La Franc-Maçonnerie et les sectes

Par le CICNS (septembre 2009) 

Un certain nombre d’acteurs s’emploient, en France, à dégrader le débat sur la question des « sectes » ; parmi eux se trouvent les principales obédiences franc-maçonnes. Leurs prises de position officielles nous paraissent incohérentes et non responsables au vu de l’histoire mouvementée de la franc-maçonnerie.  

Compte tenu à la fois de l’impossible définition d’une secte et des caractéristiques même de la franc-maçonnerie, il est impossible de se leurrer sur une hypothétique différence entre les loges maçonniques et les autres minorités spirituelles. Comment la franc maçonnerie en est-elle donc venue à se positionner aussi négativement dans le discours antisectes ? 

Rappel historique 

L’Histoire de la franc-maçonnerie n’a pas été un long fleuve tranquille. Dès le début du XIXe siècle, le Vatican condamne des « rituels blasphématoires et parodiques » (Le Point – Hors série, sept-oct 2009 – Franc-maçonnerie, les textes fondateurs – article de Jérôme Rousse-Lacordaire).  

Dans son ouvrage La manipulation mentale – Sociologie des sectes en France, éditions Fayard, Arnaud Esquerre montre comment l’accusation de « secte » a été consciencieusement appliquée à la franc-maçonnerie : « Parmi les nombreux ouvrages consacrés aux sociétés secrètes et aux « sectes » dans la deuxième partie du XIXe siècle, celui du comte Le Couteulx de Canteleu en trace en 1863 une brève histoire « depuis les temps les plus reculés » jusqu’à la Révolution française [i] (…) ces « sectes » seraient toujours potentiellement menaçantes. Inoffensives pendant un temps, elles deviendraient ensuite dangereuses (…). Les dirigeants de ces « sectes » utiliseraient celles-ci pour leur intérêt personnel, renverser l’ordre social à leur profit ou duper tout le monde pour se remplir les poches (…) La grande pépinière des adeptes de « sectes » seraient la franc-maçonnerie.

(…) En 1884, Léon XIII publie une encyclique, Humanum genus, condamnant le relativisme philosophique et moral de la franc-maçonnerie (…) les « sectes » emploieraient des artifices pour attirer les êtres humains. Puis ceux-ci seraient réduits à l’état d’« esclaves », en s’engageant à obéir aveuglément et sans discussion. La franc-maçonnerie, affirme Léon XIII, serait pour toutes les « sectes » « comme le point central d’où elles procèdent et où elles aboutissent » (…) Celle-ci serait « un poison qui circule dans les veines de la société et l’infecte tout entière » et contre la contagion duquel le Pape appelle tous les Catholiques à s’unir pour le faire disparaître. La « secte » des francs-maçons, en forte progression depuis le XVIIIe siècle, aurait envahi tous les rangs de la hiérarchie sociale. Le Pape la qualifie de « criminelle », car son objectif serait de « détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes » pour lui en substituer une nouvelle, façonnée par le naturalisme.

(…) Un abbé du Gard, Barnier, continue à déployer vingt ans plus tard, en 1906, l’argumentation de l’encyclique de Léon XIII, dans un livre contre les sectes[ii] (…). La pire d’entre elles serait toujours la franc-maçonnerie, « le résidu de toutes les anciennes hérésies, le confluent de toutes les sectes hostiles à l’Eglise et à la société chrétienne, une débauche d’orgueil et d’impiété[iii] ». Les « sectes », explique encore Barnier, se multiplieraient comme des mites à mesure que le corps social tomberait en dissolution ». 

Plus proche de nous, le temps de l’Occupation a également été une période sombre pour les francs-maçons : « Après les persécutions de Vichy, la franc-maçonnerie s’est refermée sur elle-même et n’a commencé à réapparaître dans le débat public que dans les années 1970 (…) » (ibid. Le Point, article d’Alain Bauer). 

Les principales obédiences françaises (pour donner quelques grands repères, source ibid. Le Point) 

Deux principaux courants peuvent être distingués : 

- Le courant libéral ou « adiagnostique » : les obédiences appartenant à ce courant prônent la liberté de conscience et ne font pas référence au « Grand Architecte de l’Univers » ; parmi elles : le Grand Orient de France (GODF, 50 000 membres), le Droit Humain (FFDH, 27 000 membres), la Grande Loge Féminine de France (GLFF, 13 000 membres), la Grande Loge Mixte de France (GLMF, 3 300 membres), la Grande Loge Mixte Universelle (GLMU, 1 200 membres). 

- Le courant traditionnel (Maçonnerie spirituelle) : les obédiences appartenant à ce courant font référence au « Grand Architecte de l’Univers » ; parmi elles : la Grande Loge Nationale Française (GLNF, 42 000 membres, proscrit les sujets religieux et politiques), la Grande Loge de France (GLDF, 33 000 membres, interdit les polémiques politiques ou confessionnelles mais autorise des exposés sur ces questions), le Grand Prieuré des Gaulles (GPDG, 1 000 membres, proscrit les sujets politiques et sociétaux), la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique (GLTSO, 3 800 membres), la Loge Nationale Française (LNF, 400 membres), la Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité (GLCS, 300 membres). Il existe également une Maçonnerie traditionnelle du métier et une Maçonnerie hermétique.  

La franc-maçonnerie dans l’opinion publique et les médias 

Si la roue a tourné pour les francs-maçons et qu’ils appartiennent désormais aux groupes influents de la France contemporaine, la suspicion dont ils ont été les victimes est toujours lancinante. Leur sont principalement reprochés une culture du secret et leurs liens avec le pouvoir. L’accusation d’être une secte est très souvent sous-entendue sinon formulée directement. 

A ce titre, le comportement des médias est assez semblable vis-à-vis de la franc-maçonnerie et des autres groupes qualifiés de « sectes ». Il s’agit pour eux d’un sujet marronnier (scoop, annonces fracassantes, amalgames etc.) : « Dans la presse magazine, lorsqu’on n’a plus rien à dire, on parle des francs-maçons, un ange passe, les loges défilent » (blog de Guillaume Erner sur France Inter). Avec cependant une nuance de taille : la franc-maçonnerie étant désormais respectée même si suspectée, elle peut publier dans la presse des articles de fond sur le courant de pensée qu’elle représente et même obtenir d’un magazine national qu’il publie un numéro hors-série sur ses textes fondateurs (ibid. Le Point). Les minorités spirituelles classées « sectes » par la MIVILUDES n’ont aucune chance d’obtenir un espace médiatique de ce type.

Quelques exemples de presse : 

- Rue89, 12 juillet 2008 – article intitulé : Féminisation : le Grand Orient, « secte repliée sur elle-même » ? (source). 

- L’Express, 11 octobre 2004 – article intitulé : Trente ans de dérives (La saga des francs-maçons de Montpellier) (source). 

- L’Express, 8 février 2004 – article intitulé : Les combines des francs-maçons (source). 

- L’Express, 19 février 2008 – article intitulé : Les francs-maçons et le pouvoir, « L'Express est en mesure de le révéler: Xavier Bertrand, l'un des ministres les plus en vue du gouvernement, appartient au Grand Orient de France. Une nouvelle illustration des liens entre la politique et la franc-maçonnerie » (source). 

- Challenges, 15 juin 2006 – article intitulé : L’ombre des loges maçonniques (source).  

- Nice Matin, 18 octobre 2008 – article intitulé : Alpes-Maritimes - François Stifani, grand maître : « Les dérives appartiennent au passé », « NM : Reste une impression de « secte » sinon de « réseau » qui peut faire problème ? FS : Nous sommes des libres-penseurs. Qui ne veulent formater aucun esprit. Pour y entrer il faut être parrainé. N'entre pas qui veut... » (source). 

- France Soir, 31 janvier 2009, interviewe Yvette Nicolas la grande maîtresse de la Grande Loge féminine de France : « FS : Que répondez-vous à ceux qui pensent que la franc-maçonnerie est une sorte de secte ? YN : Une secte, on y entre facilement et on sort moins facilement. La franc-maçonnerie, on y entre moins facilement et on peut la quitter du jour au lendemain ! » (source). 

- Nord Eclair, 1 février 2009, cet article se fait l'écho d'une conférence sur la franc-maçonnerie dont un des intervenants est Yves-Max Viton, ancien grand maître de la Grande Loge de France, qui précise : « Pour le profane, la franc-maçonnerie ressemble à une secte ou une société secrète emprunte de mystères et de rites, prompte à s'immiscer dans les affaires politiques par le biais de connivences occultes. Des idées répandues dont l'ancien Grand Maître (de 2003 à 2004) s'affranchit. Une secte ? « C'est tout le contraire ! Il est difficile d'entrer mais facile de partir » » (source). 

- Le Nouvelliste (Suisse), 12 novembre 2008, Maurice Badoux, bibliothécaire montheysan de la Loge Progrès et Vérité à Bex s’exprime : « Beaucoup de clichés circulent. Nous n'avons cependant rien d'une secte. Nos membres ne renient pas leurs croyances. On trouve des francs-maçons catholiques, protestants, musulmans, juifs » (source).

- Saint-Lô Maville, 13 juin 2009, trois loges du Grand Orient de France de la Manche s'associent pour une conférence : « Il y a eu des « pourris » chez les francs-maçons comme partout, admet Alain Mourot [GODF]. Mais moins qu'ailleurs. Nous ne sommes pas non plus une secte. C'est très facile d'entrer dans une secte et difficile d'en sortir. Chez nous, c'est le contraire. » (source). 

L’attitude (commentée) vis-à-vis des sectes de quelques obédiences 

Nous avons consulté les sites d’un certain nombre d’obédiences. 

Grand Orient de France (GODF) (source) 

La deuxième question de la foire aux questions du GODF est la suivante : « Est-ce une secte ? ». Cet empressement à se « disculper » montre combien le sujet est sensible. Réponse (extrait) : « Chez nous, point de « gourou » ou de parole révélée. N'entre certes pas qui veut, mais tous ceux qui veulent partir le font sans contrainte ». La question est donc évacuée en utilisant une argumentation stéréotypée signe d’un certain embarras. La mention d’une sortie facile de l’obédience pour répondre à l’accusation d’être une secte est une constante dans les différentes loges, nous y reviendrons. 

Le 25 Février 2008, le GODF s’est insurgé de la prise de position d’Emmanuelle Mignon, alors Directrice de Cabinet de Nicolas Sarkozy, qui a déclaré que les sectes en France était un « non problème » (source). GODF : « Cette prise de position est inacceptable si elle se révèle exacte. Les sectes inscrites sur la liste de 1995 par la Commission Parlementaire et en particulier l'Eglise de Scientologie, ne peuvent être considérées comme des cultes, car leurs pratiques, leurs idéologies, de nombreux témoignages ayant été réunis à cet égard, témoignent d'atteintes à l'intégrité des corps, ainsi qu'à l'intégrité des consciences. Toute évolution dans la politique du gouvernement de la République française quant à la modification des statuts desdites sectes ne peut être que dénoncée de la manière la plus ferme. Les Francs-Maçons du Grand Orient de France, quant à eux, ne l'accepteront pas. Ils demandent solennellement en tout état de cause que le gouvernement prenne une position très ferme contraire aux positions prêtées à Madame Emmanuelle MIGNON ».

Le GODF mentionne de « nombreux témoignages d'atteinte à l’intégrité des corps et des consciences » mais devrait plutôt rechercher les « preuves » pouvant justifier la politique antisectes française. Si les membres de cette obédience ont lu les rapports de la MIVILUDES et suivi les commissions d’enquêtes parlementaires sur le sujet (ce que le CICNS fait régulièrement et en détail), ils savent que ces preuves n’existent pas. Ils valident ainsi une politique discriminatoire d’ensemble basée uniquement sur quelques témoignages et des rumeurs, alors que les infractions commises par quelques individus pourraient être traitées par application du droit commun.  

Le Grand Orient (GODF), Le Droit Humain (FFDH), La Grande Loge Féminine de France (GLFF) et La Grande Loge de France (GLDF) « ont été reçues le 4 mars [2008] par le Président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré. Elles lui ont affirmé leur attachement au principe de laïcité et fait part de leur préoccupation quant à d’éventuelles modifications de la loi de 1905 et de la politique de lutte contre les sectes » (source). Le grand Maître du GODF s’est entretenu le 10 avril 2008 avec le président de l’Assemblée Nationale Bernard Accoyer pour affirmer que « toute atteinte aux dispositions de la loi de 1905, même de manière réglementaire, serait une remise en cause du principe de laïcité, inacceptable ». « Suite au questionnement du Grand Maître, le Président de l’Assemblée Nationale a manifesté l’importance qu’il attachait à la « MIVILUDES » et à la lutte contre les sectes. Le Grand Maître du Grand Orient de France s’en est félicité ».

Il est surprenant de voir que ces personnes représentatives aient pu parler de la « lutte contre les sectes » alors que depuis 2002 la France lutte contre les « dérives sectaires », à moins qu’elles n’aient jugé cette hypocrisie de langage superflue et réservée à certains discours officiels de la MIVILUDES et du Premier Ministre dont cette mission dépend. 

Le GODF déclare dans sa section « Nos valeurs », qu’il « est (…) attaché à la liberté absolue de conscience qui est garantie par la laïcité des institutions ». Selon l’historien Jean Baubérot, la laïcité française a une fâcheuse tendance à se transformer en religion civile (Jean Baubérot, Une laïcité interculturelle, éditions L’Aube). Une laïcité qui prend des allures de dogme intangible et rigide servie par des clercs en charge d'expulser l'hérésie. Le GODF précise dans sa section « initiation » : « La fraternité maçonnique dont la loge est le creuset doit être un lieu de questionnement et de débats entre des hommes de bonne volonté quelles que soient leurs croyances. Dans cette perspective, une confrontation des différences qui vise à comprendre ce qui fait l'unité de l'homme est l'une des clefs de l'initiation ». Si les mots ont un sens, l’activisme antisectes du GODF est l’antithèse d’une démarche « de questionnement et de débats entre des hommes de bonne volonté quelles que soient leurs croyances ». 

Grande Loge Féminine de France (GLFF) (source) 

Le 9 mars 2009, la GLFF associée au GODF et à la FFDH a cosigné un communiqué de presse intitulé « Déclaration concernant les mouvements sectaires ». Ce communiqué souscrit donc à une autre hypocrisie de la lutte antisectes française qui consiste à renommer les « sectes » en « mouvements sectaires » pour laisser entendre que ce ne sont plus les groupes en tant que tels qui sont visés mais bien les dérives sectaires. Pourquoi sinon ne pas avoir intitulé le communiqué : « Déclaration concernant les dérives sectaires » ? Ce communiqué, qui semble tout droit importé d’une association antisectes, entend mettre en place une mission de vigilance commune sur le phénomène sectaire (source).  

Il précise en introduction : « Les Franc-maçonnes et les Francs-maçons de la Franc-Maçonnerie adogmatique sont les premiers défenseurs de la liberté de conscience, et adversaires de toutes les entreprises de dérives sectaires qui, par des pratiques de manipulation mentale, ont pour objectifs de pervertir les esprits par la séduction, l’emprise psychologique, l’asservissement, la perte de liberté, à des fins de recherche de pouvoir et d’enrichissement ».

La notion de manipulation mentale est qualifiée de concept pseudo-scientifique par un grand nombre de chercheurs (voir, par exemple, Misunderstanding Cults, édité par Benjamin Zablocki et Thomas Rubbin). Elle est une appréciation subjective extrêmement délicate à manier qui est pourtant utilisée sur un mode simpliste et accusatoire totalement antidémocratique : les personnes faisant un choix de vie alternatif non conforme à l’opinion dominante sont considérées irresponsables car manipulées par des gourous « laveurs de cerveau » criminels. Cette supercherie intellectuelle qui s’exerce de plus au nom de la liberté de pensée et de conscience est, comme le suggère le sociologue Arnaud Esquerre, un des « dispositifs du pouvoir sur le psychisme » (Arnaud Esquerre, La manipulation mentale – Sociologie des sectes en France, Éditions Fayard). L’accusation de « manipulation mentale » est la version laïque du vade retro satanas d’antan, un anathème irréfutable car invérifiable, lancé au visage de ceux qui dérangent. Les signataires du communiqué ont la mémoire courte : Arnaud Esquerre cite Emile Poulat (ibid.) analysant le climat entourant la franc-maçonnerie au cours des siècles : « La franc-maçonnerie (…) c’est la « Secte » (...) agissant pour le compte de Lucifer - Satan, le Malin, le Mauvais -, l'ange révolté, le Prince de ce monde qui lève contre Dieu l'étendard de la révolte ». (Voir également notre dossier sur la manipulation mentale). 

Le communiqué ajoute que : « Se pose alors la question de savoir comment, dans le respect des valeurs républicaines, lutter efficacement contre ces mouvements. La seule manière possible est la seule référence à la loi. La violation de la loi doit être le critère à partir duquel les actes du mouvement sectaire peuvent être considérés comme délictuels et susceptibles d’être réprimés ».

Si les signataires sont sérieux dans cette affirmation, ils peuvent donc dissoudre leur mission de vigilance puisque les condamnations pénales et administratives prononcées à l’encontre desdites « sectes » sont en nombre infime et ne peuvent en aucune manière justifier l’arsenal de lutte déployé en France. Cette prise de position ressemble à une hypocrisie supplémentaire consistant à présenter une action conforme aux règles d'un Etat de droit (dans lequel le trouble à l’ordre public est sanctionné par des décisions de justice) tout en diffusant une propagande antisectes s’appuyant sur des jugements de valeur et de goût, voire une évaluation des doctrines (voir notre interview du sociologue Raphaël Liogier). Un des souhaits affiché des deux derniers présidents de la MIVILUDES est en effet de sortir la lutte contre les sectes du seul champ pénal. 

La Grande Maîtresse de la GLFF précise dans son éditorial : « (…) nous affirmons deux principes sacrés : Tolérance et Laïcité. La tolérance n’est pas le refus de la confrontation des points de vues mais simplement le respect absolu de l’Autre - notre sœur, notre frère - dans son existence, sa parole et ses croyances » (source). Comment peut-on appeler « respect absolu de l’Autre » la campagne de discrimination, qui vise des centaines de milliers de personnes honnêtes et sincères membres de minorités spirituelles labellisées « sectes », à laquelle participe la GLFF ? 

Droit Humain (FFDH) (source) 

Le Droit Humain n’est pas disert sur le thème des sectes (sur son site tout du moins) mais nous avons vu plus haut qu’il s’est associé à plusieurs actions de lutte contre les sectes. 

Grande Loge Mixte de France (GLMF) (source) 

La GLMF a créé en interne une Commission de Lutte Contre les Sectes (CLCS) : « Cette commission travaille en partenariat avec plusieurs représentants d'autres Obédiences de la Franc-Maçonnerie Française. A ce jour la Grande Loge Mixte de France a constitué sur ce sujet un fonds documentaire » (source). La GLMF lutte donc contre les sectes comme les associations antisectes et participe ainsi à la politique d'ostracisation des minorités spirituelles. 

Grande Loge Nationale de France (GLNF) (source) 

Nous n’avons pas trouvé de référence à la question sectaire sur le site de la GLNF, ce qui semble cohérent avec leur choix de proscrire les sujets politiques et religieux. 

Grande Loge de France (GLDF) (source) 

La question n°9 de la foire aux questions de la GLDF est la suivante : « Quelle est la position de la Grande Loge de France vis-à-vis des sectes ? » Réponse (extrait) : « D’une façon générale les sectes visent à couper leurs adeptes de leur milieu (familial, professionnel, relationnel, etc. ) pour les insérer dans une culture et à s’approprier d’une façon ou d’une autre leurs revenus - ou des éléments de leur patrimoine - tout en leur inculquant des pseudo savoirs, dogmatiques et déconnectés du réel, faits de fausses évidences irrationnelles non discutables, présentés comme des vérités et imposés par des gourous - souvent autoproclamés - exerçant un pouvoir de fascination sur des membres dont ils souhaitent abolir tout esprit critique. Comme l’actualité le prouve tous les jours : il est plus facile d’entrer dans une secte que d’en sortir » (source).

Il suffirait d’échanger quelques mots dans cette réponse et dans certains passages du communiqué GLFF-GODF-FFDH, pour obtenir une diatribe similaire à celle du pape Léon XIII et de l’abbé Barnier à l’encontre de la franc-maçonnerie. Les mêmes accusations infondées et la même haine sont véhiculées dans les deux cas. 

Dans un article du Journal n°73 de février 2007 (Les chantiers de la Grande Loge de France) il est écrit : « Il faut être très attentif, y compris en France, aux dérives que l'on peut qualifier de sectaires pour celles de ces « obédiences » dont les valeurs et les références sont loin de la Franc-maçonnerie. Le Grand Maître a pris l’initiative de faire participer la Grande Loge de France à la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les dérives sectaires. Contrairement aux principales obédiences, nous n’y étions pas représentés. C’est maintenant chose faite et trois Conseillers Fédéraux participent aux travaux et au devoir de vigilance que nous devons assumer ».

 

Si les références maçonniques des principales obédiences, fortement impliquées dans l’action de la MIVILUDES, sont perçues comme la référence unique, en comparaison de laquelle toute autre référence est considérée comme une dérive sectaire, on comprend mieux la politique de dénigrement tous azimuts de la mission interministérielle à l’encontre des nouvelles formes de la spiritualité.

Le jeu pervers des critères de dérives sectaires 

La plupart des obédiences se sortent de l’accusation d’être une secte en précisant : « Nous ne sommes pas une secte car, chez nous, il est difficile d’entrer mais facile de sortir, le contraire d’une secte ». 

Soulignons à nouveau la confusion volontairement entretenue par la MIVILUDES et une partie des parlementaires, entre la « lutte contre les sectes » et la « lutte contre les dérives sectaires », confusion qui est une aubaine pour les structures s’affichant comme antisectes.  

La MIVILUDES liste sur son site les principaux critères de dérives sectaires : a) la déstabilisation mentale ; b) le caractère exorbitant des exigences financières ; c) la rupture avec l’environnement d’origine ; d) l’existence d’atteintes à l’intégrité physique ; e) l’embrigadement des enfants, le discours antisocial, les troubles à l’ordre public ; f) l’importance des démêlés judiciaires ; g) l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ; h) les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics (source). 

La réponse standard des obédiences maçonniques correspondrait grosso modo au critère c). Pourtant rien ne dit que l’implication d’un frère dans une obédience ne pourrait être vécue comme déstabilisante par ses proches. La réponse fournie est donc superficielle et prend de plus pour acquis qu’un seul critère serait suffisant pour décider du caractère sectaire d’un mouvement, ce que même la MIVILUDES ne dit pas. Analysons quelques autres critères. 

b) le caractère exorbitant des exigences financières :

Sophie Coignard, journaliste au Point, écrit : « Les grandes obédiences sont devenues d’énormes machines qu’il convient d’alimenter. Leurs dirigeants sont habitués à un certain train de vie. La bonne représentation exige de nombreux voyages à l’étranger. Tout cela coûte cher. Or chaque nouvel adhérent apporte une nouvelle cotisation. « Il suffit de faire la multiplication, dit un membre de la GLNF assez critique sur la croissance à tout prix. Quarante mille fois 400 euros de capitation égale 16 millions d’euros. À cela s’ajoute les écots payés pour participer aux ateliers supérieurs ou à diverses loges d’apparat telles que l’Arche Royale ». Ce calcul vaut pour les autres obédiences » (Le Point, 22 janvier 2009).

« (…) Les instances de la GLNF ont suscité l’indignation, il y a quelques années, en souhaitant rassembler dans une même loge tous les indigents. « Un atelier ‘lumpen proletariat’ où l’on parque les pauvres, avec cotisation réduite et considération minimum, il fallait y penser ! » tonne un ancien haut gradé, parvenu au 33e degré, qui a claqué la porte voici quelques années » (Sophie Coignard, Un Etat dans l’Etat – Le contre-pouvoir maçonnique, éditions Albin Michel).

La majorité des minorités spirituelles qualifiées péjorativement de « sectes » vivent sur un train de vie sans comparaison avec celui de la franc-maçonnerie ; elles sont néanmoins systématiquement accusées d’extorquer des fonds à leurs membres : « (…) les systèmes sectaires ont souvent la tentation, on le constate, de coupler leurs activités d’emprise sur les individus avec diverses fraudes destinées à rendre l’ensemble encore plus lucratif : travail illégal, fraude fiscale, fraudes aux diverses allocations et aux aides publiques notamment » (rapport 2008 de la MIVILUDES, p. 168 - source). Il semble donc y avoir deux poids et deux mesures dans la façon d’apprécier le rapport à l’argent. 

f) l’importance des démêlés judiciaires :

Les démêlés judiciaires impliquant des francs-maçons et sur lesquels pèsent des soupçons d’influence sont légions. Même en mettant un bémol à l’outrance médiatique lorsqu'elle rapporte ce type d'affaires, il n’est pas possible de dire qu’il s’agit d’un « non problème ». Le livre d’Eric de Mongolfier l’atteste (Le devoir de déplaire, éditions Michel Lafon). Alain Bauer (ancien Grand Maître du GODF) précise : « Certes, il y a des gens qui entrent dans la Maçonnerie et qui en profitent. C’est humain : quelle organisation de 150 000 membres peut-elle prétendre à une honnêteté sans faille ? Le problème de fait, n’est pas de nier ces affaires, mais de se débarrasser des maçons malhonnêtes » (ibid., Le Point). Ces propos sont censés et il est regrettable que cette hauteur de vue ne s’applique pas dès lors auxdites « sectes », qui, pour la plupart, n’ont aucune condamnation au tribunal pénal ou administratif mais qu'on peut sereinement envisager de dissoudre pour faute commise par un seul membre. 

g) l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels :

Sophie Coignard (ibid.) donne des exemples de liens entre élus locaux et francs-maçons permettant à ces derniers l’accès avantageux, préférentiel, voire illégal à de l’immobilier public ou non (exemples p. 45, p. 83, p. 140). Ces exemples sont suffisamment nombreux pour susciter de naturelles interrogations. 

h) les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics :

Sophie Coignard (ibid.) illustre également parfaitement le lobbying franc-maçon dans les sphères de pouvoir. Certes, le terme « infiltration » a une connotation péjorative réservée plutôt aux groupes qui déplaisent. Mais il ne fait pas de doute (même en tempérant l’emballement médiatique) que le lobbying franc-maçon ne va pas toujours dans le sens du bien commun. Alain Bauer constate : « Avant 1939, 60 % des parlementaires étaient maçons (…) Mais il n’y a aujourd’hui qu’environ 10 % de parlementaires francs-maçons en France. Alors dire qu’elle [la franc-maçonnerie] est un Etat dans l’Etat… » (ibid. Le Point). Ces propos sont à rapprocher des accusations d’infiltration à l’encontre desdites « sectes », proférées sans le moindre commencement de preuve. 

Au moins trois critères de dérives sectaires seraient applicables à certaines loges maçonniques. Pour ceux qui, indignés devant cette affirmation, contesteraient la pertinence des sources proposées, qu’ils se rappellent un point important : il suffit désormais à la MIVILUDES d’une simple présomption de possible dérive sectaire dans un groupe (sur la base des critères ci-dessus), pour l’inscrire dans son nouveau référentiel des sectes. C’est cette pratique déplorable que des loges citées plus haut soutiennent. 

L’exercice précédent d’application des critères de dérives sectaires à la franc-maçonnerie illustre à nouveau leur inanité : applicables à n’importe quel groupe humain de façon arbitraire et subjective, ils sont utilisés pour accuser ou se disculper dans un contexte où la rumeur tient lieu de preuve et la psychose de moyen de communication.  

Quelle est la motivation réelle de la franc-maçonnerie dans son positionnement contre les sectes ? 

Il est désolant de voir des hommes et des femmes censés avoir une conscience historique aiguisée, adopter des comportements discriminatoires dont ils ont été eux-mêmes les cibles par le passé. Derrière les déclarations incantatoires sur l’attachement à la liberté de conscience, aux valeurs de la République, à la laïcité, d’autres raisons apparaissent dont nous citons quelques-unes comme pistes de réflexion.  

La paresse intellectuelle devant la pensée unique 

Devant l’avalanche d’informations et de désinformations dont nous sommes la cible journellement et la multiplicité des sujets qui mériteraient une attention soutenue, il est parfois plus reposant de se laisser porter par l’opinion dominante. Le thème des sectes appartient à la pensée unique : « Les sectes sont de plus en plus nombreuses et sont les ennemis de la République, il faut les combattre ». Cette évidence n’est même plus discutable, alors pourquoi questionner une cause juste ? Notre site est pourtant suffisamment documenté pour contredire cette évidence. Les loges, qui sont un lieu de réflexion, ne devraient pas passer à côté d’une information contradictoire. 

Les deux Frances sur le dos des minorités spirituelles 

Les Frances cléricale et anticléricale se sont fait la guerre pendant des décennies. Selon Jean Baubérot, ce conflit s’est apaisé au moment du vote de la loi de 1905 ; mais une rancœur rentrée qui ne pouvait plus se déclarer ouvertement, s’exprime désormais en accablant les minorités spirituelles transformées en boucs-émissaires. Les deux courants principaux de la franc-maçonnerie (traditionnelle, libérale) ne sont pas sans rappeler les deux Frances. Il est de notoriété publique que certaines associations antisectes ont des responsables francs-maçons qui utilisent le climat d'intolérance français pour régler leur compte aux nouvelles spiritualités, soit qu’ils soient attachés à des valeurs spirituelles traditionnelles, soit qu’ils aient tendance à confondre laïcité et athéisme. La France n’a par ailleurs jamais fait preuve d’une grande tolérance face à la diversité spirituelle (voir le livre de Raphaël Liogier, Une laïcité « légitime » - La France et ses religions d’Etat, éditions Entrelacs). 

Le stigmatisé devenu « stigmatiseur » 

Y aurait-il une tentation pour d’anciens stigmatisés de croire se protéger plus efficacement en stigmatisant autrui, une fois la bonne fortune revenue ? Régis Dericquebourg présente sur son site une synthèse sur le thème de la stigmatisation : « Selon Festinger, les stigmatisés se comparent mutuellement. Quand la comparaison leur est favorable, l’estime de soi se renforce. En dévalorisant à son tour des porteurs de stigmates les plus saillants, le stigmatisé rejoint la perception des gens «normaux» » (source). 

Une élite au pouvoir et qui souhaite s’y maintenir 

Si l’élite de notre pays ne se confond pas avec la franc-maçonnerie, une très large partie de la franc-maçonnerie fait partie de l’élite : « (...) la franc-maçonnerie a fédéré une élite. Elément incontournable de sa fondation, cette caractéristique a été niée au fil des ans. D’une part, confirmer ce recrutement élitiste reviendrait à reconnaître l’existence d’un réseau d’influence. D’autre part, de nombreux frères et sœurs qui occupent les fonctions de vénérables, notamment au Grand Orient, à la Grande Loge de France, à la Grande Loge Féminine de France ou au Droit Humain, ont sincèrement à cœur de diversifier leur recrutement » (ibid. Sophie Coignard) .

Selon Noam Chomsky, l’élite est au service du pouvoir car elle cherche à maintenir son statut d’élite : « C’est très important pour les intellectuels de se mettre en rang au service de l’Etat ». Il ajoute : « Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements » (source : Chomsky & compagnie – pour en finir avec la fabrique de l’impuissance, un film d’Olivier Azam et Daniel Mermet). Il n’est donc pas surprenant que cette élite soit aux première « loges » pour discréditer aux yeux du public les éléments qui prônent un changement parfois profond de la société. La « diabolisation » des minorités spirituelles s’inscrit dans cette démarche manipulatrice, puisque celles-ci peuvent être sources de choix de vie alternatifs « dérangeants ». Voir un article de Maurice Duval : Le discours antisecte comme support de l'idéologie néolibérale. Voir également le livre de Nathalie Luca, Individus et pouvoirs face aux sectes, éditions Armand Colin.

Le constat d’une connivence entre l’élite et le pouvoir n’empêche pas de voir les loges comme des sources de progrès, mais il est probable que les avancées obtenues soient celles permises par ce « pouvoir » en place. Il convient alors de s’interroger sur les moyens utilisés par ce pouvoir pour lutter contre des forces de changements qui le dérangent mais qui de toute façon répondent à des mouvements de fond de la société que personne ne maîtrise. Clairement, la lutte contre les sectes en France ne respecte plus aucune des règles démocratiques sur lesquelles pourtant les acteurs antisectes prétendent s’appuyer pour s’auto-justifier.

Un autre aspect de l’exercice du pouvoir est présenté par Anne Morelli. Les courants spirituels et philosophiques traditionnels se partagent un gâteau financier et médiatique. Les nouveaux entrants comme les minorités spirituelles sont considérés comme des concurrents mal venus dont il est préférable de se débarrasser. 

La franc-maçonnerie comme acteur responsable du débat sur la question sectaire 

Dans un article intitulé « Pourquoi devenir maçon ? » (ibid. Le Point), Michel Maffesoli considère que « l’importance réelle de la franc-maçonnerie est moins de l’ordre du pouvoir temporel que de la puissance spirituelle. (…) [L’ordre maçonnique] est le symbole d’une fraternité secrète parcourant le corps social. Et si, sous des noms divers, il a attiré, et continue d’attirer, c’est qu’il exprime en majeur un « ordre d’amour », celui de la Fraternité, véritable ciment sociétal. (…) c’est un apport essentiel de l’Ordre maçonnique que de considérer que nous sommes tous des apprentis de la vie. Et nos essais, nos erreurs, nos qualités et nos défauts ne font qu’exprimer un tel apprentissage ». (voir également notre interview de Michel Maffesoli). 

Les francs-maçons sincères qui partagent cette vision dans leur vie quotidienne ne peuvent pas souscrire à la lutte antisectes telle qu'elle est menée en France et telle qu'elle est soutenue par les principales loges. Ils peuvent devenir des interlocuteurs « inspirés » dans le débat sur la place des minorités spirituelles en France, mais cela suppose de remettre à plat leurs prises de position officielles actuelles. Un bon début serait de prendre connaissance de l’information présentée sur notre site et de partir de l’hypothèse suivante : les minorités spirituelles sont des groupes humains comme les autres dont l’évaluation doit s’inscrire dans le cadre du droit commun et dans une démarche de connaissance ouverte et respectueuse. C’est la direction que nous avons donnée à notre projet d’Observatoire des minorités spirituelles indépendant.



[i] Le Couteulx de Canteleu Jean Baptiste Emmanuel Hector, Les sectes et Sociétés secrètes politiques et religieuses : essai sur leur histoire depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Révolution française, Paris, Didier et compagnie, 1863.

[ii] Barbier Charles, Contre les sectes et les erreurs qui nous divisent et nous désolent. Démonstrations et réfutations, Paris, Vitte, 1906.

[iii] Ibid, p. 270.

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