Rapport 2009 : Les chiffres de l'enquête internationale sur un supposé « phénomène sectaire » révèlent la vacuité de l'action de la MIVILUDES.

Par l'équipe du CICNS (avril 2010)

Dans son dernier rapport 2009, la MIVILUDES, au sein d’un chapitre intitulé « Les mineurs et les dérives sectaires, état des lieux à l’international », rapporte, commente et interprète sur 39 pages les résultats édifiants d’une enquête internationale auprès de 57 pays.  

Nous pouvons confronter la synthèse de la MIVILUDES aux faits et chiffres qu’elle rapporte elle-même. Commençons par la conclusion surréaliste de la MIVILUDES avant d’étudier les données qui sont censé l’inspirer. 

I- La synthèse de la MIVILUDES  

 « Une majorité des pays étudiés sont confrontés aux dérives à caractère sectaire concernant les enfants : déplacements illicites d’enfants, confits parentaux, rupture avec l’entourage familial, amical et social, risques liés à certaines pratiques telles que le rejet des soins médicaux ou pharmaceutiques, ou restrictions de la durée du sommeil ou de l’alimentation, ou encore refus de l’accès à l’éducation et aux jeux »  

« Les dérives à caractère sectaire concernant les enfants, notamment les déplacements illicites d’enfants et les confits parentaux sur l’implication des enfants dans certains mouvements ou pratiques, inquiètent les autorités chargées de protéger leurs populations les plus fragiles. Des structures publiques d’aide à ces victimes sont souvent mises en place (…) Les États qui ont choisi de ne pas légiférer sur ce sujet – pour des raisons liées à leur histoire encouragent et subventionnent souvent les associations privées qui assurent cette assistance (…) L’ensemble des États démocratiques dresse le constat de la difficulté de la protection des mineurs victimes de dérives sectaires et la nécessité d’assurer des structures adéquates » 

II- Analyse des données 

Nous avons, pays par pays, questionné les données fournies pour évaluer la pertinence des conclusions de la MIVILUDES (voir tableau en bas de page) 

1- Est-ce que les autorités locales en charge de la protection de l’enfance se disent inquiétées par les dérives sectaires ? 

2- Existe-t-il des structures publiques d’aide à des victimes de dérives sectaires ? 

3- Est-ce que l’État subventionne des associations d’assistance aux victimes de dérives sectaires ? 

4- Est-ce que l’État « dresse le constat de la difficulté de la protection des mineurs victimes de dérives sectaires » 

5- Est-ce que des données fiables (statistiques d’organismes officiels) ou de simples affirmations de la part des autorités locales attestent d’un problème significatif de « déplacements illicites d’enfants, conflits parentaux, rupture avec l’entourage familial, amical et social, risques liés à certaines pratiques telles que le rejet des soins médicaux ou pharmaceutiques, ou restrictions de la durée du sommeil ou de l’alimentation, ou encore refus de l’accès à l’éducation et aux jeux » en lien avec l’appartenance aux minorités ou l’adhésion aux pratiques, dénoncées par la MIVILUDES en France ? 

Les 5 questions posées pour les 57 pays ont donné 274 Non et 11 Oui, soit 96 % de Non. 

Seuls 3 pays sur les 57 : Belgique, Autriche, Slovaquie, semblent avoir, dans des proportions bien moindres, une politique similaire à celle de la France en matière de « dérives sectaires ». 

A noter, en Belgique : Le CIAOSN reçoit 10 à 20 plaintes par an de la part de particuliers concernant des conflits parentaux ou familiaux qui représentent 25 % des signalements. Cela donne une idée du peu d’importance du phénomène dans ce pays qui est le plus proche de la France en matière de lutte antisectes : entre 40 et 80 dossiers transmis par des particuliers chaque année. Pas de chiffre fournis sur des inculpations ou condamnations. Pas de chiffres pour l’Autriche. Les associations antisectes slovaques en sont encore à « envisager la possibilité de créer des associations de victimes de dérives sectaires, à l’image de ce qui existe en France » 

La plupart des « Non » viennent d’affirmations sans ambiguïté du rapport. Exemples : 

Question 1 : Est-ce que les autorités locales en charge de la protection de l’enfance se disent inquiétées par les dérives sectaires ? 

- « En Argentine, le phénomène sectaire et ses dérives concernant les jeunes ne retiennent l’attention ni des forces de sécurité ni des médias. » 

- « Les services de l'État interrogés par la France "se sont déclarés incompétents pour apporter des éléments de réponse aux interrogations" de la MIVILUDES. » (Royaume-Uni)

- « La Suède, dans un souci de protection de la liberté d’opinion et de religion, se caractérise par une vision très libérale à l’égard des mouvements porteurs de risque sectaire. (…) Les dérives sectaires ne constituent d’ailleurs pas véritablement une question politique en Suède ». 

Question 2- Existe-t-il des structures publiques d’aide à des victimes de dérives sectaires ? 

- « Il n’y a, en Uruguay, aucun organisme public de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Seule existe – depuis 2000 – une association privée qui se consacre à l’« étude et l’évaluation des sectes et des nouveaux mouvements religieux… » 

- « Certains (NDR parmi les antisectes locaux) considèrent qu’il conviendrait d’envisager la possibilité de créer des associations de victimes de dérives sectaires, à l’image de ce qui existe en France » (Slovaquie) 

Question 5 sur l’existence avérée de délits commis en lien avec l’appartenance aux minorités ou l’adhésion aux pratiques dénoncées par la MIVILUDES en France ? 

- « La principale association nationale portugaise d’aide aux victimes, « APAV » (Apoio a vitima), ne déplore aucun cas de victime de groupe à caractère sectaire ni de dérives à caractère sectaire concernant les enfants » 

-« Aucune réglementation spécifique concernant les mouvements à caractère sectaire » « Les tribunaux reçoivent en fait  très peu de plaintes liées à des mouvements à caractère sectaire… » - « (…) Peu d’informations disponibles concernant l’engagement d’enfants dans des mouvements à caractère sectaire… » - « Aucune information en matière de déplacements illicites d’enfants ou de confits parentaux concernant le placement d’enfants dans des organisations à caractère sectaire n’est disponible au Canada… »  

- « Sur le plan des enlèvements d’enfants (child abduction), les organismes chargés de recenser les informations pouvant conduire à la découverte des disparus ignorent le facteur sectaire. Ils ne font pas état des risques particuliers liés à la fréquentation d’un mouvement à risques » (Etats-Unis). 

- En Roumanie, l’Autorité nationale de protection des droits de l’enfant (ANPDC), a effectué une enquête auprès des Directions générales d’assistance sociale et de protection de l’enfant. Elle a révélé qu’aucune saisine pour disparition d’enfant dans le cadre d’organisations à caractère sectaire ou en raison d’un confit parental lié à un placement dans ce type d’organisation, n’avait été effectuée auprès de ces institutions. 

-« Au Pérou, l’ambassade n’a pas connaissance de menaces de dérives sectaires sur des mineurs. Toutefois, de jeunes adultes peuvent être victimes de ces dérives. Un seul cas de disparition – non élucidé – d’un jeune Français majeur… » 

En cas de doute, nous avons consulté le rapport 2008 de la MIVILUDES ou le site de certains organismes mentionnés. Par exemple, pour le Chili, le paragraphe commence ainsi : « Actuellement, au Chili, les éventuelles dérives sectaires touchant la jeunesse sont traitées avec célérité et efficacité ». Rien n’indique que ce thème préoccupe qui que ce soit au Chili. Il est par contre fait éloge du travail du SENAM, service national des mineurs du Chili. Sur le site de l’organisme en question, le mot secte (« secta » en Espagnol) n’apparaît pourtant nulle part. 

Au vu de la tendance évidente des auteurs du rapport à grossir le moindre fait étayant leurs thèses, l’absence de mention de subventions attribuées à des associations antisectes, ou de statistiques de « délinquance sectaire » signifie que rien n’avait été rapporté en ce sens à la MIVILUDES. 

Quand enfin, nos investigations ne nous ont pas permis de trancher, nous avons coché « Oui ». Des investigations plus poussée pourraient donc probablement réduire leur nombre. 

III- Feuilleté et enrobage : la composition de texte selon la MIVILUDES

Une lecture partielle, ou un survol rapide du texte de la MIVILUDES, laisse une impression différente de notre analyse méthodique, celle d’une planète sous la menace du « danger sectaire ». La structure particulière du rapport permet cette confusion par le biais de deux procédés : 

Enrobage : les (fausses) conclusions (données au début du rapport !)  et en gras (comme une invite à s’épargner la fastidieuse lecture des pages qui suivent et qui contredisent cette conclusion) cherchent à influencer le lecteur, à lui dire ce qu'il faut penser. 

Le feuilleté : le terme sectaire apparaît 185 fois combiné à des notions divergentes sur des sujets sans rapport avec l’objet de la MIVILUDES, la mention d’une quarantaine de mouvements ou pratiques, cibles classiques de la lutte antisectes et l’usage de mots-chocs et de faits divers parachutés dans le texte ; le tout dans un désordre certain. 

Par exemple, un passage sur l’Ukraine évoque des enlèvements d’enfants, des trafics d’êtres humains et d’organes sans rapport avec des minorités spirituelles ou thérapeutiques. Il faut savoir que le Ministère de l’Intérieur Ukrainien n’a pas daigné répondre à l’ambassade française et lui a conseillé de se renseigner sur Internet au sujet d’éventuelles « dérives sectaires ». Le paragraphe sur la Grèce comprend un passage très similaire, évoquant exploitation sexuelle des enfants et trafics d’organes où l’on est gratifié de l’information suivante : « La Grèce fait partie des pays européens qui ont mis en place le système de numéro d’alerte européen 116 000. Le correspondant grec est le centre « To Hamogelo Tou Paidiou « (Le sourire de l’enfant). ». Il n’est pas mentionné que ce centre n’a recensé aucune « dérive sectaire ». 

Une large évocation du drame de Jonestown (en 1978) est faite en passant au Guyana, qui semble depuis ne plus avoir connu de « dérive sectaire ». Waco est bien entendu cité au sujet des Etats-Unis, mais dans une version jamais entendue de la part d’un organe antisectes français selon laquelle les ATF (United States Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms) et le FBI sont les principaux responsables du massacre qu’ils avaient eux-mêmes tenté de faire passer pour un suicide collectif.  Nous pourrions, à ce stade de la lecture espérer un mea-culpa des antisectes français d’avoir brandi ce drame pour cautionner la peur des minorités spirituelles. L’espoir n’aura duré que quelques lignes. En effet, après avoir décrit le fiasco de la police texane, retirant 468 enfants supposément en danger d’une communauté fondamentaliste chrétienne, pour devoir les restituer ensuite sur ordre du juge sans aucune inculpation, la MIVILUDES fait ce commentaire surprenant : « L’action entreprise a été un succès à plusieurs titres (…) aucune violence ou suicide n’a été à déplorer (cf. le spectre de Waco)… » 

IV- L’incompatibilité de la « lutte contre les dérives sectaire » avec le respect des libertés individuelles. 

Les auteurs du rapport soulignent à plusieurs reprises, en guise d’explication au  laxisme dont bénéficieraient les « sectes » à l’étranger, de supposées différences constitutionnelles : 

« Aux États-Unis, le Premier Amendement de la Constitution américaine et la jurisprudence développée par la Cour suprême garantissent de manière quasi absolue la liberté de culte et la liberté d’expression, dont l’acception est ici assez large. Par conséquent… » 

« La Constitution de la République d’Irlande garantit à chacun la liberté religieuse et de culte à condition que l’ordre public et la moralité soient préservés… » 

«En Estonie, les autorités en charge de la protection des mineurs ont tenu à indiquer que l’Estonie est un pays où la libre pratique d’un culte ou d’une religion est garantie par la Constitution » 

Il est consternant de voir un organe du gouvernement français souligner comme une faiblesse, ou une incongruité l’application stricte de la Déclaration universelle des droits de l’homme. 

V – L’art de produire de la fumée sans feu. 

« Oui, mais quand même », pourrait-on dire à la lecture du rapport, des dérives imputables auxdites sectes, y sont bien mentionnées ! 

Un grand nombre des cas évoqués, ne sont que rumeurs ou suspicions et proviennent de sources pour le moins contestables :  

« Un courant occultiste, actif notamment à Novossibirsk et à Riazan, fait l’objet de lourds soupçons de pratiques sexuelles impliquant des mineurs » 

« (…) Tel le cas d’un enfant de 11 ans qui, à Omsk en juin dernier, aurait tenté de se suicider après avoir subi les enseignements scientologues » 

« L’actualité atteste de risques réels de dérives sectaires » 

« Toutefois, la rumeur attribue à certaines franges extrêmes des praticiens de l’« Obeah » qui s’apparente au « Vaudou » , quelques disparitions d’enfants… » 

Sur 39 pages, et pour 57 pays, nous n’avons recensés que 4 cas ayant fait l’objet de condamnations, et mettant en jeu des croyances ou rituels. Aucun des pays dans lesquels sont survenus ces fait-divers, pourtant particulièrement choquants, n’a jugé nécessaire la mise en place de mesures de surveillance des minorités spirituelles ou d’une législation particulière sur la « manipulation mentale ». 

Du caractère subjectif et « culturel » de la peur des « sectes »

- La MIVILUDES, au paragraphe des dérives sectaires en Bolivie, signale l’arrestation de sept Mennonites soupçonnés d’une centaine de viols sur des femmes et des fillettes. La dizaine d’articles que nous avons parcourus dans la presse sud-américaine n’établit aucun lien entre les actes de ces hommes et les croyances et pratiques des Mennonites (40 000 personnes en Bolivie) dont ils parlent avec tout le respect dû à une communauté touchée par une telle tragédie.  

Le contraste avec la France, où le moindre lien entre un fait divers et une minorité spirituelle est surexploité dans les médias en utilisant la phobie antisectes, est vertigineux. 

- 1953 - Etats-Unis : Un petit groupe chrétien polygame « s’était fait connaître suite à l’intervention de la police à Short Creek (Arizona) et la mise sous tutelle de 236 enfants (…) 150 enfants n’ont été rendus à la garde de leurs parents que deux ans plus tard, certains parents n’ont jamais recouvré leurs droits parentaux. ». La MIVILUDES rajoute : « L’opinion publique, alors peu avertie sur la question des sectes, a perçu l’intervention comme « choquante » et « portant atteinte aux libertés individuelles ». 

A contrario : « Avertir » d’un supposé danger permet de porter atteinte aux libertés individuelles sans choquer l’opinion publique.

Tableau synthétique des données (voir questions au paragraphe II)

 

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