La haine

... et les boucs émissaires

par le CICNS

 

Note de bas de page au sujet de Punishment Park

 


   

Alain Bouchard (2001) a montré comment le modèle de la secte qui se dégage des articles de journaux semble relever de la « légende urbaine », ces histoires fictives qui deviennent plausibles socialement et qui expriment de façon inconsciente les préoccupations des individus qui les créent et les propagent. Ces rumeurs sont des récits cathartiques qui fournissent au groupe social un scénario acceptable pour substituer un ordre à la dissonance générée par l’évolution et la destruction des formes traditionnelles de socialisation.

On reprend alors le scénario typique de l’« étranger » et de l’« enlèvement », l’ogre des fables refait surface sous le masque des sectes. Comme dans les légendes urbaines, les récits médiatiques sur les nouvelles religions pointent les préoccupations d’une époque et identifient un bouc émissaire révélateur des angoisses d’une société. La secte menace l’avenir du groupe (les jeunes) en les faisant basculer dans l’irrationnel, qui est l’inversion du mythe fondateur moderne : la rationalité, la science. La secte c’est plus que l’autre, c’est finalement l’inversion de nous autres.


 

Le fanatisme et la haine se nourrissent de l’ignorance, de la peur, de la désinformation et de demi-vérités. 

 

Sur Internet, de nombreux sites haineux s'exercent à la chasse au bouc émissaire. Ils attribuent à certains groupes ciblés (les "sectes", par exemple) la responsabilité de toutes sortes de problèmes politiques et sociaux. Leurs affirmations s’appuient sur l’ignorance du public et des «preuves» créées de toutes pièces (voir, pour le phénomène des minorités spirituelles Jonestown, Waco et les diffamations récurrentes des activistes anti-sectes).

 

Ces affirmations haineuses viennent stimuler des préjugés, souvent inconscients, qui influencent nos perceptions et nos actions. Ces instincts sont, à notre époque, présentés sous un jour socialement admissible (c'est une forme sophistiquée de la barbarie, comme nous allons le voir).

 

Quand des groupes de pression viennent donner à la haine un caractère quasi légal, un sentiment d'immunité s'éveille avec les instincts primaires de discrimination et d’ostracisme, bien pratiques en période de "crise".

 

La réalité de ce phénomène peut nous échapper quand nous y sommes personnellement confrontés, quand nous avons «le nez dedans». Mais notre société dite "civilisée" doit de toute urgence se pencher sur cette mécanique infernale.

 

C'est pourquoi, je vous présente ci-dessous quelques exemples, hors frontières, qui permettent ainsi d’y porter un regard plus neutre, avant de constater rapidement à quel point la situation est identique partout et à chaque génération. 

  

En 1830, avec l’adoption de l’Indian Removal Act, le gouvernement des États-Unis de l’époque  lança une campagne contre les indiens d’Amérique afin de les chasser de leurs terres. Lors du déplacement des populations indiennes, qui devaient parfois marcher pendant des centaines de kilomètres, des milliers d’indiens périrent, en plus de ceux qui avaient été tués précédemment. Pourtant, les  artistes de l’époque représentaient les indiens comme des agresseurs, plutôt que comme les victimes d’un injuste arrêté d’expulsion du gouvernement. L’image de l’indien « démoniaque » ou de « l’ignoble sauvage » s’est profondément ancrée dans le pays jusqu’aux premiers westerns du cinéma qui les représentaient encore de cette manière (rappelez-vous, c'était hier). Très peu de gens à l'époque étaient capables de mettre en question cet incroyable renversement de situation, où l'oppresseur se présente comme un opprimé avec l'assentiment de la majorité des témoins de toute une génération. 

 

L’image de «Daniel Boone luttant contre un indien» est une sculpture qui fait toujours partie d’un bas-relief en pierre sur une rotonde du Capitole à Washington DC. L’indien y est imposant, ses traits sont démoniaques, il apparaît violent. Il est présenté de manière à effrayer. C'est une véritable manipulation.

 

Plus tard, le Maccarthysme est parvenu à alimenter une haine des communistes aveugle et répressive en l'espace de quelques années (il existe un film terrifiant de 1971 d’une « chasse à l’homme » meurtrière dans le désert, avec des minorités pour proie, partiellement interdit aux États-Unis à sa sortie voir note). Cette phobie - cette folie ! - à l’égard d’un groupe "cible" rappelait, à certains, déjà, «les chasses aux sorcières» du passé.

 

Un autre exemple qui a été pratiqué par des graphistes : l’image du père noël, rien d’effrayant, elle peut même évoquer des souvenirs d’enfance agréables. Mais il suffit de changer le bonnet rouge par  un turban pour que notre perception change totalement et que d’autres émotions apparaissent (le père noël devient un intégriste musulman).

 

D’où vient cette perception et à quelles émotions se rattache t-elle ? Il est intéressant d’observer pour soi-même les mécanismes qui sont à l’origine de nos jugements et émotions. Ces jugements et émotions nous appartiennent-ils vraiment ? Pouvons-nous parler de liberté quand nous parvenons à ressentir de la haine ou de l’attirance par simple conditionnement ? Et si le turban est remplacé par une autre coiffe rituelle d'une religion ? Si elle rappelle un reportage sur les "sectes" où les minorités spirituelles sont toujours présentées d'une manière "folklorique" ? Que se passe-t-il ? 

 

L'habit ne fait plus le moine, mais est-il parvenu à faire "la secte" ou "le danger" ?

 

Depuis le 11 septembre 2001, la perception des musulmans, et par extension «des arabes» ou des «étrangers», s’est modifiée et la peur s'est amplifiée. 

 

Le turban a le pouvoir de transformer le père noël en une menace. 

 

C’est en tous cas cette perception qui est inculquée aux populations (cette situation est à rapprocher de l’adoption, en France, des lois contre le « voile islamique »).

 

Aujourd’hui, en France, la stigmatisation des minorités spirituelles repose sur les mêmes schémas de haine, de désignation de boucs émissaires et de répression des modes de vie ou des courants de pensées qui présentent, sans doute, un danger pour le système en vigueur ou envers des projets d’envergure dont la population est ignorante. Mais si la population - vous et moi - est ignorante de ce qui se trame derrière la répression, nous sommes cependant les jouets de ces manipulations collectives, tout en croyant souvent "penser par nous-mêmes". Il n'y a rien d'exagéré dans tout cela, il suffit de voir comment nous réagissons en aveugle à partir d'informations que nous avons digérées sans les mettre en question. Nous devenons les instruments d'une haine qui ne nous appartient pas.

 

Si la réflexion a une vertu - quand elle ne demeure pas en surface des automatismes et des conditionnements -, elle doit s'exercer maintenant, dans notre pays, par chacun d'entre nous sur cette question qui mérite une attention véritable et soutenue. 

 

La haine a le pouvoir qu'on lui donne. Elle a actuellement plein pouvoir et de nombreux groupes et de nombreuses personnes en sont les victimes.

 

Je souhaite, à nouveau, que l’histoire ne se répète pas indéfiniment et cela grâce à la nécessaire prise de conscience de ce fléau qu’est la haine de la différence. La haine est unique malgré le renouvellement des boucs émissaires et les arguments fallacieux, primaires et répétitifs qui parviennent à nous les faire accepter.  

 

 

Sources des documents :

 

http://www.tolerance.org 

 

http://www.media-awareness.ca

 

http://www.bugbrother.com

 

 

Voir le terrible "Punishment Park" de Peter Watkins (1971) :

 

 

En plein désert Californien, une poignée de jeunes hommes et femmes, accusés d'avoir porté atteinte à la sécurité de l'état américain, comparaissent devant un tribunal d'exception, qui justifie son existence par l'aggravation du conflit Nord-Vietnamien. Le président Nixon, s'appuyant sur le décret MacCarran de 1950, qui lui permet de décréter l'état d'urgence sans l'approbation du Congrès, fait  emprisonner tous les éléments hostiles à sa politique à l'intérieur du  pays... Des tribunaux d'exception sont rapidement institués. Au banc des accusés se retrouvent toutes les minorités "contestatrices" : les Noirs, les extrémistes, les pacifistes, les humanistes, les militants communistes...  

Ils sont condamnés à de lourdes peines de prison auxquelles ils peuvent échapper à la condition de passer trois jours à "Punishment Park". 

Tous, sans savoir de quoi il s'agit, choisissent cette alternative.  L'épreuve consiste à parcourir 80 kilomètres à pied dans le désert, sous un soleil de plomb, sans eau et sans nourriture, alors que des "forces spéciales " armées de fusils et de pistolets et à l'aide de voitures, de jeeps et d'hélicoptères, se lancent à la poursuite des fugitifs, après leur avoir laissé prendre une avance de deux heures. 

A ceux qui parviendraient sains et saufs au drapeau américain planté aux limites du parc, on promet la grâce. Mais aucun n'arrive au bout de l'épreuve et une grande partie est impitoyablement abattue devant les caméras de la télévision invitées pour la circonstance...

Cette fiction est filmée d'une manière si réaliste que le spectacteur est profondément ébranlé. Il ne lui semble pas que tout cela soit si éloigné de la réalité. Lors de sa sortie, on a même parlé d'interdictions dans certaines salles...(L'histoire du film)

 

Ce reportage est passé sur Arte en février 2002

 

Sur le même sujet de la haine, lire également : 

 

P. Barrucand, Haines d'hier et d'aujourd'hui, campagnes anti-juifs, anti-franc-maçons, anti-sectes.

   

 

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