Sectes et Libertés

Par Samuel, jeudi 9 novembre 2006 à 15:56 :: Reflexion :: #192 :: rss

Une commission d'enquête sur les sectes s'est mise en place à l'Assemblée nationale le 28 juin dernier. Une de plus ! Les sectes ne sont pourtant pas un péril national imminent. C'est là un bien curieux tropisme, une lubie du Parlement français, avec derrière quelques députés qui tiennent ce sujet et ne lachent pas, comme un pittbull qui a planté les crocs dans sa victime. Parmi eux, on retrouve des noms tels que celui d'Alain Gest, déjà rapporteur d'une telle commission en 1996, où Jean-Pierre Brard, autre grand pourfendeur de sectes.

Ce sujet suscite des réactions vives, notamment de Jean-Arnold de Clermont. Dans un entretien paru dans Le Monde, il s'étonne de l'acharnement de certains et des risques de troubles causés par cette ènième commission d'enquête. Pour lui, elle est inutile et même contre-productive. Et surtout, elle vise la mouvance des protestants évangéliques, auprès desquels la Fédération Protestante de France mène depuis quelques années une "opération séduction" pour les intégrer à leur fédération. Le prochain président (sauf coup de théatre) sera d'ailleurs issu de la mouvance évangélique (mais très modérée). Le président de Clermont est dans son rôle de représentant du "lobby protestant" qui défend une partie de ses ouailles, justifiant par là même l'utilité d'une instance représentative ayant pignon sur rue et une certaine visibilité médiatique. Pour autant, sa démarche ne saurait se réduire à cela. Elle intègre aussi, et je dirais même prioritairement, une défense de la liberté de conscience et de culte, principe inscrit au coeur de notre constitution.

Sur le fond, je suis assez mal à l'aise avec cette question des sectes, et avec les positions qui motivent ces commissions parlementaires. Ils mettent en cause, insinuent mais n'osent pas attaquer frontalement, comme ils l'avaient fait en 1996 en publiant une liste noire. Cette fois ci, l'intitulé de la mission porte sur la protection des mineurs et de leur santé mentale. C'est plus subtil, mais c'est toujours la même logique, celle des associations de lutte contre les sectes, qui est à l'oeuvre. Pour eux, la secte est un groupement religieux qui isole les membres qui y entrent de leur entourage, les ruinent et finalement les brisent. Il faut donc lutter contre ses mouvements, et sortir les membres qui sont forcement "aliénés" et sous l'influence "néfaste" d'un gourou.

Bien entendu, il existe des groupements religieux dangereux, tels que la secte des davidiens de Waco ou celle du temple solaire, qui se terminent dans des bains de sang. D'autres sont plus pittoresques (mais pas forcement sans danger) tels que le Mandrom de feu Gilbert Bourdin ou les raéliens. Mais à coté de ces quelques cas finalement assez marginaux (bien qu'ultra-médiatisés), les autres mouvements tels que les Témoins de Jéhovah, cible récurrente des associations anti-sectes, ne sont pas à classer dans les sectes. Ce sont des mouvements religieux, qui peuvent susciter des réactions de rejet, par l'image très rigides et parfois peu compatibles avec nos normes d'occidentaux issus des Lumières qu'ils donnent. Je pense à la lecture très littérale de la Bible faite par les témoins de Jéhovah et certaines mouvances protestantes (pentecotistes et évangéliques). Il en découle parfois des pratiques qui nous heurtent, comme par exemple le refus de la transfusion sanguine.

A partir du moment où nous postulons comme base de notre société la primauté de l'individu et de ses choix, il faut accepter que certains fassent des choix très différents des notres. Une personne malade peut très bien décider de se laisser mourir, de refuser des traitements. Cela me rappelle le (beau) film "le temps qui reste" où Melvil Poupaud interprête le rôle d'un jeune homme, atteint d'un cancer généralisé, qui refuse la chimio et les traitements, qui selon lui le feraient souffrir sans pour autant le guérir. Quitte à mourir, autant vivre pleinement les derniers mois qui lui restent, autrement que sur un lit d'hôpital. Ce choix, exprimé ainsi, est compris et accepté. En serait-il de même si ce jeune malade avait justifié son refus de traitement pour des raisons religieuses ? Rien n'est moins sûr. Si certaines personnes refusent, en pleine connaissance de cause, les transfusions sanguines, pourquoi irais-je m'opposer à leur volonté.

Nous sommes dans une société qui se veut laîque et respectueuse de la liberté des cultes. Je ne vois pas en vertu de quoi les pouvoirs publics et le Parlement se mêlent ainsi de ce qui est une affaire privée. Chacun est libre, à condition de ne pas violer les lois, d'adopter les croyances et le mode de vie qu'il entend mener. Chacun est libre de choisir de rompre avec sa famille biologique pour entrer dans une autre "famille", dans laquelle il se sent mieux (avec la liberté de repartir s'il ne s'y plait plus). Si un groupe religieux commet des actes délictueux ou criminels, il est normal de sévir, mais je ne vois pas pourquoi certains, en l'absence de toute poursuite judiciaire, seraient ainsi pointés du doigt.

http://www.authueil.org/?2006/11/09/192-sectes-et-libertes

Haut de page


© CICNS 2004-2015 - www.cicns.net (Textes, photos et dessins sur le site)