Le Guide de l'agent public face aux dérives sectaires
Un "guide" largement diffusé au sein des administrations françaises. Ce petit manuel du bon agent public face à l'hydre sectaire expose sans ambiguïté la volonté de l'administration de stigmatiser les minorités spirituelles et, si possible, d'empêcher leur existence.
Présentation et commentaires du CICNS ( le texte du guide est en gras et en italique)
Ce
guide présente le « phénomène sectaire » et l’attitude que l’agent
public doit avoir face à lui, comme s’il s’agissait de l’alcoolisme
ou de la drogue, c'est-à-dire en tenant pour acquis l’existence et
l’importance du danger. On
trouve en introduction du guide, une « histoire récente du phénomène
sectaire » « C’est
au milieu du XXe siècle que l’on voit apparaître en France la forme moderne
du phénomène sectaire souvent inspirée par des mouvements nés en Asie ou aux
États-Unis. En
1968, et dans les années suivantes, se constituent des groupes marginaux qui
vivent en communauté. Des
milliers de Français quittent la France chaque année. Pour quelle raison
met-on en exergue cette trentaine de départs, alors que pas un des sociologues
et historiens de renom qui se sont penchés sur l’émergence des Nouveaux
Mouvements Religieux ne l’a relevé comme un fait significatif ou marquant ? « En
1978, a lieu le suicide collectif de 923 adeptes du Temple
du peuple au Guyana en Amérique du sud. » Depuis la révélation au public des rapports du FBI en 1995, parler de suicide collectif pour ce drame est totalement abusif (voir Jonestown, un faux suicide collectif ). En
1981, le fils de Roger Ikor, prix Goncourt, meurt d’un régime alimentaire
macrobiotique zen. Ce père écrit en 1982 : "Je porte plainte" et crée
le Centre contre les manipulations mentales, le CCMM. Ce
cas isolé, qui semble être une justification importante pour la MIVILUDES, est
à mettre en parallèle avec les nombreuses victimes des scandales de la médecine
moderne, comme celui
du sang contaminé, qui n’ont pourtant pas remis en cause les fondements
de la politique de santé française. Le
ministre des affaires sociales demande un rapport, qui ne sera pas rendu
public, relatif à la protection des mineurs face au développement du phénomène
sectaire. La
réalité est-elle trop terrible ou vraiment insignifiante pour ne pas diffuser
ce rapport ? « Après
une période de latence de dix ans, des événements dramatiques vont s’enchaîner
: –
1993, 88 morts par suicide et affrontements avec la police à Waco
au Texas au sein de la secte des Davidiens ; –
1994, 53 morts dans l’affaire de l’Ordre du temple
solaire en Suisse et au Canada ; – 1995 (5 mars), 11 morts et 5 000 blessés dans l’attentat au gaz sarin perpétré dans le métro de Tokyo par la secte Aoum (sic) (...) –
Le 23 décembre 1995, 16 morts sont découverts en France dans le Vercors, ils
seront identifiés comme étant des adeptes de l’Ordre du Temple Solaire. » Cet
historique est un montage artificiel, liant entre eux certains drames qui
n’ont rien à faire avec la recherche spirituelle (voir notre page sur le
Mythe des sectes) et avec la politique française de « lutte
contre les dérives sectaires ». Cette obstination à exposer les faits
sous le même angle depuis des années sans tenir compte des nouveaux éléments
d’enquête qui ont pu paraître depuis ne peut s’expliquer que par
l’absence de faits avérés qui permettraient de justifier cette politique.
Cette insistance, sourde aux commentaires émis par les sommités de
l’histoire des religions et de la sociologie, montre une volonté de
poursuivre cette politique. Il
n'y a dans ce guide aucune justification objective, statistique factuelle,
probante pour cette politique de « lutte contre les dérives sectaires »,
aucune référence à une étude quantitative démontrant la dangerosité des
nouvelles spiritualités. « le
nombre de dossiers de mineurs en danger est relativement faible au plan national
(une enquête a montré en 2003 que sur 54 000 dossiers d’assistance éducative,
seuls 192 présentaient un lien avec une problématique sectaire)» Soit, 0.3 %. Ce qui n'a pas empêché de faire une commission parlementaire tonitruante sur "les sectes et l'enfance" en 2006. Le commentaire qui suit ce paragraphe est révélateur d’une obstination à voir un problème là où il n’y en a pas. « Cette
étude met en exergue la difficulté à identifier les situations de danger liées
à une problématique sectaire, et doit inciter les magistrats et les
travailleurs sociaux à une vigilance accrue dans ce domaine » Ou
bien est-ce l’aveu d’une tactique consistant à faire rentrer dans le même
« moule sectaire », un maximum de cas de délinquance ? « Les
actions de vigilance et de prévention conduites par les pouvoirs publics depuis
plusieurs années tant au niveau central que local ont permis, semble-t-il, de
contenir le développement des dérives sectaires. » Il est dit que la protection de l’enfance est la principale raison de cette politique, on constate qu’il n’y a que 0.3 % des cas qui pourraient être rattachés aux dérives sectaires. Il est affirmé également que le phénomène est maîtrisé et qu’il est en régression mais on peut lire à longueur de ce guide la nécessité d’accroître les performances du dispositif. Cet
ouvrage est une nouvelle démonstration « par abstention » que la
politique anti-secte ne repose sur aucune étude sérieuse des mouvements
incriminés. Pourtant le dispositif mis en place est impressionnant Les
trois paragraphes qui suivent l’historique exposent en filigrane le processus
qui aboutit aujourd’hui à un consensus difficile à remettre en question dans
l’esprit du citoyen lambda et a fortiori dans celui des agents de la fonction
publique qui subissent depuis des années le matraquage de circulaires,
formations, colloques, séminaires et autres manuels et « guides »
sur le « phénomène sectaire ». La
notion de dérive sectaire
Le
décret du 28 novembre 2002 confie à la mission interministérielle le soin «
d’observer et d’analyser le phénomène des mouvements à caractère
sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux
libertés fondamentales, constituent une menace à l’ordre public, ou sont
contraires aux lois et règlements ». Le
rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes de 1995
contient une liste de mouvements à caractère sectaire. Pour certains, cette
liste constitue un critère suffisant d’appartenance d’un mouvement ou
d’une communauté à la mouvance sectaire. D’autres considèrent qu’elle
ne correspond plus à la réalité actuelle. Les juridictions ne lui
reconnaissent pas de valeur normative. Cet euphémisme est à rapprocher du paragraphe ci-dessous que l’on trouve plus loin dans le guide :
« Plusieurs
décisions de justice ont ainsi rappelé à l’État qu’il ne saurait
interdire à tel ou tel individu ou tel ou tel groupement d’accéder à des
droits sur la base des listes établies par les commissions d’enquêtes
parlementaires. (cf. tribunal administratif de Paris, 13 mai 2004, Association
cultuelle des témoins de Jéhovah et Cour européenne des droits de l’homme (CEDH),
6 novembre 2001, Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France et
CEDH, 16 décembre 2003, Palau-Martinez)
» Les
administrations ont dû préciser leurs critères d’analyse du phénomène.
Elles ont eu naturellement recours au « droit commun », ainsi qu’aux éléments
d’information contenus dans les rapports parlementaires de 1995 et 1999 et
notamment aux critères de dangerosité qui y étaient mentionnés.
L’absence
d’incriminations spécifiques
Respectueux
de toutes les croyances, fidèle au principe de laïcité, ne reconnaissant
aucun culte, le législateur s’est toujours refusé à définir les religions.
Il n’a pas davantage, et pour les mêmes raisons, précisé les notions de
secte et de dérive sectaire. Tout
est dit, dans ce paragraphe, les minorités visées par cette politique,
n’enfreignent pas suffisamment les lois pour être inculpées et condamnées
et il est donc revenu aux juges la
responsabilité d’appliquer des directives qui vont à l’encontre même
du principe de l’égalité de chacun devant la loi quelles que soient sa
religion ou ses croyances.
Les
critères de dangerosité
Dans
l’exercice de leur mission de vigilance et de lutte contre les agissements
sectaires, les administrations accordent une place déterminante aux critères
de dangerosité retenus par la commission d’enquête parlementaire de 1995, à
savoir :
–
la déstabilisation mentale ; –
le caractère exorbitant des exigences financières ; –
la rupture avec l’environnement d’origine ; –
l’existence d’atteintes à l’intégrité physique ; –
l’embrigadement des enfants, le discours antisocial, les troubles à l’ordre
public ; –
l’importance des démêlés judiciaires ; –
l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ; – les
tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.
En
tout état de cause, un seul critère ne peut suffire à caractériser un
mouvement, il convient de croiser plusieurs de ces critères. Les critères de ce paragraphe sont totalement subjectifs. L’agent public à qui l’on parle d’un grave danger nécessitant une vigilance exceptionnelle va, consciemment ou non, chercher dans ces textes des repères précis, des critères applicables concrètement. Et comme dans toute la documentation qui lui a été fournie depuis plus d'une décénnie sur le sujet, il ne trouvera dans ce domaine que la référence à la fameuse liste parlementaire ainsi que des mots épars mais pas anodins qui évoquent tous une orientation spirituelle, des options thérapeutiques ou éducatives «non conformes aux habitudes». La
frontière entre dérive sectaire et religion est une autre difficulté. La
tentation que l’on peut avoir d’adopter une législation spécifique pour
mieux lutter contre les mouvements sectaires risque de se heurter au principe de
neutralité de l’État(…) Il
est dit ici clairement que l’on cherche à lutter contre des mouvements désignés
et que ceci se heurte aux principes même de la constitution française. Il
n'est pourtant pas envisagé de remettre cette lutte en question. L’État français,
malgré ce « risque », a même franchi le pas à plusieurs reprises
dont les deux exemples suivants sont mis en exergue dans ce même livre :
-
loi du 12 Juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression
des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés
fondamentales. (Lire le commentaire de Maitre
Perollier au sujet de cette loi
-
Loi du 18 décembre 1998, tendant à renforcer le contrôle de
l’obligation scolaire. (Dont les débats préliminaires étaient centrés sur
les possibles dérives des groupes sectaires) On
peut lire plus loin, dans le chapitre : « Outils méthodologiques »
68 points de questionnement regroupés sous « Douze thèmes pour tester
un groupe qui inquiète » ? Ce chapitre est conclu par cette note :
Peu
de groupes répondent à tous les points de la définition précédente.
Certains peuvent exister dans des groupes par ailleurs anodins. C’est la
coexistence d’un certain nombre de ces caractères qui doit inciter à la méfiance. Si
ce sont des critères de méfiance, quels étaient alors les critères de
dangerosité cités en début de chapitre ? l’agent
public dispose, dans l’exercice de ses missions, de toutes les ressources de
l’arsenal juridique de droit commun. Que
signifie cette phrase ? Que l’agent public se sert des lois comme outil
de répression et non comme outil de discernement ? N’est-ce pas l’aveu
que les actions à l’encontre des minorités spirituelles ne sont pas la conséquence
de délits véritables mais d’une autre intention qui ne peut être que
discriminatoire ?
La situation des couples en instance de divorce est mentionnée dans le guide. La réponse suggérée est caractéristique de l'esprit de la lutte anti-sectes.
Le
divorce
La
seule appartenance d’un époux à un mouvement à caractère sectaire ne
saurait constituer une cause de divorce (CA Dijon 23 septembre 1997). Néanmoins,
quand le comportement d’un époux perturbe gravement la vie du couple, le juge
aux affaires familiales peut estimer que celui-ci constitue une faute rendant
intolérable le maintien de la vie commune, et prononcer le divorce sur ce
fondement (CA Nancy 23 février 1996, JCP 1997, IV, 1178 et CA Montpellier 7
novembre 1994, JCP 1996, 22680). N’est-ce
pas là une incitation à utiliser le thème des sectes pour gagner
un divorce ? De fait, certains avocats dénoncent dans les cours de justice la recrudescence du recours au « truc de la secte » et son incroyable efficacité devant des magistrats eux-mêmes formés à « la vigilance antisecte ». (Lire le dispositif mis en place)
Dans
le même registre des affaires où parler de sectes peut vous faire gagner
un procès, on trouve dans ce manuel : La
seule appartenance d’un parent à un mouvement à caractère sectaire ne
saurait justifier une décision défavorable à l’égard de ce dernier,
s’agissant de la fixation de la résidence des enfants ou des droits de visite
et d’hébergement. Toutefois, en cas de séparation, lorsque les pratiques
d’un parent présentent un risque sérieux de perturbation physique ou
psychologique des enfants, le juge aux affaires familiales peut décider de
fixer la résidence habituelle chez l’autre parent ou de restreindre
l’exercice du droit de visite et d’hébergement
Le
choix par des parents pour leurs enfants d’un mode de vie dans un « monde
clos » où ils ne sont ni correctement scolarisés ni sérieusement instruits
est aussi de nature à justifier un signalement au procureur de la République
sur le fondement des articles 375 et suivants du Code civil. Ce
genre d’incitation au « signalement » sur des critères totalement
subjectifs, est la porte ouverte à tous les abus, et effectivement, de nombreux
parents ont été l'objet d’enquêtes et de procédures pénales sur la seule
présomption de leur « appartenance sectaire ». On
signale aussi, à toutes fins utiles, une jurisprudence dans le domaine de
l’adoption qui est un refus d’adoption à un couple témoins de Jéhovah
entendu que leur refus de la vaccination mettait la vie de l’enfant en danger. Sont
aussi signalées des jurisprudences dans les domaines du droit du travail « La
forte soumission et la dépendance au responsable ou au gourou » pouvant « conduire
des membres du mouvement à travailler dans des conditions sanctionnées par la
loi au titre du travail dissimulé » et encore, et dans le désordre :
l’exercice du droit de préemption, la fiscalité, l’exercice illégal de la
médecine ou de la pharmacie, les dispositions limitant la publicité des
mouvements sectaires qui présentent, semble-t-il, encore un oubli de l’État
de son devoir de neutralité, la question du refus de soins, qui vise
explicitement le refus de vaccination et de transfusion sanguine et qui est
appuyé d’une jurisprudence disant que « la pratique, dans certaines
conditions, d’une transfusion sanguine contre la volonté du patient, ne
constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté. ».
On
retrouve enfin cités des textes qui paraissent totalement incongrus si l’on
ne sait pas qu’ils correspondent à des affaires spécifiques incriminant des
mouvements particulièrement surveillés. « La
communication de documents administratifs » et « Les
limites au droit d’accès » sont des questions soulevées directement
par une action de l’Église de Scientologie dont certains membres ont exigé
et obtenu après une longue procédure de consulter leurs « fiches »
détenues par les Renseignements Généraux pour constater
qu’elles ne contenaient aucun autre motif de surveillance que leur
appartenance à l’Église de Scientologie et donc aucun délit ni aucun
signalement d’une « atteinte aux droits de l’homme et aux libertés
fondamentales ».
Si
les pouvoirs publics se défendent tout au long de ce "guide" d’une
quelconque discrimination en raison de convictions religieuses ou
philosophiques, c’est pure hypocrisie puisque l’argumentaire et les exemples
cités désignent, parfois nominativement, des groupes spirituels ou religieux. Le paragraphe suivant, extrait de la section Les aspects propres aux administrations et du chapitre Ministère de l’Intérieur est révélateur d’une véritable politique discriminatrice : Dans
une optique plus répressive, les cellules coordonnent également l’action des
services avec la volonté d’exploiter toutes les pistes susceptibles de
conduire à une condamnation pénale de mouvements auxquels seraient imputées
des dérives sectaires ou empêcher leur implantation : lutte contre le travail
dissimulé, contrôle des déclarations de patrimoine, interdiction de
construction ou d’occupation de locaux pour atteinte à l’environnement ou
pour non-conformité aux règles d’accueil du public, etc. » Pour
conclure, nous constatons que -
Le livret n’apporte aucun élément probant sur l’existence d’un phénomène
de « dérives sectaires » qui serait un risque majeur pour
l’intégrité des individus et pour la société et qui justifierait la
politique menée par le gouvernement. -
Son argumentaire est confus, contradictoire et totalement subjectif. -
Il désigne des personnes par leurs choix de vie, notamment thérapeutiques, éducatifs
religieux et spirituels comme potentiellement dangereuses. -
Il donne aux agents publics des outils et des conseils afin de persécuter ces
personnes. -
Il expose un dispositif dont l’ampleur ne peut qu’inquiéter toute personne
soucieuse du respect des droits de l’homme.
Lire le dispositif mis en place
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