Le rapport 2005 de la MIVILUDES

Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

Le rapport à télécharger

Comme l'année passée, nous vous proposons notre commentaire sur des passages clés de ce rapport attristant et sans surprise. La volonté de ne plus dresser des listes de sectes ou de nommer des groupes n'ayant pas été condamnés qui prévalait dans les précédents rapports a tout à fait disparu cette année. Celui-ci est constitué en grande partie d'un inventaire de minorités spirituelles et de leurs "dangers".

Les extraits du rapport sont en jaune et en italique et les commentaires en blanc.  

Par André Tarassi


Commentaire du mot du président de la Miviludes, Jean-Michel Roulet (extraits) : 

La MIVILUDES, à l’écoute des victimes et de leurs familles, dresse aujourd’hui un constat inquiétant des dommages provoqués par l’emprise exercée par des personnes ou des organisations se conduisant en maîtres à penser. De telles dérives se produisent dans tous les secteurs de la vie sociale, soins et santé, formation continue et soutien scolaire, sports et activités culturelles, groupes ésotériques ou mystiques… Elle relève que de nouveaux organismes apparaissent presque chaque jour, sans qu’aucun point du territoire ne soit épargné, ces micro-structures étant souvent beaucoup plus difficiles à cerner que les grandes organisations bien connues. 

Depuis que le CICNS suit le travail de la Miviludes, il constate que les postulats démagogiques de cette "mission" n'ont malheureusement pas évolué malgré les rappels de notre association ainsi que ceux de nombreux sociologues, historiens et juristes manifestant leur réprobation ou leur inquiétude devant de tels propos. 

Ici, la Miviludes semble reconnaître à son insu que les dérives qu'elle dénonce appartiennent "à tous les secteurs de la vie sociale". Hélas, la liste qui suit cette affirmation poursuit l'entreprise de stigmatisation commencée il y a 25 ans par les pouvoirs publics, faisant des minorités spirituelles les boucs émissaires des malaises et dérives de notre société. Les autres "secteurs de la vie sociale" ne méritent pas la même attention.

La Miviludes elle-même ne se conduit-elle pas comme "un maître à penser" en la matière ? Si, comme la phrase semble l'indiquer, le fait de se comporter ainsi est "une dérive", pourquoi ne pas élargir le débat, comme nous le demandons depuis deux ans maintenant, à tous les domaines de la société, là où le pouvoir et la criminalité ont pris une place beaucoup plus alarmante que dans de petits groupes spirituels au sujet desquels il est fait beaucoup de bruit sans raison valable (Notre projet de CEC, commission d'enquête citoyenne, aura pour but de donner une mesure objective de la menace éventuelle des minorités spirituelles et de leurs méfaits tangibles  pour notre société).

Il ne s’agit nullement de tracer un tableau apocalyptique de la situation, mais de se convaincre qu’il existe de vraies et bonnes raisons de ne pas renoncer à la lutte contre les dérives sectaires, au motif fallacieux que cela porterait atteinte à la liberté de conscience ou aux libertés religieuses.

Le motif n'est pas fallacieux mais nous pouvons comprendre qu'il déplaise aux activistes de l'anti-sectarisme. Il y a aujourd'hui dans notre pays, comme à l'avènement de tous les totalitarismes, un vide intellectuel et spirituel qui se creuse entre les acteurs de la répression et ses victimes, lesquelles tentent, désespérément parfois, de communiquer la valeur et la légitimité de leur foi et de leurs engagements.

A partir de l’instant où des victimes sont signalées, où des dommages sont constatés de même que lorsqu’il est porté atteinte à l’ordre public ou aux lois de la République, l’Etat ne peut pas se borner à être un observateur passif.

Le CICNS, ainsi que beaucoup de personnes également attachées aux valeurs de la démocratie, aimeraient justement que ces victimes et ces dommages soient évalués sans passion, au-delà des rumeurs et de la désinformation ambiante. Ce travail reste à accomplir. Par contre, notre connaissance de multiples minorités spirituelles en France nous permet d'ores et déjà de "signaler" que de très nombreuses victimes et dommages ont été engendrés par la campagne anti-secte elle-même.

Or on voit s’agiter, sous couvert d’associations créées sous le régime de la loi de 1901, des organisations qui sont les porte-parole virulents de groupes dont les méthodes et les agissements justifient une vigilance particulière de l’État (...) elles pratiquent la désinformation et cela, avec la plus évidente mauvaise foi. Les principes fondateurs de la République et ceux qui les défendent ne doivent pas plier devant un humanisme de façade, même si les critiques ou les accusations portées contre l’action des pouvoirs publics obligent la France à devoir expliquer les motivations de sa politique sur la scène internationale.

Il est heureux que, comme dans toute démocratie, les pouvoirs publics aient à rendre des comptes au plus tôt sur des phénomènes qui seront, de notre point de vue, jugés par l'histoire comme la répétition des sempiternelles dérives du pouvoir, dans des contextes assez similaires de peur devant le "non-rationnel", devant la foi et la démarche spirituelle en général. Les "délits" que ces pouvoirs publics aiment mettre en avant pour justifier la répression, et qui restent pour beaucoup non élucidés comme dans le cas des grands massacres qui ont défrayé la chronique, sont si infimes en comparaison avec ce qui se passe partout ailleurs, que des "organisations" décriées par la Miviludes dans le paragraphe ci-dessus ont effectivement été inspirées à se mobiliser pour combler le manque terrifiant de "raison" devant un tel dérapage. C'est en tous cas la motivation à l'origine de la création du CICNS.

Ceux qui plaident, au nom de la liberté de conscience, pour la reconnaissance de ces « minorités de conviction » ont-ils songé qu’ils apportent ainsi un semblant de respectabilité et de crédibilité à des personnes ou à des groupes pour qui le sacré vient loin derrière le profit ? Ont-ils mesuré les souffrances endurées par les victimes des dérives sectaires ?

Le CICNS n'est pas insensible aux dérives du profit. Mais nous jugeons cette accusation grotesque quand elle est adressée aux minorités spirituelles qui, dans leur vaste majorité, ne font aucun profit et, pour celles qui en font, d'une façon dérisoire par rapport à certaines grandes entreprises, occultes ou à ciel ouvert, que les pouvoirs publics ne penseraient jamais à montrer du doigt malgré l'absence de "sacré" dans leur comportement. 

Quant aux souffrances endurées par l'humanité, nous avons l'intime conviction qu'elles ne sont pas le fait des minorités spirituelles, qui oeuvrent ou aspirent pour la plupart à un monde meilleur. Par contre, nous avons connaissance de dizaines de dossiers qui démontrent de manière indubitable que la campagne anti-sectes a servi à de nombreuses personnes pour en discréditer d'autres, pour obtenir la garde exclusive  d'enfants, pour régler des comptes personnels, ternir des réputations, etc. Nous sommes en contact quotidien avec les souffrances occasionnées par ces dérives. Il est évident que lorsque les organisations comme la Miviludes, jouissant de toute la visibilité et la médiatisation que procure le pouvoir, sauront équilibrer leur propos, les réponses d'organisations comme la nôtre seront en conséquence moins virulentes, sans aucun doute. Nous aspirons d'ailleurs, au CICNS, à un dialogue équilibré et non militant. Mais cette relation ne saurait être unilatérale.

Il y a aujourd'hui un excès et une injustice dans la croisade anti-sectes qui ne peuvent que mobiliser de plus en plus de monde.

Quelle place reste-t-il pour la fraternité ? Quand l’esprit de fraternité, ciment de notre contrat social, est bafoué, il ne subsiste que quelques mots vides de sens.

Comme le mot "secte" par exemple ? Voire celui de "fraternité" ?  Les paroles ci-dessus pourraient tout aussi bien être retournées à leur auteur. Quelle place pour la fraternité quand le discernement est absent de cette campagne tendancieuse qui vise à détruire les aspirations millénaires de l'homme, terreau d'une véritable fraternité ? Le bilan désastreux de nos sociétés matérialistes devrait permettre moins d'arrogance dans ce débat actuellement sans âme.

Vient après cette introduction, dans ce rapport qui a perdu le peu de mesure qui demeurait dans les précédents, une liste de griefs visant les croyances et les modes de vie de différents groupes nommés. 

La page 13 du rapport est édifiante à cet égard. 

Où sont les délits dans le fait que certaines personnes souhaitent se marier "entre elles" ? En quoi "les heures de méditation ou de prière" seraient-elles plus un obstacle à l'éducation des enfants que toute autre distraction dont notre société fait la promotion ("Il faut souligner l’importance du temps consacré aux « activités spirituelles », qui s’ajoutant au temps de la scolarité obligatoire, font de ces enfants des êtres épuisés par leur journée") ? Pourquoi le statut millénaire de "maître spirituel" est-il systématiquement associé à "un délit" alors que toutes les structures d'enseignement plus profanes reposent sur la même relation de maître et d'élèves ? En quoi le fait de regarder la télévision aujourd'hui serait un signe de bonne santé mentale ? En quoi le fait de "distribuer des tracts" ou d'avoir une idéologie qui "joue sur la fibre idéaliste" suffit-il à présenter un groupe comme s'il était criminel (voir "solidarité et progrès" page 21) ? On trouve également des exemples d'enfants qui auraient été envoyés dans des écoles "différentes" à travers le monde, tout cela décrit de telle manière que l'on ressent confusément qu'il doit y avoir un problème ... sans réellement mettre le doigt dessus. 

Le problème nous paraît simple, bien qu'il ne soit pas énoncé ouvertement : une lutte contre les nouvelles spiritualités est à l'oeuvre au nom d'une certaine vision du monde, rationaliste et totalitaire. 

Pourquoi les croyances de notre société, qui imposent également des obligations et des punitions (reproche fait à certaines "sectes"), seraient-elles supérieures à celles dénoncées dans ce rapport ? Les débats actuels démontrent que les abus de toutes sortes sont omniprésents dans le monde moderne et que cette campagne infâmante détourne le regard sur les boucs émissaires que sont, dans cette génération, les minorités spirituelles.

Page 15, on trouve l'affirmation suivante :

" Ce qui frappe, en premier lieu, est l’intense souffrance de ces jeunes enfants soumis à des maltraitances affectives, physiques ou psychologiques, ou à des ruptures familiales dans des contextes difficiles. Les jugements, au civil comme au pénal, donnent à entendre ces souffrances." 

Où sont les références, les noms, les faits, dont la Miviludes n'est généralement pas avare ? Il ne suffit plus aujourd'hui, comme nous le voyons parfois dans certaines émissions télévisées, d'évoquer des "souffrances", des "enfants en détresse" et autres formules à fort pouvoir émotionnel pour mettre "les auditeurs dans sa poche" parce que la population dans son ensemble devient heureusement de plus en plus sensible aux manipulations. 

Ce qui nous frappe, au CICNS, c'est la volonté d'imposer une croyance sur une autre et l'impossibilité pour les croyances minoritaires, qui ne créent pas plus de souffrance que les autres, d'exister dans notre pays. Il est probable, comme le dit Michel Maffesoli, sociologue, que nos gouvernements soient depuis quelques années dépassés par la mutation de notre société et poursuivent des "combats d'arrière-garde". En attendant, notre association souhaite veiller à ce que ces derniers ne produisent pas, eux, plus de souffrance dans des milieux qui s'efforcent d'apporter un peu d'âme dans notre monde désenchanté.

Page 32, on peut lire un paragraphe qui parvient à décrire un problème "dont l'appréhension est malaisée", à la "dangerosité potentielle" et "creuset de dérives". Tout un potentiel de risques divers dont la dernière phrase, nébuleuse, permet de mesurer le flou qui préside sur cette question, à l'instar de tout ce qui se rapporte à la croisade apeurée des militants antisectes  :

Ce phénomène (pratiques de soins et de guérison) dont l’appréhension est malaisée, de l’avis des services locaux, inquiète par sa dangerosité potentielle et réelle en raison de condamnations pour exercice illégal de la médecine, de la pharmacie, publicité irrégulière, importation de médicaments sans autorisation de mise sur le marché, établissements de faux certificats médicaux et soustraction à des obligations légales compromettant la santé. En tout état de cause, il est le creuset de dérives qui avant d’être qualifiables de sectaires au sens des critères convenus, sont, à tout le moins, thérapeutiques pour cause de charlatanisme.

Page 34, on lit :

Le peu de plaintes déposées rend difficile l’appréciation de l’étendue des dangers de ces pratiques sur un plan criminel.

... sous-entendant, comme à l'habitude dans ce genre de rapport, que s'il n'y a pas de plainte c'est parce que les gens ont peur de le faire et non pas parce qu'il n'y aurait pas de raisons réelles de le faire. Sans compter que bon nombre de plaintes dont nous avons connaissance sont fondées sur des rivalités personnelles plutôt que sur un statut de victime au sens propre de l'expression.

En troisième partie des grands axes de l'action de la Miviludes, l'attaque contre les infiltrations des mouvements sectaires dans le domaine humanitaire est fondée sur la même absence de raison valable. M. Jean-Michel Roulet reconnaissait d'ailleurs sur France Info, le 26 avril 2006, "qu'ils apportaient une aide réelle". Où est donc le problème ? Le voici : on soupçonne ces personnes "qui apportent une aide réelle" d'avoir dans une main les outils pour aider et dans l'autre le manuel des croyances. On accuse en fait des personnes et des groupes, qui n'ont rien commis d'illégal, d'avoir des intérêts cachés. Mais ces accusations, comme beaucoup d'autres du même registre, ne reposent généralement que sur des spéculations, tendant, de plus, à faire une distinction entre la motivation de certains groupes à vocation spirituelle et celle, apparemment plus désintéressée, de tous les autres. Au bout du compte, leurs actions sont discréditées et leur image alourdie du fardeau de ces accusations qui les font passer pour des criminels jusque dans l'aide qu'ils apportent.

A ce sujet, le rapport cite la MILS :

« les sectes [qui] n’hésitent pas à profiter des malheurs du monde pour tenter d’imposer leurs solutions miracles et entraîner des individus fragilisés dans un mécanisme d’embrigadement ».

Nous trouvons cette affirmation intéressante en ce qu'elle présente l'action des groupes appelés "sectes" comme automatiquement néfaste. Une organisation athée ou rationaliste n'aurait que le bien de l'humanité à l'esprit ("ce n’est bien sûr pas l’objectif des organisations sérieuses, désintéressées et exemplaires qui redistribuent tous les dons") alors que le fait, pour ces groupes, de vouloir partager leur croyance est ici systématiquement défini comme une tentative de "profiter des malheurs du monde"

Parmi les accomplissements et actions de la Miviludes, on retrouve les trois ou quatre affaires qui avaient été largement médiatisées : Le NéoPhare, l'affaire qui avait été liée à la Kinésiologie et l'emprisonnement du docteur Hamer. Un bilan bien pauvre pour une "mission" qui prétend qu'il existe un véritable fléau sectaire (les trois affaires, analysées en détail, ne pourraient d'ailleurs convaincre que de purs militants anti-sectes rompus à tous les amalgames).

Grâce à "Une procédure de transmission accélérée par les départements de « fiches d’alerte » signalant à la DCRG (direction centrale des renseignements généraux) toute attitude individuelle, structure, doctrine nouvelle qui intrigue ou inquiète, sera ainsi mise en oeuvre" ainsi qu'à la nécessité de "rechercher et identifier dans le périmètre d’attributions de chaque administration concernée toute activité, quelle que soit sa forme, susceptible de revêtir un caractère sectaire" , on peut constater que la MIVILUDES approuve les incitations à la délation déjà présentes dans les rapports précédents et qui ont eu pour effet principal - nos dossiers en témoignent - d'alimenter les règlements de compte les plus indécents entre voisins ou parents. 

Conclusion du CICNS :

Le CICNS ne souhaite pas défendre les abus, d'où qu'ils proviennent, et espère que la Justice de notre pays saura garder la sagesse nécessaire dans son action. Mais nous sommes obligés de constater que cette sagesse est absente des débats "anti-sectes" dont nous abreuvent la télévision et les militants opposés aux minorités spirituelles. Les quelques excès et délits véritables mis en avant par ces derniers constituent une stigmatisation inacceptable des groupes à vocation spirituelle ou thérapeutique en France. S'il existe dans ce rapport des faits véridiques qui incriminent une personne, ils ne devraient en aucun cas servir pour nourrir l'amalgame à l'oeuvre actuellement. Les minorités spirituelles que nous connaissons ne sont pas criminelles et ne sont pas motivées par le profit et le désir de créer la souffrance. Bien au contraire. Et nous demandons évidemment que cela soit respecté. 

C'est, à notre avis, tout autant dans ces foyers minoritaires que la créativité et le renouveau peuvent se manifester. Il ne devrait pas être question d'écraser les velléités de certains groupes au nom des excès possibles de quelques membres. Laissons, de plus, aux hommes le droit de faire des erreurs, à la justice le droit de les condamner avec discernement et à l'humanité de grandir à partir de ses erreurs et de ses succès sans écraser dans l'oeuf tout ce qui semble nouveau. 

L'attitude actuelle des pouvoirs publics et des organisations militantes anti-sectes, certaines d'entre elles étant subventionnées par l'État, constitue une sérieuse entrave à la démocratie, aux droits fondamentaux de l'homme et, plus simplement encore, à un débat sérieux et profond sur cette question.

Cette conviction de l'équipe du CICNS, qui travaille "sur le terrain", en relation directe avec les minorités spirituelles autant qu'avec les sociologues et juristes, devrait bientôt être partagée par tous quand la réalité du phénomène apparaîtra en plein jour.


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André Tarassi est né en 1961, il est le fondateur du CICNS. Chercheur indépendant, il étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 25 ans. Il a étudié le journalisme et la télévision aux états-unis.  Il a publié, sous un autre nom, plusieurs ouvrages sur la démarche spirituelle.

Lire le commentaire de Patrick Le Berre, chercheur, sur le même rapport. 


Lire également "le séminaire sectes et laïcité de la Miviludes"

Le Guide de l'agent public face aux dérives sectaires

Le Guide des Maires

et le rapport 2003 le rapport 2004

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