Le nouvel âge vu par la presse écrite francophone au Québec
Essai
d’Eric FORGUES
« Dans
ce livre, l’auteur a voulu faire plaisir au jeune adulte qu’il était au
moment où il vivait des expériences d’éveil spirituel dans un monde qui ne
maîtrisait pas l’alphabet de celles-ci. (…) Si la presse faisait écho à
ce qu’on appelait alors le nouvel âge, elle restait en juge extérieur à ce
mouvement qu’elle ne parvenait pas à comprendre et avec lequel elle voulait
garder une certaine distance (…) L’auteur a écrit cet ouvrage pour que la mémoire
du traitement par la presse du phénomène nouvel âge soit conservée. » Page
13 « Cet
ouvrage puise ses racines dans un sentiment que j’avais dans les années 1980
et 1990 que la presse était marquée d’un biais dans sa couverture du phénomène
nouvel âge…Je me demandais comment peut-on balayer ainsi du revers de la main
un phénomène qui touchait des pans importants de la population. Etait-ce
l’aspect populaire de ce phénomène qui agaçait ainsi le point de vue dit
intellectuel ? » Page
20 « Quelque
chose m’agaçait dans la réaction de résistance des médias face au phénomène
nouvel âge. Le mouvement nouvel âge remettait en question un monde que défendaient
les médias. Comme si tout un monde était menacé par ce que véhiculaient les
expériences d’éveil personnel et d’explorations spirituelles que vivait
une part de plus en plus importante de la population…Je me référais à
l’aliénation d’une humanité qui a construit un monde à l’extérieur du
lien avec la source divine pour rendre compte de cette fermeture. Le nouvel âge
annonçait un monde qui pouvait compromettre les assises et les valeurs matérialistes
du monde actuel. Au fond, les médias ne faisaient qu’exprimer cette fermeture
de l’humanité par rapport au divin et exprimer notre situation d’aliénation. » Page
27 « J’inscris
le phénomène New Age ou nouvel âge dans ce que j’appelle le
renouvellement du rapport au transcendant. (Forgues 2006). Le phénomène du
nouvel âge désigne un phénomène social populaire qui se caractérise par le
renouvellement des pratiques et des croyances spirituelles et en santé et
mieux-être. Comme plusieurs observateurs l’ont constaté, ce phénomène témoigne
d’une liberté individuelle et s’exprime par des syncrétismes pouvant
prendre de nombreuses formes. Autrement dit, les individus qui donnent forme à
ce phénomène empruntent des éléments à diverses traditions spirituelles
pour les composer en un ensemble qui fait sens pour eux, à leur échelle
individuelle…Il se compose d’individus qui se rassemblent parfois en des
groupes qui se composent et se décomposent au gré des diverses orientations
spirituelles et idéologiques auxquelles ils adhèrent. » Page
45 « Il
semble que le Québec ait été une terre d’accueil propice pour le nouvel âge.
Le phénomène y aurait pris une ampleur plus grande ici qu’ailleurs. Cela
peut s’expliquer par le vide laissé par l’abandon de la religion au Québec. » Page
85 « Comme
en musique, la littérature nouvel âge sera présentée comme une catégorie
fourre-tout. » Page
86 « L’étiquette
« fourre-tout » traduit en fait une certaine incompréhension, une ignorance
voire un désintérêt complet de la part des journalistes à l’égard de
cette littérature. » Page
99 «Malgré
cet engouement pour la littérature nouvel âge, il est à noter que cette littérature
est peu couverte par la presse...Cela témoigne d’une fermeture de la presse
et de l’élite intellectuelle à l’égard de ce phénomène littéraire. » Page
112 « Ainsi
les idées nouvelles sont un crime contre la raison. L’essor du nouvel âge
marque le retour à l’obscurantisme et menace le système de l’éducation
contre la raison critique. Le nouvel âge est suspect de s’infiltrer jusque
dans les écoles, avec le consentement tacite des autorités. » Page
113 « Tant
que le nouvel âge se présentait comme un mouvement spirituel quelque peu
excentrique, cela pouvait susciter certaines interrogations, mais lorsqu’il
influence jusqu’à l’éducation des enfants, il constitue alors une menace
plus sérieuse. Le ton change soudainement et cet événement devient le prétexte
pour alerter l’opinion publique et proposer des mesures actives de
sensibilisation contre le nouvel âge. Cinq ans plus tard, on demande même de
faire des campagnes de sensibilisation contre les nouveaux mouvements religieux. » Page
117 « Il
est curieux qu’on demande à un mouvement qui vise d’abord la croissance
personnelle de défendre des valeurs démocratiques. Les raccourcis sont vite
faits pour faire passer le nouvel âge comme étant antidémocratique,
tyrannique, autoritaire et réactionnaire. En effet, plusieurs observateurs
parlent plutôt d’un mouvement individualiste qui se fonde sur la liberté
individuelle en matière spirituelle. Certes, comme nous le verrons plus loin,
certains observateurs ne manqueront pas l’occasion de lier le nouvel âge à
certaines dérives sectaires. Le nouvel âge constituerait-il en quelque
sorte le retour du refoulé de la modernité et même de la tradition
religieuse? Serait-il en partie lié à l’ombre d’une civilisation qu’elle
se refuse à voir, qu’elle étouffe et qui revient la hanter pour lui annoncer
une possibilité qu’elle n’ose pas être. L’ombre peut aussi être « de
la lumière étouffée. L’ombre n’est pas uniquement ce qu’un être ne
veut pas être. C’est aussi ce qu’il n’ose pas être » (Bauer, 2000 :
148). » Page
148 « Ainsi,
on retourne aux vieux repères de la culture judéo-chrétienne qui apparaît
plus humaine comparativement au nouvel âge. Face à une liberté en matière
spirituelle, on valorise une institution qui n’autorise guère de salut en
dehors des voies prescrites par elle. Dans un ton sans appel, on met en cause
l’individualisme qui traverse le nouvel âge, affirmant que le retour à soi
qui caractérise le nouvel âge s’oppose au souci de l’autre que promeut
l’Église catholique, et que par définition, toute idéologie qui marque le
retour vers soi est par définition égocentrique. Mais on peut se demander
comment on peut aimer l’autre et lui être solidaire si nous ne sommes pas
autorisés à s’aimer soi-même. Comment faire « don de soi » si ce soi
transporte une blessure de ne pas avoir été aimé? Si on aime véritablement
l’autre, pourquoi faire cesser cet amour dès qu’il est question de soi?
Quelle est cette différence de nature entre soi et l’autre? » Page
164 « Non
seulement, la définition de sectes risque d’amalgamer des groupes qui n’ont
rien de dangereux avec
des groupes dangereux, mais de procéder à une telle définition à des fins
d’interventions juridiques suscite des interrogations sur le plan du droit.
Alors qu’on aurait pu préciser/modifier certains éléments du droit criminel
en restant en dehors de toute considération spirituelle, afin d’encadrer des
interventions dans des groupes, spirituels ou autres, qui donnent lieu à des
infractions, on favorise une approche qui recèle un potentiel de dérive sur le
plan du droit. En entrant dans le domaine des croyances pour circonscrire des
groupes spirituels qui seraient suspects, avant même d’examiner les pratiques
de ces groupes, on risque d’enfreindre le droit à la liberté de croyances. » Page
187 « De
fait, en ce qui concerne les modalités alternatives de guérison, qui seraient
le fait de charlatans, les sciences officielles s’efforcent moins d’évaluer
scientifiquement leur potentiel que de les condamner sans plus d’examen…Cet
observateur nous rappelle ainsi que ce sont d’abord les chercheurs et les
institutions de recherche en place qui ont les moyens matériels et le devoir de
vérifier la validité des traitements de santé. Avant de conclure à leur
inefficacité, il faut d’abord en faire la démonstration. » Page
194 « Le
nouvel âge va ainsi peu à peu se limiter aux croyances et idéologies
spirituelles. Les bons éléments du nouvel âge se retirent, et le nouvel
âge en vient à désigner seulement les pratiques les plus superficielles et
les plus teintées de supercheries. Le nouvel âge se présente alors comme une
peau de chagrin qui rétrécit de plus en plus dans les mains à mesure que les
critiques se font sévères. » Page
201 « Si
le nouvel âge inquiète les défenseurs de la raison, de la science et des
professions qui s’en réclament, il inquiète aussi les défenseurs de la foi,
notamment les représentants d’institutions qui revendiquent un certain
monopole de vérité en ce domaine…Pour le dire simplement, la prétention des
sympathisants du nouvel âge d’accéder directement au divin, d’en faire
l’expérience personnelle et de formuler un savoir à partir de cette expérience,
met en cause la position qu’occupe l’Église catholique entre les fidèles
et le divin en se présentant comme le passage obligé pour y accéder. » Page
227 « Il
est curieux de voir qu’on demande à ces nouveaux courants spirituels de répondre
à des exigences politiques, alors qu’ils visent d’abord à répondre à
l’exigence de créer du sens et d’aider les gens à vivre leur intériorité.
Il semble qu’on mélange des intérêts différents, l’un, propre à la vie
en société et, l’autre, propre à l’individuation. On refuse de voir que
le nouvel âge est bien le produit de la modernité. On le réduit à des
pratiques de manipulation qu’exerceraient des charlatans sur des victimes en
quête spirituelle, alors que ce qui motive les sympathisants du nouvel âge est
la capacité de définir leurs croyances à partir de leur expérience vécue
librement. Le nouvel âge s’exprime par cette quête et cette exigence de
liberté en matière de spiritualité. Les sympathisants rejettent toute forme
d’autoritarisme en matière spirituelle. Ce qui ne signifie pas qu’il soit
à l’abri de certaines dérives dont les journaux ont fait leurs choux gras. » Page
245 « Nous
l’avons constaté, un thème qui revient souvent avec le nouvel âge est
l’idée que ce mouvement s’infiltre dans plusieurs secteurs de la société,
rendant ce phénomène encore plus suspect, voire menaçant. » Page
246 « Le
ton est celui d’une lutte que livrent les partisans de la raison et des
pratiques établies en matière de santé et de spiritualité contre le nouvel
âge. La presse devient un instrument de cette lutte. Ainsi, le nouvel âge,
cette « plaie particulièrement virulente au Québec » ou ce « vent de
sottise et d’irrationalité », doit être endigué, d’autant plus qu’il
s’infiltrerait dans les milieux les plus élevés de la politique. Comme si la
société québécoise était tiraillée à tous les niveaux par une lutte entre
les partisans et les adversaires du nouvel âge. Le journaliste souligne que le
nouvel âge se répand dans le « Québec profond », exprimant ainsi le besoin
d’une élite d’encadrer les masses populaires qui sont en voie de sombrer
dans la sottise et l’irrationalité. Le changement de partie politique donne
lieu à un repositionnement du gouvernement québécois à l’égard des
pratiques d’inspiration nouvel âge. » Page
273 « Les
pratiques d’éveil personnel sont suspectes alors que les pratiques
humanitaires ont la cote. Cela nous permet de prendre la mesure de ce qui sépare
les journalistes de la presse écrite du lectorat. Si les journalistes sont en
phase avec un certain lectorat, leur point de vue exprime un véritable décalage
avec tout un pan du lectorat. Nous pouvons nous demander à quel point la presse
écrite s’est aliéné ce lectorat en offrant un point de vue unique sur le
nouvel âge et en négligeant d’exprimer également le point de vue de son
lectorat sympathique au nouvel âge. » Page
275 « La
couverture de la presse écrite du phénomène nouvel âge manifeste une résistance
évidente à comprendre ce phénomène de l’intérieur et à accepter son
existence. Les journalistes et les observateurs demeurent à l’extérieur de
ce phénomène en lui résistant et en ne retenant que ses traits les plus négatifs
ou caricaturaux. Nous sortons de cette revue de presse en ayant une idée assez
inquiétante du nouvel âge. » Page
278 « Il
n’en demeure pas moins qu’il est difficile d’affirmer que le nouvel âge a
bénéficié au Québec d’une presse écrite qui lui était favorable. Bien au
contraire, la couverture par la presse écrite de ce phénomène démontre bien
le décalage qu’il existe entre un pan important de la population, qui
renouvelle le rapport au transcendant de plusieurs façons, et la presse qui défend
les valeurs de la modernité (et de la raison) et de la tradition (religieuse
notamment). Bref, le nouvel âge s’oppose donc autant à ce qui représente la
modernité que la tradition. Les médias se font les porte-parole des trois
quarts de la société (les traditionnels et les modernes) et oublient un quart
de la population, qui sont en fait les créatifs culturels et qui seraient
porteurs d’une nouvelle culture. »
Chercheur
à l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Eric
Forgues a obtenu son doctorat en sociologie à l'Université de Montréal. Sa thèse
portait sur le rôle de l'État dans le développement économique des
francophones au Québec. |
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