La souffrance des sortants de sectes ?

Un commentaire d’André Tarassi   (juin 2006)

 

Un quotidien suisse romand, La Liberté, titrait son article : « La souffrance des sortants de sectes », présentant l’expérience d’une ancienne disciple de Jean-Michel Cravanzola et contenant les habituels propos au sujet de ces « sortants » décrits comme des victimes.

 

La présentation de M. Cravanzola est, comme souvent, tendancieuse et une première lecture superficielle est assez convaincante. Il reste en effet un malaise car le bref portrait est typiquement celui d’un escroc, d’un « manipulateur mental ». L’article le décrit comme « charismatique » (un défaut majeur pour l’antisectarisme), là où d’autres personnes autour de lui le décrivaient avec « une foi communicative ».

 

Quelques commentaires, entre les lignes :

 

(Jean-Michel Cravanzola) se « sent appelé à sauver les paumés, les drogués », la phrase est presque péjorative. « Il se finance en vendant ses livres ». Là encore, le ton général parvient à donner le sentiment d’une escroquerie. Il en vend « 30 par jour ». Plutôt que d'envisager que ses livres sont bons, le lecteur est orienté vers la possibilité d’une manipulation.  

 

Puis on mentionne sa condamnation pour « escroquerie à la charité ». La formule, nébuleuse pour le grand public, contient tout son poids d’outrage. Il semble qu’il ait fait une collecte à l’américaine, un « fund raising » comme ils disent là-bas, populaire dans les milieux évangéliques. C’est une sorte de denier du culte moderne mais, puisqu’on parle de sectes, le journaliste croit nécessaire d’y mettre tout le poids de l’avilissement de l’argent. La spiritualité, et les relations d’aide en général, doivent, dans la vieille Europe, se tenir à l’écart de l’argent sous peine de se voir diabolisées. Dans un pays où les « frais de bouche » du président et les appartements de ses ministres peuvent s’élever à plusieurs millions d'euros, prélevés sur le denier public, les besoins financiers des petits groupes spirituels sont présentés comme la honte de notre société !

 

Dans ces milieux, du coup, l’amabilité est « de façade », forcément, et masque « une violence cachée », que cette ancienne adepte, elle, a su déceler (au contraire des autres, beaucoup plus nombreux à céder à l’illusion, évidemment).

 

Mais une question s'impose naturellement à ce stade : pourquoi être restée si longtemps dans un tel enfer (environ 20 ans !) ? Voilà une interrogation légitime qui n’est pourtant jamais traitée sérieusement. L’habitude de présenter les adeptes de sectes comme des victimes peut les déresponsabiliser de façon pratique sur des périodes entières de leur vie d’adulte.

 

L’article, comme tous les autres de ce style, ne pose donc pas cette question. Pas assez démagogique ni dans l’air du temps ?

 

Puis les « enfants de la secte » sont tout à coup évoqués, comme des « victimes », même s’il ne s’agit que d’une accusation dont on ne lit pas de preuves (pourquoi M. Cravanzola n’a-t-il pas été condamné pour cela si ce ne sont pas des accusations proférées à la légère ?) mais dont on sait l'impact qu'elle peut avoir dans l'esprit d'un lecteur.

 

« La secte blesse en profondeur, des années, elle occupe toutes les pensées du disciple » ... plus ou moins que la pensée unique du monde moderne avec ses cinq heures de télévision quotidiennes, ses mensonges politiques et la superficialité des débats sur les grandes questions de société ? Que peut bien signifier une telle phrase à moins de vouloir encourager la médiocrité intellectuelle ?

 

Et le disciple, convaincu d’avoir été trompé, se voit, au moment de son départ, confronté au drame « d’une normalité sans idéal ». On peut comprendre que le retour à une « normalité » qui s’érige en référence alors qu’elle est en effet « dépourvue d’idéal » soit difficile.

 

Heureusement, il y a toujours une astuce, comme celle de se créer une nouvelle mission, mais dans « l’autre camp », cette fois, en retrouvant une sorte d’idéal « dans son nouveau métier et dans le réseau qu'elle a mis sur pied pour «sortants de sectes». Et puis en écrivant un livre. Qui sait, peut-être pourra-t-elle en vendre 30 par jour, elle aussi, afin de soutenir son mouvement anti-sectes dont elle est la charismatique représentante ?

 

Les lieux communs évoqués plus haut ne sont pas limités au quotidien suisse en question car ils sont la fondation de l’argumentation anti-sectes qui parvient, à force d’amalgames et de diffamations continuelles, à distiller un mode de pensée dans la conscience collective. Le CICNS fait une lecture quasi quotidienne de cette production des médias qui charrient les accusations les plus grossières à longueur d’années, ne laissant aucune place à d’autres sons de cloches, pour le moins, ou à une réflexion en profondeur sur le sens de ce phénomène de société. De telles lectures sont lassantes et désolantes et nous inspirent à la diffusion d’une information laissée dans l’ombre par la plus grande partie des journalistes aujourd’hui.

André Tarassi est né en 1961, il est le fondateur du CICNS. Chercheur indépendant, il étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 25 ans. Il a étudié le journalisme et la télévision aux États-Unis.  Il a publié, sous un autre nom, plusieurs ouvrages sur la démarche spirituelle.

 

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