La peur des sectes

par Duhaime (Jean), Saint-Arnaud (Guy-Robert)

Montréal, Fides, 2001.

L'ouvrage dirigé par Jean Duhaime et Guy-Robert Saint-Arnaud publie les actes d'un colloque tenu à l'ACFAS en 2000. Le titre, La peur des sectes, situe d'emblée le propos de l'ouvrage et l'axe dans lequel il s'effectue. Il s'agit résolument de sortir des sentiers battus en proposant un regard croisé entre la perspective scientifique et la perspective sociale. Ce n'est donc pas une simple formulation de ce que sont et de ce que font les sectes dans une perspective scientifique mais bien un aller retour entre objet scientifique et question de politique publique. Ce n'est pas la seule qualité de cet ouvrage que d'avoir risqué cet audacieux pari.

Le débat autour des "sectes" constitue la première partie de l'ouvrage. Jean-François Mayer - spécialiste de la question - retrace les enjeux des études sur les sectes à mi-chemin entre la sécurité publique et l'étude scientifique. La réflexion sur la place du chercheur scientifique par rapport à l'usage politique ou judiciaire de ses travaux et de son expertise sur les sectes contribue à une réflexion beaucoup plus large sur la place du scientifique dans la société. Et c'est le second tour de force de cet ouvrage. Réussir, à partir d'un sujet très ciblé, à entreprendre une réflexion plus globale sur la place de la science dans la société.

Cet article introductif cède la place à l'un des enjeux majeurs des sectes celui de leur place dans les médias. Cette seconde partie, composée de trois textes, aborde diversement la question. La contribution de Benjamin-Hugo Leblanc resitue la question à travers les médias français. Il tente de montrer que les médias français focalisent sur les aspects dangereux des sectes. Le propos pêche cependant par son manque de positionnement entre la dimension théorique - où l'auteur cherche à nous dire comment les médias français devraient traiter les sectes - et une approche plus empirique qui réaliserait une analyse de contenu solide, seule base de scientificité selon nous. "Curieusement", l'article d'Alain Bouchard, semble répondre à ces interrogations en offrant une analyse de contenu médiatique à propos du Mouvement raëlien. Il montre comment le discours sur les raéliens est construit par les médias et comment ces dernières metaphorisent le mouvement. La réflexion finale sur la nature de la secte - porteuse de valeurs contre sociétales car non valorisées dans la société - offre des pistes de réflexion stimulantes. Le texte de Christian Saint-Germain propose pour clore cette partie, une réflexion philosophique sur les rapports tissés entre les sectes et les médias. "L'allergie aux sectes et l'éthique de la situation minoritaire" remet en perspective la question les sectes un danger ? En cherchant à inverser le propos. Selon l'auteur l'existence des sectes témoigne de la vitalité démocratique d'une société. La critique des médias devient dès lors assez vive dans la mesure où elles stigmatisent les sectes comme l'incarnation du mal. Et l'auteur de conclure sur la prudence nécessaire en la matière.

Religions minoritaires et risques pour les personnes forme la seconde partie de l'ouvrage. L'approche de cette partie est plutôt psychologique. Les différentes interventions cherchent à évaluer le danger des sectes pour la personnalité humaine. Le psychanalyste Pierre Pelletier propose une réflexion sur les gourous et les maîtres. Il distingue les "bons" gourous des "dangereux". Devant cette diversité et la complexité du phénomène sectaire, l'auteur incite à la réalisation d'une analyse scientifique prudente. Dianne Casoni montre quant à lui que les "dérives sectaires" reposent toutes sur un mécanisme proche constituant en quelque sorte un idéal-type de la secte non sur un plan sociologique mais dans l'ordre du psychologique. Ces clés de lecture permettent d'aborder le chapitre sur "L'aliénation ou l'atypie du groupe sectaire" avec davantage de sérénité. La réflexion sur les mécanismes d'aliénation proposée par Céline Castillo montre que tout se définit à partir du point noeudal de la liberté du sujet. Ce thème est, d'une certaine manière, repris dans la contribution de Guy-Robert Saint-Arnaud mais l'insistance est mise ici sur la relative incapacité de la psychanalyse à faire accoucher les pathologies sectaires.

Les sectes et les risques pour les institutions forme la troisième partie de l'ouvrage et revient sur des dimensions plus sociologiques. Martin Geoffroy et Jean-Guy Vaillancourt proposent une étude sur les groupes catholiques extrémistes. C'est donc toute une réflexion sur la dimension sectaire au sein de l'Eglise qui est proposée ce qui rejoint l'un des débats classiques - mais toujours d'actualité - de la sociologie de la religion. A travers l'observation de groupes catholiques Québécois, les auteurs montrent bien les limites de la routinisation que l'Eglise catholique peut entreprendre pour les "normaliser". Mais il prouvent aussi que ces groupes catholiques "sectaires" le sont aussi par leur contestation des valeurs de la modernité. L'étude de Jean Duhaime est, quant à elle, des plus originales par son objet. "Diversité religieuse et risque sectaire dans les forces armées canadiennes" montre qu'une diversification des options religieuses est en cours dans l'armée et qu'il n'est pas exclu que les religions minoritaires et les groupes sectaires y soient davantage représentés dans les décennies futures. Toutefois, les risques sectaires sont peu élevés en raison notamment de la manière dont l'armée balise toutes les formes d'expression des convictions religieuses. L'article d'Alexandru Gurau porte sur la situation politique des sectes en Roumanie. Sous le régime communiste les sectes ont été combattues de manière virulente. Les stratégies, développées par l'Etat communiste, consistent à les marginaliser en les qualifiant d'obscurantisme et de rétrogrades et en insistant sur la pathologie sociale qu'elles représentent. L'auteur conclut cependant sur les changements actuels rapides en Roumanie et sur la nécessité de poursuivre ces études sur les "sectes" car elles peuvent servir de "révélateur" des changements sociétaux. Un aperçu juridique ne pouvait que clore cette partie. Elisabeth Campos se penche sur le droit pénal français en la matière. L'auteure montre que le droit français est plus nuancé en la matière qu'il n'y paraît a priori. Les actes judiciaires et les décisions rendues tiennent compte des situations délictueuses de certaines sectes, ce qu'il convient de condamner. Mais l'apport principal de ce texte selon nous est d'inciter à la prudence. Le droit français juge les "sectes" au cas par cas en se gardant bien de mettre en oeuvre une politique publique généralisatrice. Ceci permet de conclure que cette manière de procéder rend justice aux "sectes" non dangereuses en leur assurant une liberté juridique fondamentale.

L'ouvrage se termine en rendant la parole à Jean-François Mayer. Sur l'avenir de la recherche sur les "sectes" il préconise de développer l'interdisciplinarité qui, nous l'avons montré dans ce compte rendu, est très fructueuse dans l'analyse du phénomène. Au total, ce livre a le mérite d'ouvrir de nombreuses pistes de réflexions en décloisonnant les disciplines et en bousculant les normes établies. Ce n'est pas le moindre mérite d'un ouvrage scientifique dont on peut recommander la lecture à toute personne soucieuse de savoir et éprise d'apports intellectuels variés.

KRISTOFF TALIN

Chargé de recherche CNRS

Professeur Invité UQAM

http://www.ccja-acjp.ca/fr/rccr/rccr37.html

REVUE CANADIENNE DE CRIMINOLOGIE ET DE JUSTICE PÉNALE

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