L'affaire Riera Blume et autres contre l'Espagne

Une affaire, jugée par la CEDH, où 6 ressortissants espagnols ont dû attendre 15 ans pour être dédommagés du préjudice subi lors de 10 jours durant lesquels ils ont été privés de liberté pour subir des sessions de "deprogramming"

14.10.1999

Communiqué du Greffier

ARRÊT DANS L'AFFAIRE RIERA BLUME ET AUTRES c. ESPAGNE

Par un arrêt[fn] rendu à Strasbourg le 14 octobre 1999 dans l'affaire Riera Blume et autres c. Espagne, la Cour européenne des Droits de l'Homme dit, à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des Droits de l'Homme, et qu'il ne s'impose pas d'examiner séparément le grief tiré de l'article 9 de la Convention. En application de l'article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue 250 000 pesetas (ESP) à chacun des requérants pour dommage moral, ainsi que 500 000 ESP conjointement aux requérants pour frais et dépens.

1. Principaux faits

Les requérants, Elena Riera Blume, Concepción Riera Blume, Maria Luz Casado Perez, Daria Amelia Casado Perez et Maria Teresa Sales Aige, et Javier Bruna Reverter, ressortissants espagnols, sont nés en 1954, 1952, 1950, 1950, 1951 et 1957 respectivement, et résident à Valence (Espagne).

Le 20 juin 1984, dans le cadre d'une enquête préliminaire, les requérants, membres présumés d'une secte, firent l'objet de perquisitions à leurs domiciles. Arrêtés, les requérants furent transférés au siège du tribunal d'instruction de Barcelone, où un juge décida leur mise en liberté mais ordonna verbalement de les remettre à leurs familles, et de suggérer qu'il serait utile de les interner dans un centre psychiatrique. Cette décision fut ultérieurement confirmée par écrit.

Les requérants furent alors transférés du tribunal dans les locaux de la direction générale de la sécurité civile de la Generalitat de Catalogne sur ordre de son directeur général et conduits, le 21 juin 1984, par des membres de la police catalane dans des voitures officielles à un hôtel situé à une trentaine de kilomètres de Barcelone. Dans cet hôtel, ils furent remis à leurs familles et conduits dans des chambres individuelles à fenêtres fermées hermétiquement et surveillées en permanence, et d'où ils ne furent pas autorisés à sortir pendant les trois premiers jours. Ils furent soumis à un processus de " déprogrammation " par un psychologue et un psychiatre. Les 29 et 30 juin 1984, après avoir été informés de leurs droits, ils furent interrogés par le sous-directeur général de la sécurité civile, en présence d'un avocat non désigné par eux, et le 30 juin 1984, ils quittèrent l'hôtel.

Dès qu'ils eurent recouvré leur liberté, ils déposèrent une plainte pénale, notamment pour détention illégale, contre le directeur général, le sous-directeur général et un fonctionnaire de la sécurité civile. À l'issue de la procédure pénale qui s'ensuivit, l'Audiencia provincial de Barcelone relaxa les accusés, considérant que le motif ayant conduit aux faits reprochés était philanthropique, légitime et bien intentionné, et que le délit de détention illégale n'était donc pas constitué. Les recours formés par le ministère public et les requérants, ainsi que le recours d'amparo présenté par ces derniers devant le Tribunal constitutionnel furent tous rejetés.

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 25 août 1997.

Le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, la requête a été transmise à la Cour.

Conformément à l'article 52 § 1 du règlement de la Cour, l'affaire a été attribuée à la quatrième section. Une Chambre de sept juges constituée au sein de ladite section a déclaré la requête en partie recevable le 9 mars 1999 et tenu une audience le 22 juin 1999.

L'arrêt a été rendu par la chambre composée comme suit :

Matti Pellonpää (Finlandais), président,

Georg Ress (Allemand),

Antonio Pastor Ridruejo (Espagnol),

Lucius Caflisch (Suisse),

Jerzy Makarczyk (Polonais),

Ireneu Cabral Barreto (Portugais),

Nina Vajic (Croate), juges,

ainsi que Vincent Berger, greffier de section.

3. Résumé de l'arrêt

Griefs

Les requérants se plaignent de l'illégalité de la privation de liberté dont ils firent l'objet et de l'atteinte à leur droit à la liberté de pensée, en violation des articles 5 et 9 de la Convention.

Décision de la Cour

Article 5 § 1

La Cour estime que le transfert des requérants par la police catalane à l'hôtel puis leur maintien dans l'hôtel pendant dix jours s'analysent en fait, en raison des restrictions subies, en une privation de liberté. La Cour constate l'absence de base légale de cette privation de liberté. Il s'agit dès lors d'examiner le rôle des autorités catalanes et d'en déterminer la portée.

La Cour considère que les autorités internes ont, à tout moment, consenti à la situation de privation de liberté des requérants. S'il est vrai que ce sont les familles des requérants et l'association Pro Juventud qui ont porté la responsabilité directe et immédiate de la surveillance des requérants pendant les dix jours de privation de liberté, il est tout aussi vrai que, sans la collaboration active des autorités catalanes, la privation de liberté n'aurait pas pu avoir lieu. La responsabilité ultime des faits dénoncés revenant ainsi aux autorités en question, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.

Article 9

Les requérants font valoir que les actes de " déprogrammation " dont ils ont été l'objet durant leur détention ont enfreint l'article 9 de la Convention.

La Cour fait observer que la détention des requérants se trouve au cœur des griefs sous examen. Ayant conclu au caractère arbitraire, et donc à l'illégalité, de la détention des requérants au regard de l'article 5 § 1 de la Convention, elle ne juge pas nécessaire de procéder à un examen séparé de l'affaire sous l'angle de l'article 9.

Article 41

La Cour constate que les requérants présentent une demande globale de dédommagement en ne fournissant aucun élément susceptible d'étayer leurs demandes au titre du préjudice matériel. Elle considère donc qu'il n'y a pas lieu de leur allouer une indemnité de ce chef. Quant au préjudice moral, elle estime que chacun des requérants a indéniablement, du fait de la violation constatée, subi un préjudice moral. Statuant en équité, elle octroie 250 000 ESP à chacun à ce titre.

Pour frais et dépens, les requérants et le Gouvernement s'en remettent à la sagesse de la Cour qui, statuant en équité, alloue aux requérants conjointement la somme de 500 000 ESP.

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.dhcour.coe.fr).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l'Homme

F - 67075 Strasbourg Cedex

Contacts : Roderick Liddell (téléphone : (0)3 88 41 24 92)

Emma Hellyer (téléphone: (0)3 90 21 42 15)

Télécopieur : (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l'Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l'Homme, examinaient successivement les affaires.

Footnote

[fn] L'arrêt deviendra définitif dans les conditions énoncées aux articles 43 et 44 de la Convention :

Article 43 - Dans un délai de trois mois à compter de la date de l'arrêt d'une chambre, toute partie à l'affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour composée de 17 juges. Un collège de cinq juges accepte la demande si l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général.

Article 44 - L'arrêt d'une chambre devient définitif

(a) lorsque les parties déclarent qu'elles ne demanderont pas le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre ;

ou

b) trois mois après la date de l'arrêt, si le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre n'a pas été demandé ;

ou

c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de l'article 43.

Source : http://www.echr.coe.int/

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