait. Et quand j'ai
commencé à donner mes premiers résultats, et que ce que je disais
n'avait rien à voir avec ce que disent les médias — parce que je ne
voyais pas du tout la même chose, parce que les médias n'y vont pas ;
les journalistes qui y ont passé une heure sont rarissimes sur la
quantité de journalistes qui ont parlé du Mandarom —, là, les choses
ont changé. Les collègues, des institutions ont essayé de faire
pression pour que j'arrête cette recherche. Mais bien entendu je ne me suis pas arrêté parce
que je pense que ce n'aurait pas été éthique de m'arrêter, je devais
dire la vérité de ce que je voyais. Par exemple on me disait : « Mais tu ne vois pas
d'enfants enfermés ? » Evidemment, je ne voyais pas d'enfants
enfermés puisqu'il n'y en a pas. Donc ou j'allais les inventer, ou je
disais la vérité : je ne vois pas d'enfants enfermés. Et là, les
médias, mes collègues, les institutions se positionnèrent contre
cette recherche : par exemple le projet d'un colloque, pour lequel
j'avais déjà l'accord de sociologues des religions français et
étrangers, a été empêché par le président de l'université d'Aix en
Provence. Plusieurs publications ont été censurées dans des livres ou
des revues universitaires de haut niveau, tout simplement parce qu'on
attendait que je dise autre chose que la vérité. La vérité
dérangeait. Est-ce que votre livre sur le Mandarom « Un
ethnologue au Mandarom », aux éditions PUF est vraiment objectif et
n'avez-vous pas défendu des intérêts ? Quand j'ai commencé cette recherche, je ne
connaissais rien à la question des sectes parce que ça ne
m'intéressait pas. Et quand j'y suis allé, j'ai mis en oeuvre une
méthode, qui est la méthode des ethnologues, que j'ai utilisée quand
j'ai étudié les marins du commerce, quand j'ai étudié les Gurunsi,
une population en Afrique. C'est-à-dire une méthode la plus objective
possible. Et je mets quiconque au défi de trouver dans mon livre, ou
dans mes articles, des éléments de subjectivité. Quel intérêt j'aurais pu avoir en faisant ce
livre ? Je suis loin de ce groupe-là, je ne les connaissais pas. Mes
collègues me tapaient dessus quand je ne disais pas ce qu'ils
attendaient que je dise. En fait, je n'avais qu'un intérêt à écrire
ce livre, c'est celui de pouvoir me regarder tous les matins dans un
miroir en disant : tu as fait ton travail. Mon travail, qui consiste
à dire ce que j'ai vu pendant des années d'observation. Parce que je ne suis pas allé une semaine ou
quinze jours, là-bas, ce qui sera déjà beaucoup plus que les
journalistes qui y vont une heure, quand ils y vont. J'y suis allé
pendant quatre ans régulièrement, et après j'y suis allé
irrégulièrement, et je continue à avoir des contacts avec eux. Donc,
le résultat de mon travail, c'est des années d'observation. On n'a pas pu me cacher des enfants quand j'y
allais, ce n'est pas vrai, on n'a pas pu les mettre dans des placards
à chaque fois que je venais, j'y allais à l'improviste, à certains
moments, à la fin de ma recherche. C'est impossible. Donc j'ai mis en
oeuvre la méthode des ethnologues qui est la plus objective possible.
Quand j'allais au Mandarom, pendant toutes ces années, je n'étais pas
l'universitaire en cravate avec un petit carnet, j'étais en bleu de
travail, je plantais des arbres avec eux, je faisais des travaux
manuels avec eux. Au bout de huit jours que vous travaillez avec
quelqu'un pour planter des arbres, ou pour faire du ciment, les gens
vous oublient comme universitaire, petit à petit, ils commencent à
vous parler. Mais là, ça n'a pas duré une semaine, ça n'a pas duré un
mois, ni plusieurs mois mais plusieurs années. Donc au bout de
plusieurs années, et c'est mon métier, je prétends avoir vraiment
percé des éléments de la vérité de ce groupe. Maintenant, savoir tout sur un groupe, c'est
impossible. Un mari ne sait pas tout sur sa femme et réciproquement.
Comment voulez-vous que moi, je puisse savoir la vérité de tout un
groupe de personnes ? Non, bien sûr, personne ne peut se targuer de
cela. Mais, en tous cas, je peux dire que j'ai fait
une recherche vraiment objective.
Comment les médias ont-ils accueilli votre
travail ? Avant la sortie de l'ouvrage aux Presses
Universitaires de France, il y avait 27 journalistes qui avaient dit
être intéressés par l'ouvrage. Certains sont venus m'interviewer,
sont venus me filmer, m'enregistrer, certains ont écrit des textes,
et 27 ont été censurés par leur rédaction. C'est ça, notre
démocratie. C'est-à-dire que dès que vous ne dites pas les choses que
l'on souhaite que vous disiez, eh bien on censure. J'ai été censuré ! 27 journalistes n'ont pas pu
faire leur travail. Et quand je dis des journalistes, il s’agit de
tout petits journaux mais aussi de magazines nationaux, de
télévisions : des petites et des très grandes, parmi les plus
grandes ; et pas celles qu'on croit les plus intellectuelles, qui
n'ont pas censuré ; certaines que l'on qualifie comme étant parmi les
meilleures ont censuré également ; j'ai été censuré par des grands
quotidiens et par des quotidiens régionaux, par des quotidiens
nationaux et par des quotidiens locaux. Donc cette censure, elle existe, elle a existé
également dans la littérature scientifique puisque je l'ai dit tout à
l'heure, une revue de sociologues m'a censuré, des éditions
universitaires m'ont censuré. Maladroitement, un responsable d'une édition
universitaire m'a écrit, littéralement : « Scientifiquement, je n'ai
rien à vous reprocher. » Alors si mon texte n'a rien de reprochable
sur le plan scientifique, qu'est-ce qu'on me reproche ? Eh bien c'est
de dire la vérité, qui n'est pas en concordance avec ce que disent
les médias. Les médias sont le nerf de la guerre, ce sont
eux qui font la pluie et le beau temps, qui peuvent lancer des
rumeurs, vraies ou fausses. C'est le vrai pouvoir de notre société.
Si les médias ont intérêt, parce qu'ils font de l'audimat, parce que
ça marche, etc., à fabriquer de la peur en ayant pour objet les
groupes qu'on appelle sectes, eh bien ils vont le faire, et ça va
marcher, les gens vont marcher. Je pourrais développer des tas
d'exemples qui le démontrent. A partir du moment où les médias le
disent, les gens pensent que c'est vrai, même si dans l'abstrait, ils
savent qu'ils sont trompés par ces médias, concrètement quand ils
regardent, ils acquiescent, ils disent oui. Et c'est ça le problème. Est-ce qu'aujourd'hui vous poussez encore des
études ethnologiques du type de celle du Mandarom ? Non. J'ai arrêté de faire des études comme celle
que j'ai faite sur le Mandarom. J'ai essayé d'en faire une autre à
partir des choix électoraux des adeptes de plusieurs groupes
spirituels mais j'ai eu très peu de réponses. Très peu de groupes ont
répondu, il n'y en a que deux qui ont répondu à ma demande donc j'ai
laissé tomber, c'est une étude que je ne ferai pas. Et puis je ne
veux plus en faire, parce que j'estime que j'ai beaucoup payé, j'ai
beaucoup donné, cela m'a coûté très cher de faire cette recherche.
J'ai payé cette recherche sur mon salaire, vous savez, un
universitaire ne gagne pas des mille et des cents. Donc j'ai payé mes
recherches sur le Mandarom avec mes propres deniers parce que je n'ai
rien eu pour le faire. Il faut vraiment le vouloir, pour le faire.
Alors aujourd'hui je me dis : moi j'ai fait mon devoir, j'ai fait ce
livre sur le Mandarom, j'ai écrit plein d'articles, j'ai pris des
coups énormes parce que je disais la vérité. Je mets au défi
quiconque de me dire que je n'ai pas dit la vérité. Aujourd'hui,
j'estime que j'ai fait mon devoir, je passe à autre chose. Et j'empêche des jeunes chercheurs de faire des
travaux sur des groupes spirituels parce que je sais qu'ils ne feront
jamais carrière et ils seront empêchés de travailler. Ils ne pourront
pas faire carrière. Donc tant que la situation est celle-ci, je les
décourage de le faire. Je pense que c'est à des gens qui sont bien
ancrés dans la profession, comme moi, de le faire. Mais personne ne
veut le faire parce que c'est trop risqué. Depuis la publication de votre livre sur le
Mandarom, vous êtes amené à parler du sujet des sectes à de
nombreuses personnes. Quelle est l'attitude des milieux
universitaires sur ce sujet ? Comment réagit le public de vos
conférences ou vos étudiants, et selon vous, pourquoi ? Il y a une réception différente de mes travaux
selon les publics. Quand je parle au grand public dans des
conférences comme j'en fais parfois, s'il n'y a pas dans la salle de
militants anti-sectes, les choses se passent bien. Les gens sont
réticents, c'est normal, et c'est souhaitable qu'ils aient l'esprit
critique. Ils s'interrogent, ils me posent des questions, ils
essayent de me coincer. Et puis au bout d'un moment, dans la majorité
des cas, ils se rendent compte qu'on leur a « bourré le mou » comme
on dit vulgairement, et qu'ils ont eu tort de croire les médias, une
fois de plus.
Si par contre il y a quelqu'un de l'ADFI dans la
salle ou quelqu'un d'une association de lutte contre les sectes,
alors en général, ils savent faire, semer le désordre, de telle
manière qu'ils essayent de déstabiliser le conférencier et en tous
cas de perturber la conférence, parce que c'est facile d'affirmer des
choses. Quand je suis avec mes étudiants, les choses
sont aussi simples, il y a une confiance et un respect mutuel entre
nous et les étudiants me posent des questions, s'interrogent, sont
étonnés à juste titre de ce que je dis puisque je vais contre
l'opinion dominante, contre la rumeur dominante. Mais au fil du
temps, ils font des lectures et ils commencent à comprendre, au bout
d'un moment, qu'on a triché et qu'ils n'étaient pas dans la vérité.
Et ils s'interrogent, ils vont essayer d'en savoir plus. Concernant mes collègues, il n'y a pas eu une
attitude de mes collègues, il y en a eu plusieurs. Mais disons que
l'attitude majoritaire a été un rejet assez important au moment de la
sortie de mon ouvrage parce qu'il y a eu dans la presse des articles
qui ont été en ma défaveur : mes collègues lisent la presse, et je
pense notamment au journal le Monde, qui m'avait vraiment traîné dans
la boue en s'arrangeant pour éviter que je fasse un droit de réponse,
d'ailleurs. Disons que mes collèges étaient très réticents, au
minimum. Certains m'ont envoyé des félicitations pour mon travail,
mais ils étaient minoritaires. Et puis les choses ont changé, j'ai pu
m'expliquer, et certains qui étaient hostiles à mon travail à la
sortie du livre en 2002 ont depuis changé complètement d'attitude,
m'ont invité à venir parler dans des séminaires et ont compris qu'il
y avait là quelque chose qui était différent de ce qu'ils avaient crû
initialement et que j'étais resté celui que j'ai toujours été,
c'est-à-dire quelqu'un qui est absolument incroyant, mécréant total
mais respectueux des systèmes divers de pensée à partir du moment où
ils respectent la dignité des femmes et des hommes. Vos travaux ont-ils été exploités par les divers
organes parlementaires et les organismes d'Etat qui se sont penchés
sur la question des sectes ? C’est assez énigmatique le fait que De même qu'on peut s'étonner qu'il y ait des
crédits de l'Etat importants pour lutter contre les sectes, : si ce
qu'on appelle les sectes sont un danger, comment expliquez-vous que
l'Etat ne finance pas des recherches sur ces groupes-là ? Jamais
l'Etat n'a dit : « On va lancer un appel d'offres », comme il y a des
appels d'offres pour comprendre ce que sont les problèmes de
l'immigration, de la délinquance, de la violence, etc. Il y a des
appels d'offres. On met de l'argent et on recherche des
universitaires ou des chercheurs qui voudraient faire des études
scientifiques sur ces questions-là. Comment expliquer que sur la
question des sectes, il n'y a jamais eu un sou ? C'est intéressant.
Cela veut dire que l'Etat ne veut pas savoir. Quand j'avais un projet de colloque sur la
question des sectes, j'avais demandé à Il semblerait que Si quelqu'un en France est capable de me dire ce
que c'est qu'une secte, ça serait bien, parce qu'il n'y a aucune
définition sociologique de ce que c'est qu'une secte. J'ai écrit
là-dessus, j'ai démontré que le mot secte ne veut rien dire. Il a
voulu dire quelque chose à une certaine époque, et certains
sociologues, d'anciens sociologues renommés du siècle dernier, ont
écrit sur la question. Mais aujourd'hui, étant donné le contexte
sociologique, ça ne veut plus rien dire. Mais alors, un groupe sectaire, c'est quoi ?
Est-ce que c'est l'UMP, est-ce que c'est un groupe de footballeurs
qui ne veut pas intégrer un nouveau joueur, enfin je ne sais pas,
c'est tout et n'importe quoi, un groupe sectaire. D'où le danger
extrêmement grave de cette qualification, de cette formulation des
choses : « groupe sectaire ». On ne pourra jamais la définir de façon
rigoureuse et sociologique, c'est impensable. Par définition, ça ne
veut rien dire. Et donc puisque ça ne veut rien dire, on peut mettre
n'importe qui dedans. Donc n'importe quel groupe, de quoi que ce
soit, peut devenir « groupe sectaire » si on veut lui chercher des
ennuis. D'où la difficulté qu'il y a à cerner cette
formulation et sa dangerosité car n'importe qui peut être taxé demain
de secte. D'où l'impérative nécessité à s'interroger sur cette
question des sectes pour tout le monde, même ceux qui sont très loin
de la spiritualité, loin de ces groupes-là, il faut s'interroger
parce que c'est vraiment un outil politique de répression extrêmement
grave. J'ai un jour posé une question à un responsable
de l'ADFI, l'Association de Défense de N'importe qui peut être catalogué de « groupe
sectaire ». Et d'ailleurs, des groupes politiques de la gauche
radicale ont été catalogués de groupes sectaires —je pense à Lutte
Ouvrière, je pense à Quel message donneriez-vous aux acteurs de la lutte
contre les dérives sectaires et notamment Si je pouvais être entendu par Je pense que je leur dirais, à ces gens de C'est la raison pour laquelle je me bats contre
cela, je pense que c'est extrêmement dangereux socialement. Quand on regarde combien il y a eu de gens, de
sectes, de groupes, épinglés par Pourriez-vous établir une comparaison entre
l'accueil réservé en France aux nouveaux mouvements religieux et ce
que vous avez pu voir de semblable ou de différent dans d'autres pays
? La chasse aux sectes est assez typiquement
française, elle est différente dans d'autres pays et elle n'existe
pas dans un certain nombre de pays. Alors on peut s'interroger,
« pourquoi cela », évidemment. J'ai cherché les causes, j'ai eu du
mal à les trouver. Et finalement, on peut dire qu’en France, c'est
notre axe du mal. Aux Etats-Unis, ils n'ont pas besoin des sectes,
les mouvements qu'on appelle sectes — parce que pour moi, secte,
encore une fois, ne veut rien dire —, aux Etats-Unis, elles sont
libres de croire ce qu'elles veulent. Ils n'ont pas besoin de ça
puisqu'ils ont un autre axe du mal, qui est le terrorisme avec tout
ce que Bush a développé. Nous, on n'a pas cet axe du mal-là, donc
notre axe du mal à Pourquoi c'est l'intérêt des hommes et des
femmes politiques de ce pays que de continuer la lutte contre ce
qu'ils appellent les sectes ? Puisqu'on voit qu'il n'y a pas d'objet,
puisque les délits sont insignifiants en nombre et en qualité, donc
il n'y a pas d'objet. C'est parce que la lutte contre les sectes
fabrique de la peur collective. Les gens ont peur des sectes. « Ils
ont des visages très sympathiques mais ils vont laver le cerveau des
gens, surtout des plus faibles, des enfants, etc., le danger est
terrible. » La fabrication de la peur collective est un ingrédient
politique de premier ordre dans la mesure où, quand il y a une peur
collective, on peut manipuler les masses d'une manière sans égal.
Regardez ce qu'on a fait aux Etats-Unis en faisant peur avec le
terrorisme, en mettant tout le monde dans le même sac, d'ailleurs,
puisque ça a dépassé la raison. Ce n'était plus une lutte contre le
terrorisme dont il s'agissait mais c'était une lutte pour faire
gagner un point de vue politique qui justifiait de la répression tous
azimuts. Eh bien en France, c'est la même chose. On n'a
pas initié la guerre d'Irak, bien sûr, parce qu'on ne se bat pas avec
la peur fondée sur le terrorisme, mais la peur fondée sur les sectes.
Et cette peur fait que les gens sont d'accord, à partir du moment où
ils ont peur, pour accepter des reculs de la démocratie, dans leur
intérêt, croient-ils, puisque cela va permettre de les protéger. Donc
puisque ça permet de les protéger, eh bien on va aller jusqu'à dire :
le secret professionnel du médecin, il faut peut-être le mettre entre
parenthèses parce que ça permettrait peut-être de lutter contre des
sectes, etc. etc. La peur collective permet de faire reculer la
démocratie avec un tour de magie, c'est-à-dire en arrivant à avoir
l'assentiment d'une majorité de nos concitoyens. Et là, c'est la
grand victoire des anti-démocrates, que d'arriver à avoir l'aval de
la majorité de la population de notre pays pour faire reculer la
démocratie afin de mieux lutter contre les sectes. Sans que personne
ne se pose la question : « Mais, c'est quoi, une secte ? Qu'est-ce
que sont ces gens-là ? » Il n'y a jamais que des débats de partisans
sur les médias qui ne nous ouvrent pas l'esprit mais qui nous le
referme. On a utilisé cette carte-là en France parce que
ça marche bien, ça se vend bien, qu'il y a des associations relais,
même si elles coûtent très cher à l'Etat parce qu'elles touchent des
budgets conséquents, bien sûr, qui ne servent pas du tout à la
recherche, comme je vous l'ai déjà dit. En France on a besoin de
provoquer des peurs pour renforcer le système politique qui est à
l'œuvre. Qu'il soit de droite ou de gauche, ce n'est pas la question,
c'est à peu près les mêmes ressorts de politique et on a vu que
c'était à peu près la même chose avec le gouvernement socialiste ou
avec le gouvernement Raffarin actuel. Que pensez-vous des pouvoirs publics qui en même
temps favorisent Non, je ne suis pas optimiste du tout par
rapport à ce que l'Etat met en place — aucune de ces instances ne me
paraît digne de confiance — et je pense que le seul optimisme qu'on
puisse avoir, c'est le réveil des consciences des gens pour qu'ils
disent : « Non, arrêtez. » Si les gens ne disent rien, l'Etat va
continuer0 comme il le fait depuis un bon moment, à être de plus en
plus répressif et c'est quelque chose qui m'inquiète beaucoup. C'est
quelque chose sur lequel il faut être vigilant. C'est extrêmement
grave, ce qui se produit, et je ne suis pas du tout confiant parce
qu'à partir du moment où ce système-là sert des intérêts politiques,
alors il n'y a pas de raison que ça s'arrête. Il y a des gens dont
c'est l'intérêt à la fois économique, parce qu'ils touchent des
subsides de l'Etat pour lutter contre ces groupes-là, et par
ailleurs, ils touchent aussi du crédit, parce qu'ils deviennent
presque des héros qui se battraient contre le Mal, avec un M
majuscule. Alors je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit à
attendre de ces instances-là. Je crois plutôt au travail de fourmis qui
consiste à réveiller les consciences, à dire : attention, on est sur
un chemin qui nous emmène dans un domaine où nous serons de plus en
plus privés de démocratie — comme ça existe aujourd'hui—. Il y a des
poches de totalitarisme dans notre société, et si on n'y prend pas
garde, si on n'éveille pas les consciences, ça ira toujours plus
loin. C'est le devoir de tout citoyen qui en a pris
conscience de faire partager cette conscience autour de soi. C'est un
devoir. Je pense qu'on ne peut pas se regarder dans un
miroir si, à partir du moment où on a pris conscience du danger, on
ne fait pas ce que l'on peut faire pour faire avancer les choses dans
ce domaine.
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