La Franc-Maçonnerie et les sectesPar le CICNS (septembre 2009)
Un certain nombre d’acteurs s’emploient, en France, à dégrader le
débat sur la question des « sectes » ; parmi eux se trouvent les
principales obédiences franc-maçonnes. Leurs prises de position
officielles nous paraissent incohérentes et non responsables au vu de
l’histoire mouvementée de la franc-maçonnerie.
Compte tenu à la fois de l’impossible définition d’une secte et
des caractéristiques même de la franc-maçonnerie, il est impossible
de se leurrer sur une
hypothétique différence entre les loges maçonniques et les autres
minorités spirituelles. Comment la franc maçonnerie en est-elle donc
venue à se positionner aussi négativement dans le discours
antisectes ?
Rappel historique
L’Histoire de la franc-maçonnerie n’a pas été un long fleuve
tranquille. Dès le début du XIXe siècle, le Vatican
condamne des « rituels
blasphématoires et parodiques » (Le Point – Hors série, sept-oct
2009 – Franc-maçonnerie, les textes fondateurs – article de Jérôme
Rousse-Lacordaire).
Dans son ouvrage La
manipulation mentale – Sociologie des sectes en France, éditions
Fayard, Arnaud Esquerre montre comment l’accusation de « secte » a
été consciencieusement appliquée à la franc-maçonnerie : « Parmi
les nombreux ouvrages consacrés aux sociétés secrètes et aux
« sectes » dans la deuxième partie du XIXe siècle, celui
du comte Le Couteulx de Canteleu en trace en 1863 une brève histoire
« depuis les temps les plus reculés » jusqu’à
(…) En 1884, Léon XIII publie une encyclique, Humanum genus,
condamnant le relativisme philosophique et moral de la
franc-maçonnerie (…) les « sectes » emploieraient des artifices pour
attirer les êtres humains. Puis ceux-ci seraient réduits à l’état d’«
esclaves », en s’engageant à obéir aveuglément et sans discussion. La
franc-maçonnerie, affirme Léon XIII, serait pour toutes les
« sectes » « comme le point central d’où elles procèdent et où elles
aboutissent » (…) Celle-ci serait « un poison qui circule dans les
veines de la société et l’infecte tout entière » et contre la
contagion duquel le Pape appelle tous les Catholiques à s’unir pour
le faire disparaître. La « secte » des francs-maçons, en forte
progression depuis le XVIIIe siècle, aurait envahi tous
les rangs de la hiérarchie sociale. Le Pape la qualifie de
« criminelle », car son objectif serait de « détruire de fond en
comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des
institutions chrétiennes » pour lui en substituer une nouvelle,
façonnée par le naturalisme.
(…) Un abbé du Gard, Barnier, continue à déployer vingt ans plus
tard, en 1906, l’argumentation de l’encyclique de Léon XIII, dans un
livre contre les sectes[ii] (…).
La pire d’entre elles serait toujours la franc-maçonnerie, « le
résidu de toutes les anciennes hérésies, le confluent de toutes les
sectes hostiles à l’Eglise et à la société chrétienne, une débauche
d’orgueil et d’impiété[iii] ».
Les « sectes », explique encore Barnier, se multiplieraient comme des
mites à mesure que le corps social tomberait en dissolution ».
Plus proche de nous, le temps de l’Occupation a également été une
période sombre pour les francs-maçons : « Après les persécutions de Vichy, la franc-maçonnerie s’est refermée sur
elle-même et n’a commencé à réapparaître dans le débat public que
dans les années 1970 (…) » (ibid. Le Point, article d’Alain
Bauer).
Les principales obédiences françaises (pour
donner quelques grands repères, source ibid. Le Point)
Deux principaux courants peuvent être distingués :
- Le courant libéral ou « adiagnostique » : les obédiences
appartenant à ce courant prônent la liberté de conscience et ne font
pas référence au « Grand Architecte de l’Univers » ; parmi elles : le
Grand Orient de France (GODF, 50 000 membres), le Droit Humain (FFDH,
27 000 membres),
- Le courant traditionnel (Maçonnerie spirituelle) : les
obédiences appartenant à ce courant font référence au « Grand
Architecte de l’Univers » ; parmi elles :
La franc-maçonnerie dans l’opinion publique et les médias
Si la roue a tourné pour les francs-maçons et qu’ils
appartiennent désormais aux groupes influents de
A ce titre, le comportement des médias est assez semblable
vis-à-vis de la franc-maçonnerie et des autres groupes qualifiés de
« sectes ». Il s’agit pour eux d’un sujet marronnier (scoop, annonces
fracassantes, amalgames etc.) : « Dans la presse magazine, lorsqu’on
n’a plus rien à dire, on parle des francs-maçons, un ange passe, les
loges défilent » (blog de
Guillaume Erner sur France
Inter). Avec cependant une nuance de taille : la franc-maçonnerie
étant désormais respectée même si suspectée, elle peut publier dans
la presse des articles de fond sur le courant de pensée qu’elle
représente et même obtenir d’un magazine national qu’il publie un
numéro hors-série sur ses textes fondateurs (ibid. Le Point). Les
minorités spirituelles classées « sectes » par
Quelques exemples de presse :
- Rue89,
12 juillet 2008 – article intitulé :
Féminisation : le Grand Orient,
« secte repliée sur elle-même » ? (source).
- L’Express,
11 octobre 2004 – article intitulé :
Trente ans de dérives (La saga
des francs-maçons de Montpellier) (source).
- L’Express,
8 février 2004 – article intitulé :
Les combines des francs-maçons
(source).
- L’Express,
19 février 2008 – article intitulé :
Les francs-maçons et le pouvoir,
« L'Express est en mesure de le
révéler: Xavier Bertrand, l'un des ministres les plus en vue du
gouvernement, appartient au Grand Orient de France. Une nouvelle
illustration des liens entre la politique et la franc-maçonnerie »
(source).
- Challenges,
15 juin 2006 – article intitulé :
L’ombre des loges maçonniques
(source).
- Nice Matin, 18 octobre 2008 – article intitulé :
Alpes-Maritimes - François Stifani, grand maître : « Les dérives
appartiennent au passé », « NM :
Reste une impression de « secte » sinon de « réseau » qui peut faire
problème ? FS : Nous sommes des libres-penseurs. Qui ne veulent
formater aucun esprit. Pour y entrer il faut être parrainé. N'entre
pas qui veut... » (source).
- France Soir, 31 janvier 2009, interviewe Yvette Nicolas la grande maîtresse
de
- Nord Eclair, 1 février 2009, cet article se fait l'écho d'une conférence sur
la franc-maçonnerie dont un des intervenants est Yves-Max Viton,
ancien grand maître de
- Le Nouvelliste (Suisse), 12 novembre 2008, Maurice Badoux, bibliothécaire
montheysan de
- Saint-Lô Maville, 13 juin 2009, trois loges du Grand Orient de France de
L’attitude (commentée) vis-à-vis des sectes de quelques obédiences
Nous avons consulté les sites d’un certain nombre d’obédiences.
Grand Orient de France (GODF) (source)
La deuxième question de la foire aux questions du GODF est la
suivante : « Est-ce une secte ? ».
Cet empressement à se « disculper » montre combien le sujet est
sensible. Réponse (extrait) : « Chez
nous, point de « gourou » ou de parole révélée. N'entre certes pas qui
veut, mais tous ceux qui veulent partir le font sans contrainte ».
La question est donc évacuée en utilisant une argumentation
stéréotypée signe d’un certain embarras. La mention d’une sortie
facile de l’obédience pour répondre à l’accusation d’être une secte
est une constante dans les différentes loges, nous y reviendrons.
Le 25 Février 2008, le GODF s’est insurgé de la prise de position
d’Emmanuelle Mignon, alors Directrice de Cabinet de Nicolas Sarkozy,
qui a déclaré que les sectes en France était un « non problème » (source).
GODF : « Cette prise de
position est inacceptable si elle se révèle exacte. Les sectes
inscrites sur la liste de 1995 par
Le GODF mentionne de « nombreux témoignages d'atteinte à
l’intégrité des corps et des consciences » mais devrait plutôt
rechercher les « preuves » pouvant justifier la politique antisectes
française. Si les membres de cette obédience ont lu
les rapports de la MIVILUDES
et suivi les
commissions d’enquêtes parlementaires
sur le sujet (ce que le CICNS fait régulièrement et en détail), ils
savent que ces preuves n’existent pas. Ils valident ainsi une
politique discriminatoire d’ensemble basée uniquement sur quelques
témoignages et des rumeurs, alors que les infractions commises par
quelques individus pourraient être traitées par application du droit
commun.
Le Grand Orient (GODF), Le Droit Humain (FFDH),
Il est surprenant de voir que ces personnes représentatives aient
pu parler de la « lutte contre les sectes » alors que depuis 2002
Le GODF déclare dans sa section « Nos valeurs », qu’il « est
(…) attaché à la liberté absolue de conscience qui est garantie par
la laïcité des institutions ». Selon l’historien Jean Baubérot,
la laïcité française a une fâcheuse tendance à se transformer en
religion civile (Jean Baubérot,
Une laïcité interculturelle, éditions L’Aube). Une laïcité qui prend
des allures de dogme intangible et rigide servie par des clercs en
charge d'expulser l'hérésie. Le GODF précise dans sa section
« initiation » : « La
fraternité maçonnique dont la loge est le creuset doit être un lieu
de questionnement et de débats entre des hommes de bonne volonté
quelles que soient leurs croyances. Dans cette perspective, une
confrontation des différences qui vise à comprendre ce qui fait
l'unité de l'homme est l'une des clefs de l'initiation ». Si les
mots ont un sens, l’activisme antisectes du GODF est l’antithèse
d’une démarche « de questionnement et de débats entre des hommes de bonne volonté quelles
que soient leurs croyances ».
Grande Loge Féminine de France (GLFF) (source)
Le 9 mars 2009,
Il précise en introduction : « Les Franc-maçonnes et les Francs-maçons de
La notion de manipulation mentale est qualifiée de concept
pseudo-scientifique par un grand nombre de chercheurs (voir, par
exemple, Misunderstanding Cults,
édité par Benjamin Zablocki et Thomas Rubbin). Elle est une
appréciation subjective extrêmement délicate à manier qui est
pourtant utilisée sur un mode simpliste et accusatoire totalement
antidémocratique : les personnes faisant un choix de vie alternatif
non conforme à l’opinion dominante sont considérées irresponsables
car manipulées par des gourous « laveurs de cerveau » criminels.
Cette supercherie intellectuelle qui s’exerce de plus au nom de la
liberté de pensée et de conscience est, comme le suggère le
sociologue Arnaud Esquerre, un des « dispositifs
du pouvoir sur le psychisme » (Arnaud
Esquerre, La manipulation mentale – Sociologie des sectes
en France, Éditions Fayard). L’accusation de « manipulation mentale »
est la version laïque du vade
retro satanas d’antan, un anathème irréfutable car invérifiable,
lancé au visage de ceux qui dérangent. Les signataires du communiqué
ont la mémoire courte : Arnaud Esquerre cite Emile Poulat (ibid.)
analysant le climat entourant la franc-maçonnerie au cours des
siècles : « La franc-maçonnerie
(…) c’est la « Secte » (...) agissant pour le compte de Lucifer -
Satan, le Malin, le Mauvais -, l'ange révolté, le Prince de ce monde
qui lève contre Dieu l'étendard de la révolte ». (Voir également
notre dossier sur la
manipulation mentale).
Le communiqué ajoute que : « Se pose alors la question de savoir comment, dans le respect des valeurs
républicaines, lutter efficacement contre ces mouvements. La seule
manière possible est la seule référence à la loi. La violation de la
loi doit être le critère à partir duquel les actes du mouvement
sectaire peuvent être considérés comme délictuels et susceptibles
d’être réprimés ».
Si les signataires sont sérieux dans cette affirmation, ils
peuvent donc dissoudre leur mission de vigilance puisque les
condamnations pénales et administratives prononcées à l’encontre desdites « sectes » sont en nombre infime et ne peuvent en aucune
manière justifier l’arsenal de lutte déployé en France. Cette prise
de position ressemble à une hypocrisie supplémentaire consistant à
présenter une action conforme aux règles d'un Etat de droit (dans
lequel le trouble à l’ordre public est sanctionné par des décisions
de justice) tout en diffusant une propagande antisectes s’appuyant
sur des jugements de valeur et de goût, voire une évaluation des
doctrines (voir notre interview du sociologue
Raphaël Liogier). Un des
souhaits affiché des deux derniers présidents de
Droit Humain (FFDH) (source)
Le Droit Humain n’est pas disert sur le thème des sectes (sur son
site tout du moins) mais nous avons vu plus haut qu’il s’est associé
à plusieurs actions de lutte contre les sectes.
Grande Loge Mixte de France (GLMF) (source)
Grande Loge Nationale de France (GLNF) (source)
Nous n’avons pas trouvé de référence à la question sectaire sur
le site de
Grande Loge de France (GLDF) (source)
La question n°9 de la foire aux questions de
Il suffirait d’échanger quelques mots dans cette réponse et dans
certains passages du communiqué GLFF-GODF-FFDH, pour obtenir une diatribe similaire à celle du
pape Léon XIII et de l’abbé Barnier à l’encontre de la
franc-maçonnerie. Les mêmes accusations infondées et la même haine
sont véhiculées dans les deux cas.
Dans un article du
Journal n°73 de février 2007 (Les chantiers de la Grande Loge de
France) il est écrit : « Il faut être très attentif, y
compris en France, aux dérives que l'on peut qualifier de sectaires
pour celles de ces « obédiences » dont les valeurs et les références
sont loin de la Franc-maçonnerie.
Le Grand Maître a pris l’initiative de faire participer la Grande
Loge de France à la Mission Interministérielle de Vigilance et de
Lutte contre les dérives sectaires.
Contrairement aux principales obédiences, nous n’y étions pas
représentés. C’est maintenant chose faite et trois Conseillers
Fédéraux participent aux travaux et au devoir de vigilance que nous
devons assumer ».
Si les références maçonniques des principales obédiences, fortement impliquées dans l’action de la MIVILUDES, sont perçues comme la référence unique, en comparaison de laquelle toute autre référence est considérée comme une dérive sectaire, on comprend mieux la politique de dénigrement tous azimuts de la mission interministérielle à l’encontre des nouvelles formes de la spiritualité.
Le jeu pervers des critères de dérives sectaires
La plupart des obédiences se sortent de l’accusation d’être une
secte en précisant : « Nous ne sommes pas une secte car, chez nous, il
est difficile d’entrer mais facile de sortir, le contraire d’une
secte ».
Soulignons à nouveau la confusion volontairement entretenue par
La réponse standard des obédiences maçonniques correspondrait
grosso modo au critère c). Pourtant rien ne dit que l’implication
d’un frère dans une obédience ne pourrait être vécue comme
déstabilisante par ses proches. La réponse fournie est donc
superficielle et prend de plus pour acquis qu’un seul critère serait
suffisant pour décider du caractère sectaire d’un mouvement, ce que
même
b) le caractère exorbitant des exigences financières :
Sophie Coignard, journaliste au Point, écrit : « Les
grandes obédiences sont devenues d’énormes machines qu’il convient
d’alimenter. Leurs dirigeants sont habitués à un certain train de
vie. La bonne représentation exige de nombreux voyages à l’étranger.
Tout cela coûte cher. Or chaque nouvel adhérent apporte une nouvelle
cotisation. « Il suffit de faire la multiplication, dit un membre de
« (…) Les instances de
La majorité des minorités spirituelles qualifiées péjorativement
de « sectes » vivent sur un train de vie sans comparaison avec celui
de la franc-maçonnerie ; elles sont néanmoins systématiquement
accusées d’extorquer des fonds à leurs membres : «
(…) les systèmes sectaires ont souvent la tentation, on le constate, de
coupler leurs activités d’emprise sur les individus avec diverses
fraudes destinées à rendre l’ensemble encore plus lucratif : travail
illégal, fraude fiscale, fraudes aux diverses allocations et aux
aides publiques notamment » (rapport 2008 de
f) l’importance des démêlés judiciaires :
Les démêlés judiciaires impliquant des francs-maçons et sur
lesquels pèsent des soupçons d’influence sont légions. Même en
mettant un bémol à l’outrance médiatique lorsqu'elle rapporte ce type
d'affaires, il n’est pas possible de dire qu’il s’agit d’un « non
problème ». Le livre d’Eric de Mongolfier l’atteste (Le
devoir de déplaire, éditions Michel Lafon). Alain Bauer
(ancien Grand Maître du GODF) précise : « Certes,
il y a des gens qui entrent dans
g) l’éventuel détournement des circuits économiques
traditionnels :
Sophie Coignard (ibid.) donne des exemples de liens entre élus
locaux et francs-maçons permettant à ces derniers l’accès avantageux,
préférentiel, voire illégal à de l’immobilier public ou non (exemples
p. 45, p. 83, p. 140). Ces exemples sont suffisamment nombreux pour
susciter de naturelles interrogations.
h) les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics :
Sophie Coignard (ibid.) illustre également parfaitement le
lobbying franc-maçon dans les sphères de pouvoir. Certes, le terme
« infiltration » a une connotation péjorative réservée plutôt aux
groupes qui déplaisent. Mais il ne fait pas de doute (même en
tempérant l’emballement médiatique) que le lobbying franc-maçon ne va
pas toujours dans le sens du bien commun. Alain Bauer constate : « Avant 1939, 60 % des parlementaires étaient maçons (…) Mais il n’y a
aujourd’hui qu’environ 10 % de parlementaires francs-maçons en France.
Alors dire qu’elle [la franc-maçonnerie] est un Etat dans l’Etat… »
(ibid. Le Point). Ces propos sont à rapprocher des accusations
d’infiltration à l’encontre desdites « sectes », proférées sans le
moindre commencement de preuve.
Au moins trois critères de dérives sectaires seraient applicables
à certaines loges maçonniques. Pour ceux qui, indignés devant cette
affirmation, contesteraient la pertinence des sources proposées,
qu’ils se rappellent un point important : il suffit désormais à
L’exercice précédent d’application des critères de dérives
sectaires à la franc-maçonnerie illustre à nouveau leur inanité :
applicables à n’importe quel groupe humain de façon arbitraire et
subjective, ils sont utilisés pour accuser ou se disculper dans un
contexte où la rumeur tient lieu de preuve et la psychose de
moyen de communication.
Quelle est la motivation réelle de la franc-maçonnerie dans son
positionnement contre les sectes ?
Il est désolant de voir des hommes et des femmes censés avoir une
conscience historique aiguisée, adopter des comportements
discriminatoires dont ils ont été eux-mêmes les cibles par le passé.
Derrière les déclarations incantatoires sur l’attachement à la
liberté de conscience, aux valeurs de
La paresse intellectuelle devant la pensée unique
Devant l’avalanche d’informations et de désinformations dont nous
sommes la cible journellement et la multiplicité des sujets qui
mériteraient une attention soutenue, il est parfois plus reposant de
se laisser porter par l’opinion dominante. Le thème des sectes
appartient à la pensée unique : « Les sectes sont de plus en plus
nombreuses et sont les ennemis de
Les deux Frances sur le dos des minorités spirituelles
Les Frances cléricale et anticléricale se sont fait la guerre
pendant des décennies. Selon
Jean Baubérot, ce conflit
s’est apaisé au moment du vote de la loi de 1905 ; mais une rancœur
rentrée qui ne pouvait plus se déclarer ouvertement, s’exprime
désormais en accablant les minorités spirituelles transformées en
boucs-émissaires. Les deux courants principaux de la franc-maçonnerie
(traditionnelle, libérale) ne sont pas sans rappeler les deux
Frances. Il est de notoriété publique que certaines associations
antisectes ont des responsables francs-maçons qui utilisent le climat
d'intolérance français pour régler leur compte aux nouvelles
spiritualités, soit qu’ils soient attachés à des valeurs spirituelles
traditionnelles, soit qu’ils aient tendance à confondre laïcité et
athéisme.
Le stigmatisé devenu « stigmatiseur »
Y aurait-il une tentation pour d’anciens stigmatisés de croire se
protéger plus efficacement en stigmatisant autrui, une fois la bonne
fortune revenue ? Régis Dericquebourg présente sur son site une
synthèse sur le thème de la stigmatisation : « Selon
Festinger, les stigmatisés se comparent mutuellement. Quand la
comparaison leur est favorable, l’estime de soi se renforce. En
dévalorisant à son tour des porteurs de stigmates les plus saillants,
le stigmatisé rejoint la perception des gens «normaux» » (source).
Une élite au pouvoir et qui souhaite s’y maintenir
Si l’élite de notre pays ne se confond pas avec la
franc-maçonnerie, une très large partie de la franc-maçonnerie fait
partie de l’élite : « (...) la
franc-maçonnerie a fédéré une élite. Elément incontournable de sa
fondation, cette caractéristique a été niée au fil des ans. D’une
part, confirmer ce recrutement élitiste reviendrait à reconnaître
l’existence d’un réseau d’influence. D’autre part, de nombreux
frères et sœurs qui occupent les fonctions de vénérables, notamment
au Grand Orient, à
Selon Noam Chomsky, l’élite est au service du pouvoir car elle
cherche à maintenir son statut d’élite : « C’est très important pour les intellectuels de se mettre en rang au
service de l’Etat ». Il ajoute : « Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent
provoquer des changements » (source :
Chomsky & compagnie – pour en finir avec la fabrique de l’impuissance,
un film d’Olivier Azam et Daniel Mermet). Il n’est donc pas
surprenant que cette élite soit aux première « loges » pour
discréditer aux yeux du public les éléments qui prônent un changement
parfois profond de la société. La « diabolisation » des minorités
spirituelles s’inscrit dans cette démarche manipulatrice, puisque
celles-ci peuvent être sources de choix de vie alternatifs «
dérangeants ». Voir un article de
Maurice Duval :
Le discours antisecte comme support de l'idéologie néolibérale. Voir
également le livre de
Nathalie Luca,
Individus et pouvoirs face aux sectes, éditions Armand Colin.
Le constat d’une connivence entre l’élite et le pouvoir n’empêche
pas de voir les loges comme des sources de progrès, mais il est
probable que les avancées obtenues soient celles permises par ce
« pouvoir » en place. Il convient alors de s’interroger sur les
moyens utilisés par ce pouvoir pour lutter contre des forces de
changements qui le dérangent mais qui de toute façon répondent à des
mouvements de fond de la société que personne ne maîtrise.
Clairement, la lutte contre les sectes en France ne respecte plus
aucune des règles démocratiques sur lesquelles pourtant les acteurs
antisectes prétendent s’appuyer pour s’auto-justifier.
Un autre aspect de l’exercice du pouvoir est présenté par
Anne Morelli. Les courants
spirituels et philosophiques traditionnels se partagent un gâteau
financier et médiatique. Les nouveaux entrants comme les minorités
spirituelles sont considérés comme des concurrents mal venus dont il
est préférable de se débarrasser.
La franc-maçonnerie comme acteur responsable du débat sur la question
sectaire
Dans un article intitulé « Pourquoi devenir maçon ? » (ibid. Le Point), Michel Maffesoli
considère que « l’importance
réelle de la franc-maçonnerie est moins de l’ordre du pouvoir
temporel que de la puissance spirituelle. (…) [L’ordre maçonnique]
est le symbole d’une fraternité secrète
parcourant le corps social. Et si, sous des noms divers, il a
attiré, et continue d’attirer, c’est qu’il exprime en majeur un
« ordre d’amour », celui de Les francs-maçons sincères qui partagent cette vision dans leur vie quotidienne ne peuvent pas souscrire à la lutte antisectes telle qu'elle est menée en France et telle qu'elle est soutenue par les principales loges. Ils peuvent devenir des interlocuteurs « inspirés » dans le débat sur la place des minorités spirituelles en France, mais cela suppose de remettre à plat leurs prises de position officielles actuelles. Un bon début serait de prendre connaissance de l’information présentée sur notre site et de partir de l’hypothèse suivante : les minorités spirituelles sont des groupes humains comme les autres dont l’évaluation doit s’inscrire dans le cadre du droit commun et dans une démarche de connaissance ouverte et respectueuse. C’est la direction que nous avons donnée à notre projet d’Observatoire des minorités spirituelles indépendant.
[i]
Le Couteulx de Canteleu Jean Baptiste Emmanuel Hector,
Les sectes et Sociétés
secrètes politiques et religieuses : essai sur leur histoire
depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Révolution
française, Paris, Didier et compagnie, 1863.
[ii]
Barbier Charles, Contre
les sectes et les erreurs qui nous divisent et nous désolent.
Démonstrations et réfutations, Paris, Vitte, 1906.
[iii]
Ibid, p. 270. |
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