Le nouvel âge vu par la presse écrite francophone au Québec

 

Essai d’Eric FORGUES  


Condensé de lecture par le CICNS

 

« Dans ce livre, l’auteur a voulu faire plaisir au jeune adulte qu’il était au moment où il vivait des expériences d’éveil spirituel dans un monde qui ne maîtrisait pas l’alphabet de celles-ci. (…) Si la presse faisait écho à ce qu’on appelait alors le nouvel âge, elle restait en juge extérieur à ce mouvement qu’elle ne parvenait pas à comprendre et avec lequel elle voulait garder une certaine distance (…) L’auteur a écrit cet ouvrage pour que la mémoire du traitement par la presse du phénomène nouvel âge soit conservée. »

 

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« Cet ouvrage puise ses racines dans un sentiment que j’avais dans les années 1980 et 1990 que la presse était marquée d’un biais dans sa couverture du phénomène nouvel âge…Je me demandais comment peut-on balayer ainsi du revers de la main un phénomène qui touchait des pans importants de la population. Etait-ce l’aspect populaire de ce phénomène qui agaçait ainsi le point de vue dit intellectuel ? »

 

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« Quelque chose m’agaçait dans la réaction de résistance des médias face au phénomène nouvel âge. Le mouvement nouvel âge remettait en question un monde que défendaient les médias. Comme si tout un monde était menacé par ce que véhiculaient les expériences d’éveil personnel et d’explorations spirituelles que vivait une part de plus en plus importante de la population…Je me référais à l’aliénation d’une humanité qui a construit un monde à l’extérieur du lien avec la source divine pour rendre compte de cette fermeture. Le nouvel âge annonçait un monde qui pouvait compromettre les assises et les valeurs matérialistes du monde actuel. Au fond, les médias ne faisaient qu’exprimer cette fermeture de l’humanité par rapport au divin et exprimer notre situation d’aliénation. »

 

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« J’inscris le phénomène New Age ou nouvel âge dans ce que j’appelle le renouvellement du rapport au transcendant. (Forgues 2006). Le phénomène du nouvel âge désigne un phénomène social populaire qui se caractérise par le renouvellement des pratiques et des croyances spirituelles et en santé et mieux-être. Comme plusieurs observateurs l’ont constaté, ce phénomène témoigne d’une liberté individuelle et s’exprime par des syncrétismes pouvant prendre de nombreuses formes. Autrement dit, les individus qui donnent forme à ce phénomène empruntent des éléments à diverses traditions spirituelles pour les composer en un ensemble qui fait sens pour eux, à leur échelle individuelle…Il se compose d’individus qui se rassemblent parfois en des groupes qui se composent et se décomposent au gré des diverses orientations spirituelles et idéologiques auxquelles ils adhèrent. »

 

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« Il semble que le Québec ait été une terre d’accueil propice pour le nouvel âge. Le phénomène y aurait pris une ampleur plus grande ici qu’ailleurs. Cela peut s’expliquer par le vide laissé par l’abandon de la religion au Québec. »

 

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« Comme en musique, la littérature nouvel âge sera présentée comme une catégorie fourre-tout. »

 

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« L’étiquette « fourre-tout » traduit en fait une certaine incompréhension, une ignorance voire un désintérêt complet de la part des journalistes à l’égard de cette littérature. »

 

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«Malgré cet engouement pour la littérature nouvel âge, il est à noter que cette littérature est peu couverte par la presse...Cela témoigne d’une fermeture de la presse et de l’élite intellectuelle à l’égard de ce phénomène littéraire. »

 

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« Ainsi les idées nouvelles sont un crime contre la raison. L’essor du nouvel âge marque le retour à l’obscurantisme et menace le système de l’éducation contre la raison critique. Le nouvel âge est suspect de s’infiltrer jusque dans les écoles, avec le consentement tacite des autorités. »

 

Page 113

 

« Tant que le nouvel âge se présentait comme un mouvement spirituel quelque peu excentrique, cela pouvait susciter certaines interrogations, mais lorsqu’il influence jusqu’à l’éducation des enfants, il constitue alors une menace plus sérieuse. Le ton change soudainement et cet événement devient le prétexte pour alerter l’opinion publique et proposer des mesures actives de sensibilisation contre le nouvel âge. Cinq ans plus tard, on demande même de faire des campagnes de sensibilisation contre les nouveaux mouvements religieux. »

 

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«   Il est curieux qu’on demande à un mouvement qui vise d’abord la croissance personnelle de défendre des valeurs démocratiques. Les raccourcis sont vite faits pour faire passer le nouvel âge comme étant antidémocratique, tyrannique, autoritaire et réactionnaire. En effet, plusieurs observateurs parlent plutôt d’un mouvement individualiste qui se fonde sur la liberté individuelle en matière spirituelle. Certes, comme nous le verrons plus loin, certains observateurs ne manqueront pas l’occasion de lier le nouvel âge à certaines dérives sectaires. Le nouvel âge constituerait-il en quelque sorte le retour du refoulé de la modernité et même de la tradition religieuse? Serait-il en partie lié à l’ombre d’une civilisation qu’elle se refuse à voir, qu’elle étouffe et qui revient la hanter pour lui annoncer une possibilité qu’elle n’ose pas être. L’ombre peut aussi être « de la lumière étouffée. L’ombre n’est pas uniquement ce qu’un être ne veut pas être. C’est aussi ce qu’il n’ose pas être » (Bauer, 2000 : 148). »

 

Page 148

 

« Ainsi, on retourne aux vieux repères de la culture judéo-chrétienne qui apparaît plus humaine comparativement au nouvel âge. Face à une liberté en matière spirituelle, on valorise une institution qui n’autorise guère de salut en dehors des voies prescrites par elle. Dans un ton sans appel, on met en cause l’individualisme qui traverse le nouvel âge, affirmant que le retour à soi qui caractérise le nouvel âge s’oppose au souci de l’autre que promeut l’Église catholique, et que par définition, toute idéologie qui marque le retour vers soi est par définition égocentrique. Mais on peut se demander comment on peut aimer l’autre et lui être solidaire si nous ne sommes pas autorisés à s’aimer soi-même. Comment faire « don de soi » si ce soi transporte une blessure de ne pas avoir été aimé? Si on aime véritablement l’autre, pourquoi faire cesser cet amour dès qu’il est question de soi? Quelle est cette différence de nature entre soi et l’autre? »

 

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« Non seulement, la définition de sectes risque d’amalgamer des groupes qui n’ont rien de dangereux

avec des groupes dangereux, mais de procéder à une telle définition à des fins d’interventions juridiques suscite des interrogations sur le plan du droit. Alors qu’on aurait pu préciser/modifier certains éléments du droit criminel en restant en dehors de toute considération spirituelle, afin d’encadrer des interventions dans des groupes, spirituels ou autres, qui donnent lieu à des infractions, on favorise une approche qui recèle un potentiel de dérive sur le plan du droit. En entrant dans le domaine des croyances pour circonscrire des groupes spirituels qui seraient suspects, avant même d’examiner les pratiques de ces groupes, on risque d’enfreindre le droit à la liberté de croyances. »

 

Page 187

 

« De fait, en ce qui concerne les modalités alternatives de guérison, qui seraient le fait de charlatans, les sciences officielles s’efforcent moins d’évaluer scientifiquement leur potentiel que de les condamner sans plus d’examen…Cet observateur nous rappelle ainsi que ce sont d’abord les chercheurs et les institutions de recherche en place qui ont les moyens matériels et le devoir de vérifier la validité des traitements de santé. Avant de conclure à leur inefficacité, il faut d’abord en faire la démonstration. »

 

Page 194

 

« Le nouvel âge va ainsi peu à peu se limiter aux croyances et idéologies spirituelles. Les bons éléments du nouvel âge se retirent, et le nouvel âge en vient à désigner seulement les pratiques les plus superficielles et les plus teintées de supercheries. Le nouvel âge se présente alors comme une peau de chagrin qui rétrécit de plus en plus dans les mains à mesure que les critiques se font sévères. »

 

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« Si le nouvel âge inquiète les défenseurs de la raison, de la science et des professions qui s’en réclament, il inquiète aussi les défenseurs de la foi, notamment les représentants d’institutions qui revendiquent un certain monopole de vérité en ce domaine…Pour le dire simplement, la prétention des sympathisants du nouvel âge d’accéder directement au divin, d’en faire l’expérience personnelle et de formuler un savoir à partir de cette expérience, met en cause la position qu’occupe l’Église catholique entre les fidèles et le divin en se présentant comme le passage obligé pour y accéder. »

 

Page 227

 

« Il est curieux de voir qu’on demande à ces nouveaux courants spirituels de répondre à des exigences politiques, alors qu’ils visent d’abord à répondre à l’exigence de créer du sens et d’aider les gens à vivre leur intériorité. Il semble qu’on mélange des intérêts différents, l’un, propre à la vie en société et, l’autre, propre à l’individuation. On refuse de voir que le nouvel âge est bien le produit de la modernité. On le réduit à des pratiques de manipulation qu’exerceraient des charlatans sur des victimes en quête spirituelle, alors que ce qui motive les sympathisants du nouvel âge est la capacité de définir leurs croyances à partir de leur expérience vécue librement. Le nouvel âge s’exprime par cette quête et cette exigence de liberté en matière de spiritualité. Les sympathisants rejettent toute forme d’autoritarisme en matière spirituelle. Ce qui ne signifie pas qu’il soit à l’abri de certaines dérives dont les journaux ont fait leurs choux gras. »

 

Page 245

 

« Nous l’avons constaté, un thème qui revient souvent avec le nouvel âge est l’idée que ce mouvement s’infiltre dans plusieurs secteurs de la société, rendant ce phénomène encore plus suspect, voire menaçant. »

 

Page 246

 

« Le ton est celui d’une lutte que livrent les partisans de la raison et des pratiques établies en matière de santé et de spiritualité contre le nouvel âge. La presse devient un instrument de cette lutte. Ainsi, le nouvel âge, cette « plaie particulièrement virulente au Québec » ou ce « vent de sottise et d’irrationalité », doit être endigué, d’autant plus qu’il s’infiltrerait dans les milieux les plus élevés de la politique. Comme si la société québécoise était tiraillée à tous les niveaux par une lutte entre les partisans et les adversaires du nouvel âge. Le journaliste souligne que le nouvel âge se répand dans le « Québec profond », exprimant ainsi le besoin d’une élite d’encadrer les masses populaires qui sont en voie de sombrer dans la sottise et l’irrationalité. Le changement de partie politique donne lieu à un repositionnement du gouvernement québécois à l’égard des pratiques d’inspiration nouvel âge. »

 

Page 273

 

« Les pratiques d’éveil personnel sont suspectes alors que les pratiques humanitaires ont la cote. Cela nous permet de prendre la mesure de ce qui sépare les journalistes de la presse écrite du lectorat. Si les journalistes sont en phase avec un certain lectorat, leur point de vue exprime un véritable décalage avec tout un pan du lectorat. Nous pouvons nous demander à quel point la presse écrite s’est aliéné ce lectorat en offrant un point de vue unique sur le nouvel âge et en négligeant d’exprimer également le point de vue de son lectorat sympathique au nouvel âge. »

 

Page 275

 

« La couverture de la presse écrite du phénomène nouvel âge manifeste une résistance évidente à comprendre ce phénomène de l’intérieur et à accepter son existence. Les journalistes et les observateurs demeurent à l’extérieur de ce phénomène en lui résistant et en ne retenant que ses traits les plus négatifs ou caricaturaux. Nous sortons de cette revue de presse en ayant une idée assez inquiétante du nouvel âge. »

 

Page 278

 

« Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile d’affirmer que le nouvel âge a bénéficié au Québec d’une presse écrite qui lui était favorable. Bien au contraire, la couverture par la presse écrite de ce phénomène démontre bien le décalage qu’il existe entre un pan important de la population, qui renouvelle le rapport au transcendant de plusieurs façons, et la presse qui défend les valeurs de la modernité (et de la raison) et de la tradition (religieuse notamment). Bref, le nouvel âge s’oppose donc autant à ce qui représente la modernité que la tradition. Les médias se font les porte-parole des trois quarts de la société (les traditionnels et les modernes) et oublient un quart de la population, qui sont en fait les créatifs culturels et qui seraient porteurs d’une nouvelle culture. »

 

 

Chercheur à l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Eric Forgues a obtenu son doctorat en sociologie à l'Université de Montréal. Sa thèse portait sur le rôle de l'État dans le développement économique des francophones au Québec.

Depuis 1998, il mène des recherches à l'Université de Moncton sur le développement communautaire, la santé et le bien-être, le développement régional et durable. Il a enseigné à l'Université de Moncton en sociologie et en études environnementales. Il a également été agent d'innovation au Bureau de soutien à l'innovation de l'Université de Moncton. http://www.umoncton.ca/icrml/chercheurs_reguliers.html

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