Le terrorisme anti-sectes sur InternetPar Massimo Introvigne Extraits
d’un discours présenté à la conférence annuelle de L’Association for
Sociology of Religion (ASR), Chicago le 5 août 1999 © Massimo Introvigne 1999.
Texte
complet (en Anglais) sur : http://www.cesnur.org/testi/anticult_terror.htm Traduction du CICNS (…)
Les conversions à de nouvelles religions par le biais d’internet sont rares
et ne contribuent pas de manière significative à leur croissance (Dawson et
Hennebry 1999; Mayer 1999). D’un autre côté, « les groupes
“anti-sectes” sont les principaux bénéficaires du développement
d’Internet » (Mayer 1999). (cet article met) l’accent sur les
activistes anti-sectes les plus agressifs qui tentent de perturber systématiquement
leurs cibles par le biais d’Internet. (…)
Les sociologues ont exploré la notion paradoxale d’overdose
d’informations, soit le fait de recevoir plus d’informations que le plus
doué des individus serait capable de digérer. Shenk (1997, 15) déclare que
l’overdose d’informations “menace notre capacité à nous éduquer nous-mêmes
et nous rend plus vulnérables en tant que consommateurs ainsi que moins cohérents
en tant que société » (Kraut et Attewell 1997, 325), (…)
Alors qu’au début des années 90, les sciences sociales percevaient l’overdose
d’informations comme un phénomène spontané, à la fin de cette même décennie
apparurent de nouvelles affirmations d’universitaires suggérant que l’overdose
pouvait être « manipulée dans le but de nuire à des organisations, des
gouvernements ou des groupes » (Denning et Denning 1998, Denning 1999). (…)
Un groupe terroriste écologiste dont la cible serait une multinationale
causerait peu de dégâts en faisant exploser un entrepôt. Après un tel acte,
la sécurité serait renforcée et le risque pour les terroristes grandirait en
conséquence. Mais le fait de répandre une « information » au sujet
d’un produit qui causerait le cancer ou des maladies mortelles serait plus
efficace. En 1998, un groupe
terroriste écologiste avait pris pour cible une multinationale de
l’alimentaire en Europe. Il avait simplement fait parvenir à une agence de
presse italienne un gâteau de Noël empoisonné, fabriqué par cette compagnie,
et dont l’ingestion pouvait être mortelle. Ce « cadeau » était
accompagné d’une déclaration disant que de nombreux gâteaux empoisonnés se
trouvaient sur les étagères des magasins. Quand ces terroristes furent arrêtés,
ils se défendirent en disant qu’en fait un seul gâteau avait été empoisonné
et qu’ils n’avaient mis en danger la vie de personne puisque le seul gâteau
potentiellement dangereux était marqué “empoisonné” et couvert d’étiquettes
de mise en garde. L’incident avait provoqué une réaction de nombreuses
entreprises en Italie demandant que la loi soit aménagée pour traiter de
telles situations. (…)
Il n’y a aucun doute sur le fait que le cyberterrorisme est une activité
quotidienne : des systèmes informatiques sont attaqués, des virus se répandent
et des sites Internet sont piratés. Certains auteurs incluent dans le concept
de « terrorisme sur internet » les propagandes distribuées sur
Internet par des groupes qu’ils jugent terroristes. Destouche (1999) en
fournit une liste importante, depuis les fondamentalistes musulmans jusqu’aux
disciples du Rabbi Meher Kahane. Le livre de Destouche, par ailleurs instructif,
est si conditionné par le climat anti-sectes en France
qu’il inclut dans sa liste de cyberterroristes ce qu’il appelle des
« sectes dégénérées », toutes qualifiées de « subversives ».
Ils déclarent ainsi que le simple fait que de tels groupes subversifs possèdent
des sites Internet est un risque et devrait faire partie de toute enquête sur
le terrorisme. En plus de Aum Shinri-kyo, Destouche (1999, 38-143; 238-239)
inclut dans sa liste l’église de Scientologie, les Témoins de Jéhovah, la méditation
transcendantale, la Soka Gakkai, les Raëliens, la Nouvelle Acropole et l’église
de Satan. En France, selon Destouche (1999, 215-216), un certain nombre
de services d’espionnage surveillent le Web et les newsgroups (en fait, une
agence de renseignements semble principalement intéressée par les newsgroups).
(…)
Le rapport suédois ("In Good Faith" 1998) déplorait que “En
France, l’Etat a, dans l’ensemble, fait cause commune avec le mouvement
anti-sectes”, ignorant le fait que “la grande majorité des membres des
nouveaux mouvements religieux tirent des expériences positives de leur
appartenance”. Le rapport de 1998 du Canton de Ticino en Suisse (Dipartimento
delle Istituzioni 1998, 17 et 39) déclare que, bien qu’une coopération avec
des groupes anti-sectes soit occasionnellement appropriée, les gouvernements
“devraient éviter de devenir complices d’un travail qui répand des préjugés”
ou qui fait la promotion “du terrorisme anti-sectes”. Bien que dans ce
document, l’expression “terrorisme anti-sectes” soit une métaphore, des
actes de terrorisme ont réellement été perpétrés en France à partir de
1996. Les locaux de l’église de l’Unification et ceux de Nouvelle Acropole
(un mouvement dont la maison mère est en Argentine) ont subi un attentat
à la bombe à Paris. Personne n’a suggéré que les plus grands groupes
anti-sectes étaient en fait impliqués dans ces attentats. D’un autre côté,
comme cela a été noté par Usarski (1999) au sujet de l’Allemagne, la
publication d’articles incendiaires, écrits par des organisations privées
subventionnées par le gouvernement, voire par le gouvernement lui-même, et déclarant
que des centaines de sectes étaient le mal incarné et que le pays était
en guerre contre elles, est un acte dangereux. Cela peut créer une
incitation à des expressions extrêmes et parfois violentes de discrimination
et de haine. Trois
de ces éléments sont présents à divers degrés dans les groupes anti-sectes
extrémistes sur Internet. Tout d’abord, la tentative de déshumaniser ou
de diaboliser leurs cibles. Ensuite, les théories de la conspiration. Et
enfin, l’effort pour immuniser les groupes anti-sectes contre leur problème
principal défini comme "une absence presque unanime de soutien des
universitaires et des chercheurs" (Chryssides 1999, 263), ou
"l’absence de toute évidence scientifique convaincante" sur leurs
théories (Usarski 1999, 238). Les universitaires et autres chercheurs sont
systématiquement discrédités par des attaques personnelles, comme faisant
l’apologie des sectes, ou étant "employés en sous-main" par
"les sectes" (sur le mode: "la plupart des chercheurs ne
croient pas à la théorie du lavage de cerveau » -- « c’est
normal, ils sont payés par la Scientologie »). Un de ces éléments est généralement
dominant et donne à chaque site Internet sa saveur particulière.
(...) Le but (des anti-sectes) est de découvrir des « histoires secrètes » ou des « documents cachés » plutôt que de discuter de la valeur intrinsèque du travail de l’universitaire pour finalement, et sans surprise, rejeter les universitaires en question comme des employés de sectes ou comme de non-individus aux crédits douteux et dont les vies personnelles révèlent une association avec des sectes religieuses ou politiques. Si
la victime de ces attaques ne fait pas de procès, ils disent alors que cela
doit être vrai “puisqu’il n’y a pas eu de procès”. Si, au contraire,
la victime amène l’affaire en justice, elle est de surcroît présentée
comme un ennemi de la liberté sur Internet, l’effet étant de mobiliser
aussitôt la solidarité sur Internet. (…)
Nos statistiques confirment qu’en dehors d’un petit nombre d’utilisateurs,
peu de personnes sont intéressées par les débats offensifs sur les
“sectes” sur Internet. Dans chaque newsgroup
que nous avons étudié sur une période de trois mois, il y avait moins d’une
douzaine de « combattants ». Ce nombre est probablement inférieur
si on prend en compte la possibilité que certains aient eu des pseudonymes
multiples. La guerre anti-sectes sur Internet est plutôt comme une tempête
dans une tasse de thé. (…)
La communauté anti-sectes aux Etats-Unis est de plus en plus inquiète
de subir des plaintes. Le fait d’être associé à cette frange extrémiste
des anti-sectes pourrait en effet devenir, dans la prochaine décennie, ce que
l’association avec les déprogrammeurs fut dans les années 80 et au début
des années 90. C’est encore plus embarrassant quand des gouvernements européens
incluent dans leurs documents officiels des informations prises sur Internet
sans les vérifier. Cette pratique a causé au moins deux incidents
diplomatiques en 1999, quand, par exemple, la MILS en France, dénonça un
membre officiel d’une délégation enquêtant sur l’intolérance religieuse
comme « un activiste d’une des sectes internationales les plus
dangereuses » (quand elle était en fait, membre d’une petite congrégation
chrétienne). La même année, toujours à partir d’informations prises sur
Internet, la délégation française à une conférence internationale sur le
pluralisme religieux organisée par l’OSCE à Vienne, accusa injustement trois
orateurs, incluant un des rapporteurs officiels désignés par l’OSCE, d’être
des Scientologues ou représentant l’Eglise de Scientologie (1). (…)
Les gouvernements peuvent avoir une grande responsabilité dans le fait de générer
de la violence à la fois contre et de la part des minorités harcelées. La
violence, comme le dit Sprinzak (1999, 311-312 et 317), "ne provient pas
seulement d’en bas, d’individus qui ne respectent pas la loi. Les
gouvernements sont responsables de la création d’une grande quantité de
violence”. "Plus grand est le sentiment d’être devenu illégitime
aux yeux du gouvernement" pour une minorité "plus grande est la
tentation d’utiliser la force contre celui qui devient alors un ennemi ».
Massimo INTROVIGNE est né à Rome le 14 juin 1955, avocat italien spécialiste de la propriété intellectuelle, professeur d'histoire et de sociologie des religions à l'Athénée pontifical Regina Apostolorum et un des chercheurs les plus connus internationalement sur les mouvements religieux contemporains. Il a fondé en 1988 le CESNUR (Centre d'études sur les nouvelles religions), un réseau international d'associations de spécialistes des nouveaux mouvements religieux. Il est l'auteur ou co auteur de plus de vingt ouvrages en italien sur les nouveaux mouvements religieux.
1) Etant donné l’intérêt des services de renseignements français pour Internet et Usenet (Destouche 1999), et le fait qu’ils voient la lutte contre les sectes comme une priorité absolue, on peut se demander si ces services prennent simplement les informations sur Internet ou s’ils contribuent à leur propagation. |
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