L'affaire de l'Essentiel

Le 20 novembre 2000 à 6h du matin, une petite communauté spirituelle de l'Aveyron a dû subir l'assaut d'une soixantaine de gendarmes lourdement armés...

Un juriste : « Tout ce qu'ils avaient dans le dossier, au départ, c'est un stationnement de caravane interdit et un défaut de déclaration aux Assedic. Vous vous rendez compte qu'ils ont envoyé 60 gendarmes pour ça ! »

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Détails en bas de page....


En 1993, Magali Guérin et Olivier Manitara s'installent sur le Domaine de Terranova dans la région de Montlaur dans l'Aveyron pour y poursuivre leurs activités d'éditeurs, de conférenciers et d'écrivains dans le domaine de la spiritualité et de la philosophie. La maison d'édition Telesma édite aussi une revue : "L'Essentiel ".

Ayant acheté un domaine important parsemé d'habitations, ils décident d'exploiter ces dernières en location. Leurs locataires sont aussi venus chercher le calme loin du bruit des villes et de leur agitation.

1ère phase : Approche

Les gendarmes font de fréquentes visites pour prendre contact avec les nouveaux venus, pour "sympathiser", selon leurs propres termes. Ils parlent déjà, "en toute amitié", de la question qui les préoccupe : ont-ils affaire à une « secte » ? Ils sont parfois des visiteurs encombrants, mettant les stagiaires de passage un peu mal à l'aise, en leur demandant leurs papiers et la raison de leur venue. Ils poussent leur œuvre ambassadrice auprès des locataires jusqu'à s'enquérir de leur bien être et de leur identité.

Lors des jours de stages organisés à Terranova, ils n'hésitent pas à passer des heures en bordure de la route qui mène au domaine pour souhaiter la bienvenue et contrôler les papiers de tous les stagiaires. Olivier perd un peu de son calme quand les gendarmes lui demandent de leur communiquer systématiquement et régulièrement des informations sur ses locataires. Devant son indignation, les gendarmes prennent alors un ton moins aimable pour déclarer : "De toute façon, On vous veut pas ici... On va vous pourrir la vie. "

2ème phase : " Enquête "

Ils vont donc leur pourrir la vie avec, rapidement, l'ouverture officielle d'une enquête. Des gendarmes se dissimulent (mal) derrière des buissons pour les espionner. Ils font aussi quelques passages en hélicoptère. Hé oui, le budget " secte dangereuse " n'est pas celui de n'importe quel suspect ... Les contrôles s'intensifient. Une locataire sera contrôlée plusieurs jours d'affilée au sortir de chez elle (au cas ou elle aurait changé d'identité au cours de la nuit ?).

Les gendarmes se postent alors à l'entrée du domaine pour demander leurs papiers aux stagiaires et font des visites régulières dans les locaux de la maison d'édition sous des prétextes variés, contrôle de dépôt légal, de commission paritaire… Ils iront même jusqu'à rendre visite à certains locataires sur leur lieu de travail ou tout simplement signaler, à toutes fins utiles, à leurs employeurs : " Vous savez, Mlle X, votre employée, elle loge là-haut, où il y a le gourou avec sa secte... " Pas facile de prolonger un contrat dans ces conditions…

Cinq années s'écouleront de cette manière, faites de tracasseries diverses et de calomnies. Malgré cela, Olivier et Magali tiennent bon. On peut même dire que sur le domaine de Terranova, les activités sont prospères, malgré l'instabilité de l'emploi local et l'extrême convivialité des gendarmes qui a poussé certains locataires à regagner la ville et son agitation somme toute très relative.

3ème phase : L'assaut

« J'ai entendu des grands bruits », « Ils sont entrés chez moi en hurlant, m'ont aveuglé avec un projecteur » « J'ai juste pu discerner un homme avec un gilet pare-balles et un casque » « Ils m'ont frappé, ils m'ont tordu le bras, mis par terre, un pistolet sur la tête ».

A l'aube du 20 novembre 2000, 60 hommes armés, gendarmes et brigades spéciales de l'armée équipés de gilets pare-balles, de pistolets et de fusils, investissent les lieux en défonçant les portes et en hurlant… réveillant une dizaine d'adultes dont deux femmes enceintes et deux enfants.

Des hommes en pyjama, sans arme, sans aucun passé de combattant, sont jetés à terre et maîtrisés, une arme collée à la tempe. Q., 3 ans, est tenu en respect sous la menace d'une arme pendant que Magali, sa mère, est forcée de se déshabiller entièrement. Un des hommes passera toute la journée menotté dans le dos, avec les mains suffisamment remontées pour accentuer la sensation d'oppression et de malaise. Magali doit se battre pour que les enfants ne soient pas emmenés par la DASS comme cela était prévu.

Les locaux sont fouillés de fond en comble, mis à sac. " Il me faut tous les papiers de la secte" crie une gendarme. Tout le matériel informatique est confisqué, alors même que la brigade financière avait déjà fait une sauvegarde de tout ce qu'il contenait. Il s'agissait donc d'une brimade " gratuite " visant à empêcher l'entreprise de fonctionner.

Scénario de film noir (1) ? Non, la réalité du réveil cauchemardesque de paisibles citoyens français dont cinq ans de surveillance policière n'avaient montré que le caractère inoffensif et non violent. Nous décrivons donc bien ici les phases d'un procédé de destruction intentionnel d'une entité supposée dangereuse et non d'un processus équitable d'enquête.

4ème phase : procédures juridiques

(Garde à vue, emprisonnement à domicile, instruction, procès, appels.)

48 heures de garde à vue : cela veut dire que l'on est emmené à la gendarmerie, que l'on dort en cellule, que l'on est interrogé pendant des heures et des heures, de manière intentionnellement répétitive et orientée vers un seul but, faire répondre le cas présent aux critères types d'une " secte dangereuse ".  

Olivier Manitara, considéré comme le leader, est donc interrogé sur ses convictions religieuses pendant des heures. " Est-ce que tu es un fils de Dieu ? Est-ce que tu es un fils de Dieu ? " lui martèle l'enquêteur. Ce dernier, pris par le doute, finit cependant par confier qu' " on l'avait pas préparé à ça, qu'il s'attendait à un véritable gourou et qu'il trouve cette affaire pas nette ! ". Il montre même à Olivier, sur son ordinateur, un montage vidéo qui a servi à la préparation des gendarmes et dans lequel on voit Olivier flotter dans les airs sur un tapis volant avec en fond la musique du joueur de flûte de Hamelin, conduisant les rats hors de la ville.

Garde à vue

Les autres personnes arrêtées se voient offrir deux rôles " victime du gourou " ou " complice d'une dangereuse secte internationale " et " il faut bien répondre, sinon Mme le juge ne va pas être contente ! " Certains avoueront plus tard avoir dit n'importe quoi sous la pression exercée.

Au cours de la fouille du domaine, le matin de l'attaque, les enquêteurs spécialement instruits avaient traqué les signes dénonciateurs de la présence d'une secte : autel de prière, bougies, lieu de cérémonies rituelles. Ils seront déçus de ne trouver dans les cendres d'un feu de camp que les restes …d'un festin de pommes de terre.

Mme le juge d'instruction de Millau reçoit Olivier et Magali à l'issue de leur garde à vue pour leur signifier qu'elles les met tous les deux en prison. Olivier et Magali assistent alors à une violente altercation entre la juge d'instruction et le procureur de la république qui s'oppose au fait qu'on mette en prison " des gens à qui on n'a rien à reprocher "… La prison est commuée en assignation à résidence assortie d'une interdiction de parole, d'écrits et d'avoir une activité professionnelle. Les comptes bancaires personnels d'Olivier et Magali sont bloqués, argent confisqué, pointages obligatoires à la gendarmerie…

L'issue de la prison était prévue dés le début de l'opération, les mandats de dépôt ayant été signés avant même le début des interrogatoires.

L'appareil judiciaire dont on oublie même de respecter les rouages officiels est donc clairement réduit au rôle d'un outil de répression.

On imagine sans peine le désarroi, le sentiment d'impuissance qui peut s'emparer des membres de la petite maison d'édition au lendemain de ces faits.

" …8 mois d'emprisonnement à domicile, enceinte avec mes deux enfants, sans revenus, me débrouillant comme je pouvais, par courrier, pour essayer de trouver des ressources " " On m'a même refusé les resto du cœur… "

Pourtant Olivier, Magali et l'équipe qui les entoure vont petit à petit redresser la tête. Ils équipent à nouveau les bureaux en informatique et confient la gestion aux personnes qui ne sont pas frappées de l'interdiction de travail. Ils parviennent à remonter la pente, du moins pour ce qui est de la viabilité de l'entreprise. Au grand désarroi de Mme le juge.

Au cours de l'instruction, les gendarmes vont parcourir la France, visitant les clients et partenaires de la maison d'édition, ou leur envoyant des dossiers, non pas pour poser des questions, mais pour affirmer que " Olivier Manitara est un escroc, il a des comptes en Suisse, des maisons au Québec et en Amérique, c'est le gourou d'une secte, les gens se prosternent à ses pieds lors de ses conférences…". Tous ces faits étant, bien entendu, un pur produit de l'imagination des gendarmes.

On pourrait sombrer dans la paranoïa pour moins que ça, comme Olivier en témoigne : " Quand j'ai su ça, j'ai vraiment eu peur… Je me suis senti en danger…ces gens voulaient me neutraliser, par tous les moyens…Sans ma foi en Dieu, je pense que je me serais suicidé… "

Tout au long des trois ans d'instruction pendant que la presse et la gendarmerie continuent leur travail de sape, Olivier n'obtiendra jamais du juge d'instruction la réponse à une simple question : " Quels faits me reprochez vous ? ".

5ème phase : Le procès

En décembre 2003, le procès a enfin lieu. Les prévenus ne connaîtront les chefs d'accusation que quelques jours avant le procès, ce qui leur laisse à peine le temps de rassembler des documents et de préparer leur défense.

Malgré cela, la plupart des chefs d'accusation disparaîtront au cours de l'audience et les sentences seront réduites à la portion congrue (une situation classique puisque l'habitude dans la chasse aux sectes est de débarquer chez les habitants avec des listes de 15 à 20 chefs d'accusations, très médiatisés, qui sont biffés les uns après les autres au fur et à mesure de l'enquête. Mais le mal est fait et la rumeur a déjà circulé largement). Pour Magali, par exemple, on avait requis 40 000 euros d'amende et 18 mois de sursis, il ne restera que 1 000 euros et 8 mois de sursis à la fin de la journée. C'est dire là encore qu'il n'y a eu aucune recherche de vérité au cours de l'instruction, la plupart des chefs d'accusation pouvant être balayés en quelques contrôles administratifs.

Le procès lui même est une comédie grotesque où les prévenus se voient insultés pendant 9 heures, debout à la barre, par un procureur qui les traite d'êtres nuisibles à la société, de secte, de gourou…Ils ne pourront, pour la plupart, même pas répondre aux questions qui leur sont posées, noyés par le flot calomnieux qui se déverse sur eux. Aucune plainte, aucun plaignant, ne sera présenté au tribunal. Toutes les condamnations restantes, c'est-à-dire un délit d'abus de bien sociaux (sans qu'aucun associé ne se soit plaint de quoi que ce soit) et une escroquerie aux Assedic (dont une portant sur une personne n'ayant jamais ni réclamé ni perçu d'argent de la part de ces services), sont en cours d'appel au jour de l'écriture de cet article.

Le procédé est transparent et confirmé par les gendarmes et même le juge d'instruction. Le but était de "détruire la secte", de raser Terranova. L'appareil judiciaire et policier n'étant que le moyen, et heureusement parfois le frein, de cette volonté aveugle, mais certainement pas un instrument de vérité.

Le coût financier de l'opération est exorbitant au vu de son épilogue. Mais le plus choquant reste les marques psychologiques, les blessures profondes laissées par tout cela.

" Mon fils qui avait trois ans à l'époque, est resté très perturbé, il est terrorisé à la vue d'un gendarme, il fait de fréquents cauchemars et a subi une régression brutale lors des événements de novembre 2000 " " Ma fille, née peu après l'attaque des gendarmes, a subi le contrecoup du traumatisme de ma femme, comme me l'a expliqué le docteur, et c'est ce qui explique ses convulsions " "J'ai mis quatre mois à refaire surface après la garde à vue, j'étais au bord de la dépression. " " Ma femme a subi un choc énorme, elle est restée prostrée une semaine, sans parler "…

Une plainte contre la gendarmerie a été déposée pour actes de barbarie.

L'opération a échoué, la " secte " est toujours là, il arrive même parfois aux " adeptes " de rire de leurs mésaventures.

(1) En 1993, il y eut un autre assaut mémorable sur la communauté appelée “la famille”, dans leurs résidences de Lyon et de Marseille, où plus de 200 agents des forces de l’ordre, armées de fusils mitrailleurs, ont forcé les portes à coup de haches. Les parents ont été arrêtés, menottes aux poignets, devant leurs enfants. Les autorités agissaient à partir d’accusations de l’ADFI. Pendant des années, l’ADFI avait en effet accusé ce mouvement spirituel de prostitution, de maltraitance d’enfants et autres activités illégales. Six ans après l’assaut, la cour d’Aix en Provence jugea que ces allégations étaient sans fondement et l’affaire fut close. Toutes les personnes arrêtées furent déclarées non coupables et acquittées. L’ADFI n’a jamais présenté aucune excuse pour la douleur et les traumatismes causés à ces familles et n’a jamais rien publié pour corriger les fausses informations qu’elle avait diffusées.

Lire également :

Perquisitions, gardes à vue, ce qu'il faut savoir

Waco le modèle américain

L'affaire Horus

 

Un extrait vidéo (12 minutes) du reportage du CICNS sur cette affaire exemplaire :

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